ZIMBABWE: LA FIN PAS GLORIEUSE D’UN CHEF CENTENAIRE

Les événements récents ont apporté à l’attention des analystes le Zimbabwe, pays africain soumis au régime dictatorial de Robert Mugabe, 93 ans, qui vient d’être déposé et poussé vers la retraite, mardi 21 novembre, après une vie de lutte et trente-sept ans de pouvoir.
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La Rhodésie du Sud (entre 1890-1980), ancienne colonie britannique autoproclamée indépendante en 1965 par le gouvernement de la minorité blanche conduite par Ian Smith, retombe sous le contrôle britannique en 1979 avant de devenir définitivement indépendante en 1980 sous le nom de Zimbabwe. La capitale, Salisbury, sera renommée Harare en 1982.
La Rhodésie du Sud a fait partie, avec la Rhodésie du Nord et le Nyassaland, de la Fédération de Rhodésie et du Nyassaland (également appelée Fédération d’Afrique centrale), créée par le Royaume-Uni colonial en 1953 et dissoute en 1963.
Chef de guérilla en Rhodésie du Sud.
En 1960, Robert Mugabe revient en Rhodésie du Sud, converti à l’idéologie marxiste et se déclarant «marxiste-léniniste-maoïste». Il se joint au Ndébélé Joshua Nkomo et au Parti National Démocratique (National Democratic Party – NDP), qui devient par la suite Zimbabwe African Peoples Union (ZAPU), immédiatement interdit par le gouvernement blanc de Ian Smith.
En 1963, Mugabe, Shona, crée son propre parti, le Zimbabwe African National Union (ZANU), avec le révérend Ndabaningi Sithole et l’avocat Herbert Chitepo. Il en devient secrétaire général. La ZANU et la ZAPU seront longtemps séparés par la frontière ethnique entre Shonas et Ndébélés.
En 1964, Mugabe est arrêté avec d’autres chefs de file nationalistes et jeté en prison pendant dix ans au camp de restriction de Gonakudzingwa, à la frontière entre la Rhodésie du Sud et le Mozambique. Il en profite pour étudier le droit et consolider son influence sur le mouvement nationaliste. En 1966, il perd son fils mais se voit refuser une permission pour l’enterrement, ce qui attise sa haine du régime de Salisbury.
Relâché en 1974, sous les pressions de John Vorster, le premier ministre d’Afrique du Sud qui cherchait à trouver des interlocuteurs modérés au gouvernement blanc de Ian Smith, premier ministre de Rhodésie, il quitte la Rhodésie pour le Mozambique où il prend la direction de la branche militaire de la ZANU, la ZANLA (Zimbabwe African National Liberation Army), pour mener la guérilla contre le gouvernement de Ian Smith.
Le 18 mars 1975, Herbert Chitepo est assassiné en Zambie dans un attentat à la voiture piégée et Mugabe peut alors prendre unilatéralement le contrôle de la ZANU, tandis que le révérend Ndabaningi Sithole renonce au combat armé et crée un parti politique modéré l’Union nationale africaine du Zimbabwe – Ndonga.
Le 3 mars 1978, les accords de Salisbury signés par Ian Smith avec des dirigeants noirs modérés comme Abel Muzorewa et Ndabaningi Sithole aboutissent au principe d’élections multiraciales et à la fin de la domination blanche.
Les élections d’avril 1979 sont remportées par l’UANC de Canaan Banana et d’Abel Muzorewa, l’UANC étant le seul parti noir ayant renoncé à la violence et autorisé ainsi à concourir. Abel Muzorewa devient le nouveau premier ministre de la nouvelle Zimbabwe-Rhodésie le 1er juin 1979. Cependant, le nouveau régime n’obtient pas de reconnaissance internationale du fait des restrictions imposées aux autres partis politiques noirs qui n’avaient pas pu participer aux élections.
En décembre 1979, le pays redevient la colonie britannique de Rhodésie du Sud et les accords de Lancaster House signés à la fin du mois aboutissent à un accord général dont l’octroi de garanties économiques et politiques pour la minorité blanche et des élections multiraciales prévues pour février 1980. Après une campagne électorale marquée par des intimidations de toutes parts, l’intrusion des forces de sécurité et des fraudes, les Shonas votent en masse pour leur parti communautaire, en l’occurrence la ZANU de Robert Mugabe.
Le 4 mars 1980, la ZANU emporte 57 des 80 sièges réservés aux Noirs alors que les 20 sièges du collège électoral blanc sont tous remportés par le Front rhodésien de Ian Smith.
Le 18 avril 1980, Robert Mugabe devient le premier Premier Ministre du nouvel État du Zimbabwe et Canaan Banana le premier président.
Du guerrier au dictateur
Tout avait commencé sous les meilleurs auspices pour Robert Mugabe, le «Comrade Bob», icône de la lutte contre l’apartheid. Mais au fil des ans, l’ancien enseignant, devenu le plus vieux chef d’Etat en exercice de la planète, a réussi l’exploit de ravaler l’ex-Rhodésie du Sud, autrefois grenier à céréales de l’Afrique australe, au rang d’îlot miséreux et orwellien, où le taux de chômage frôle les 90% et où la devise nationale n’a plus cours.
Le premier gouvernement de Robert Mugabe donnait une impression d’unité nationale. Ses premières mesures symboliques furent l’augmentation générale des salaires et la mise en place de nouveaux programmes sociaux axés sur l’éducation et la santé.
Cependant, la rivalité entre la ZANU et la ZAPU débouche sur une dégradation générale et un conflit armé sanglant. Dès 1981, Joshua Nkomo avait été évincé du gouvernement et plusieurs de ses partisans arrêtés. Le conflit politique se calquait sur un conflit ethnique. Mugabe était un Shona (comme ses 62,9 % d’électeurs) et Nkomo un ndébélé (comme l’essentiel de ses électeurs). Après la découverte de caches d’armes clandestines de la ZAPU, des activités de guérilla reprirent dans le Matabéléland. Nkomo fut accusé de trahison. En janvier 1983, Mugabe envoyait la cinquième brigade, entraînée par des Nord-Coréens, pour rétablir l’ordre au Matabéléland. Des milliers de civils furent massacrés et des villages rasés. Ce ne fut qu’en 1988, et après 25 000 civils tués, que la réconciliation Nkomo-Mugabe met fin au conflit, assurée par une amnistie et la fusion entre la ZANU et la ZAPU dans la ZANU-Front patriotique (ZANU-PF).
En 1987, les Blancs perdirent leur représentation assurée de 20 députés et furent éliminés du parlement. Leurs sièges furent mis à disposition du gouvernement qui nomma une vingtaine de députés. La coalition gouvernementale se retrouva alors avec le soutien de 99 députés sur 100. Détenant ainsi les pleins pouvoirs, Robert Mugabe fit modifier la constitution afin d’instituer un régime présidentiel, supprimant le poste de Premier ministre et reprenant le titre de président à son compte. Joshua Nkomo devint alors l’un des deux vice-présidents du Zimbabwe.
Dès la fin des années 1980, le régime apparaissait comme corrompu et la profession de foi socialiste des principaux dirigeants de la ZANU masquait de plus en plus mal la recherche par ceux-ci de grands profits financiers. La corruption fut alors dénoncée par une presse encore libre et par les étudiants de l’Université de Zimbabwe. Se sentant menacé, le régime répondit rapidement en supprimant ses subventions à l’Université et en renforçant son contrôle politique.
En 1990, le basculement vers l’autoritarisme fut confirmé alors que s’abattait la répression contre tous ceux susceptibles d’animer un mouvement d’opposition, qu’ils soient Blancs ou Noirs. Ainsi, les élections de mars 1990 furent entachées de multiples fraudes favorisant les candidats gouvernementaux.
En août 1990, la contestation était aussi interne à la ZANU. À la réunion du comité central, 22 des 26 membres se prononcèrent contre la transformation de la république en régime de parti unique voulu par Mugabe. Celui-ci se rangea finalement sans risque à la décision majoritaire, le pays ne connaissant plus aucun parti d’opposition structuré. Robert Mugabe fut encore réélu en 1996 avec 92 % des suffrages à la présidence de la république, après le retrait de ses deux opposants.
En 1992, Mugabe décida de mettre en œuvre une réforme agraire et de nationaliser la moitié des terres des 4 500 fermiers blancs qui possédaient à cette date encore 30 % des terres cultivables dans le but officiel de les redistribuer aux centaines de milliers d’africains démunis. Cependant, seuls les grands domaines pouvaient être rentables pour un pays comme le Zimbabwe et pouvaient lui permettre son autosuffisance alimentaire.
En décembre 1997, après une grève nationale des vétérans de la ZANLA qui réclamaient des terres et de justes compensations pour leurs services au sein de la guérilla, le régime leur a accordé des pensions qui étaient bien supérieures à ce que permettait le budget de l’État zimbabwéen. En dépit des mises en garde du Fonds Monétaire International, Mugabe décida de commencer la redistribution autoritaire des terres appartenant aux Blancs. Une campagne de terreur urbaine et rurale finit par submerger le pays afin de chasser les fermiers blancs réticents, conduisant le pays à la plus grave crise politique, économique et sociale de son histoire.
Les fermes furent occupées et dévastées par des bandes de brigands au service du ZANU-PF, regroupés sous l’égide de pseudo anciens vétérans du combat pour l’indépendance. Ceux-ci intimidèrent violemment les employés, pillèrent les maisons plongeant le pays dans la famine et la pauvreté, n’hésitant pas à tuer sous les yeux complices de la police. La redistribution tant annoncée n’eut pas lieu sinon au bénéfice des proches du régime.
L’utilisation démagogique de la question de la terre et la stigmatisation de plus en plus violente par le régime des 50 000 Blancs du pays finirent par plonger le Zimbabwe dans une crise économique et politique sans précédent. La famine menaçait dorénavant l’ancien grenier à blé de l’Afrique. La politique de saisie des terres et la sécheresse contribuèrent à des pénuries de nourriture dans tout le pays.
En mars 2005, lors des élections législatives, la ZANU-PF remporta une victoire écrasante, avec 78 sièges au Parlement contre 41 pour le Mouvement pour le changement démocratique, tétanisé par la brutalité du régime et l’indécision de ses dirigeants à défier frontalement Mugabe. Comme la Constitution donnait au président du Zimbabwe le pouvoir de nommer 30 députés supplémentaires, la ZANU-PF eut finalement plus des deux-tiers des sièges. Les Zimbabwéens expatriés furent exclus du vote alors que les élections s’étaient déroulées en l’absence d’observateurs internationaux pour en assurer le bon déroulement.
Depuis les élections de mars 2005, la situation des droits humains au Zimbabwe n’a cessé de se détériorer. Le 30 août un amendement de la Constitution retira aux exploitants blancs toute possibilité de recours judiciaire. Un autre article interdit aux Zimbabwéens soupçonnés d’activités terroristes, ou d’opposition politique virulente, de sortir du territoire. Le texte priva également de droit électoral toute personne ayant au moins un parent étranger bien que détenant le statut de résident permanent. Il prévoit en outre que toute personne suspectée de porter atteinte aux « intérêts » nationaux puisse être interdite de sortie du territoire.
Une perpétuelle crise économique
Le Zimbabwe avait établi en 2008 le record mondial d’inflation au XXIe siècle, avec 80 milliards de pour cent par an. En 2009, le pays, affligé par une inflation de 500 milliards de pourcent abandonna sa monnaie nationale en faveur du dollar U.S., ce qui a fait, pour peu de temps, stabiliser l’économie. Mais le très grand déficit économique a fait disparaître très vite ces dollars et apparaître la crise de monnaie. La solution du régime fut d’introduire les “bond notes”, une sorte de monnaie parallèle appuyée sur un emprunt suspect de la African Export Import-Bank, ce qui ne fit qu’accentuer l’inflation.
En 2014, le Zimbabwe est classé 155e sur 190 dans la liste des pays par indice de développement humain et est soutenu par le Programme alimentaire mondial.
Au début de 2017, le Financial Times exposait la réalité d’un État en pleine catastrophe économique, évoquant le fait que le bétail était désormais accepté comme monnaie d’échange – un signe de «désespoir». Bien que cette pratique soit déjà utilisée ailleurs, notamment au Ghana, au Kenya et au Nigeria, il ne s’agit cependant pas de permettre aux plus pauvres de s’élever, mais de conserver l’économie nationale à flot par tous les moyens.

La «dis-Grace» qui se veut présidente

Selon la grande majorité des observateurs, les événements de novembre ont été déclenchés par les manœuvres de la Première dame zimbabwéenne, Grace Mugabe, 52 ans, pour évincer ses potentiels concurrents et s’imposer comme dauphine naturelle de son mari à la tête du pays. Son dernier exploit a été de faire tomber un des plus sérieux potentiels successeurs à son époux, le vice-président Emmerson Mnangagwa, qu’elle accusait depuis des mois de tenter de déstabiliser le chef de l’État. En 2014, la vice-présidente Joyce Mujuru avait aussi été évincée, après une campagne de Grace Mugabe qui lui reprochait de vouloir renverser le président.
La Première dame est aussi influente au sein de la ZANU-PF, où elle dirige la Ligue des femmes, une branche très active qui lui assure un siège au bureau du parti. Au sein de cet appareil, les jeunes ont pris fait et cause pour elle.
Mais Grace Mugabe est loin d’avoir les faveurs de la majorité des Zimbabwéens. Elle a une très mauvaise réputation dans le pays, étant considérée comme égoïste, cruelle et pouvant se montrer violente.
Elle multiplie les coups d’éclat comme l’été dernier où, pour une raison encore obscure, elle s’en est violemment pris à un mannequin dans un hôtel sud-africain. Mettant à mal les relations entre les deux pays, elle avait invoqué l’immunité diplomatique pour échapper à la police, immunité qui lui avait été accordée. Quelques semaines plus tôt, elle avait invoqué cette même immunité, après avoir détruit le matériel de journalistes croisés à Singapour.
Grace Mugabe est aussi critiquée pour son goût immodéré pour le shopping de luxe. Elle a notamment lancé des poursuites contre un homme d’affaires libanais qu’elle accuse de ne pas lui avoir remis une bague de 1,35 million de dollars qu’elle avait commandée pour son anniversaire de mariage.
 
 
 
Un coup d’État qui n’en est pas un
La crise politique du Zimbabwe s’est développée pendant les décennies où un parti corrompu et les soi-disant «sécurocrates» ont pillé le pays tout en annihilant les opposants politiques et les critiques.
Pour la majorité des observateurs, les évènements récents ne sont pas tout à fait surprenants, car ce n’est pas la première crise que traverse le Zimbabwe. En 2002 et 2008, Mugabe s’était imposé aux élections sur fond de contestation et de répression. Le système zimbabwéen est un jeu ritualisé fondé sur l’affrontement de factions rivales. Les seigneurs de la ZANU-PF considèrent qu’ils ont fait l’indépendance et que le pouvoir leur appartient. Cette fois, le jeu du pouvoir semble avoir atteint un point de rupture et, pour la première fois, des opposants remettent en cause la qualité «quasi-divine» du pouvoir de Robert Mugabe, le libérateur du Zimbabwe et le vainqueur du régime ségrégationniste de la Rhodésie du Sud.
Mugabe s’est maintenu au pouvoir en orchestrant les luttes internes et en faisant jouer ces factions les unes contre les autres. Mais il ne peut plus le faire en raison de la sénilité, de la baisse de capacité physique et de la dégradation de la situation économique et sociale. Néanmoins, malgré son âge avancé, Robert Mugabe a toujours refusé de nommer un successeur et a même annoncé qu’il briguerait un nouveau mandat en 2018.
Cette fois-ci, les factions qui luttent pour la succession de Robert Mugabe sont la faction «Lacoste», qui soutient l’ancien vice-président Emmerson Mnangagwa, qui avait été démis le 6 Novembre par Mugabe, sous l’influence du groupe rival «Génération 40 (G40)», qui soutenait Grace Mugabe.
Bien que détestée dans le pays, Grace Mugabe se voyait déjà l’héritière naturelle du pouvoir et souhaitait être investie à la vice-présidence lors du prochain congrès de la ZANU-PF. Elle avait l’intention de créer une sorte de dynastie Mugabe et de survivre à son mari qui, à son avis, même mort récolterait des suffrages.
La montée de la faction organisée autour de Grace Mugabe – des politiques et des membres de sa famille plus jeunes, qui n’avaient pas fait la guerre de libération – a suscité de l’inquiétude au niveau de l’armée. Organisée selon un système de clientèle où les promotions étaient liées à la loyauté politique plutôt qu’à la compétence, l’armée craignait de perdre ses privilèges. Les vétérans, eux aussi des privilégiés du régime, craignaient qu’avec Grace Mugabe la lutte de libération fera partie du passé.
Par conséquent, l’armée est intervenue en faveur des «Lacoste» (baptisés ainsi en référence au «Crocodile», le surnom d’Emmerson Mnangagwa), alors que les G40 ont pris la fuite ou on été mis en détention. La police, les services de renseignement, dont les chefs étaient pro-G40, ont disparu de la circulation. Leurs quartiers généraux ont été neutralisés en premier, pendant la nuit. L’opération a été rondement menée, le pouvoir est tombé sans faire d’histoires.
Pour ne pas être qualifiés de putschistes, tout en réalisant un putsch, les militaires n’ont démis personne, à commencer par le président Robert Mugabe, mais ils ont laissé la ZANU-PF à Emmerson Mnangagwa, lui laissant les mains libres pour organiser des élections dont on comprend qu’il a l’intention de gagner. Ainsi serait validé le schéma baptisé «transition assistée par l’armée» en interne, dans la faction «Lacoste».
Le «crocodile» au pouvoir
Emmerson Mnangagwa – qui a prêté serment comme président le 23 novembre, devant plusieurs milliers de personnes réunies dans un stade à Harare – a toujours été perçu comme un partisan de la ligne dure et un soutien de l’armée au sein du gouvernement. Il entretient des liens étroits avec les militaires, étant à la fois un ancien ministre de la Défense et un ex-patron des services secrets du Zimbabwe. Il a joué un rôle clé dans les violences qui ont ensanglanté la présidentielle de 2008, remportée par Mugabe après le retrait de l’opposant Morgan Tsvangirai. Il est aussi soupçonné d’être l’architecte des «atrocités de Gukurahundi» dans le sud du pays dans les années 1980, alors qu’il était ministre de la Sécurité.
Originaire de Zvishavane (ex-Shabani), dans la province des Midlands, Emmerson Mnangagwa connaît l’exil dès l’âge de 12 ans, lorsque son père est chassé du pays pour avoir protesté contre une décision de l’administration coloniale britannique.Devenu étudiant au Hodgson Technical College de Lusaka, le jeune Emmerson fait partie d’un groupe d’agitateurs qui incendie la maison d’un professeur « blanc raciste » (ce sont ses mots), ce qui lui vaut l’exclusion. En 1962, il rejoint l’Union du peuple africain du Zimbabwe (ZAPU) et s’envole pour l’Académie militaire d’Héliopolis, dans l’Égypte de Nasser. Là, il décide de rejoindre d’autres rebelles, rassemblés au sein de l’Union nationale africaine du Zimbabwe (ZANU), dirigée par Robert Mugabe.
À son retour en Afrique australe, il est envoyé dans un camp du Front de libération du Mozambique (Frelimo), en Tanzanie, puis en Chine, où il est formé au marxisme et aux techniques de combat. De retour en Tanzanie, il prend la tête d’un petit groupe de guérilleros, baptisé les Crocodiles, ce qui allait lui donner le surnom.
Arrêté en 1965, Mnangagwa échappe à la condamnation à mort en se faisant passer pour un mineur de moins de 21 ans. Les dix ans de prison sont mis à profit pour passer ses diplômes de droit – à l’instar de son mentor, Mugabe, en détention à la même période. Les deux hommes seront côte à côte pour négocier les accords de Lancaster House, en 1979, qui aboutissent à la fin du régime raciste et à l’arrivée de la ZANU au pouvoir, par des élections.
Dès lors, Mnangagwa enchaîne les postes clés dans le dispositif de l’État et exécute fidèlement ses basses œuvres. Il est ministre de la Sécurité d’État et chef des services de sécurité de l’État lors des massacres de Gukurahundi, en 1983, qui font plusieurs milliers de morts dans la minorité ndébélée.
Il est aussi à la manœuvre lors de l’intervention zimbabwéenne en RD Congo, à partir de 1998, pour soutenir Laurent-Désiré Kabila. Cela lui vaut d’être désigné « principal stratège » du pillage des richesses congolaises par un rapport du groupe d’experts de l’ONU en 2002 (il agit en tout cas en bonne entente avec les autorités congolaises, avec lesquelles il est resté en relation).
Il soutient également l’occupation des grandes fermes commerciales détenues par des Blancs dans les années 2000. Pragmatique, il est néanmoins assez sensible aux intérêts des milieux d’affaires : lui-même disposerait d’intérêts opaques dans l’économie zimbabwéenne. En 2008, un câble de l’ambassade américaine, révélé par WikiLeaks, décriait le «patrimoine extraordinaire» de Mnangagwa, adossé notamment aux intérêts détenus dans diverses mines d’or.
Très discret et assez peu connu des Zimbabwéens jusqu’à son arrivée à la vice-présidence en 2014, il souffre d’un déficit de popularité. Battu deux fois lors de législatives, en 2000 et en 2005, il n’a siégé au Parlement que parce que Mugabe l’y a nommé. En fait, Mnangagwa doit sa puissance essentiellement à son contrôle de l’appareil sécuritaire et on le voit comme un président aussi autoritaire que Robert Mugabe. Dans une interview, il définissait ainsi sa vision du rôle d’un chef : «Il ne doit pas amener la population là où elle veut, mais là où elle doit aller. Qu’elle le veuille ou non, que ce soit difficile ou non.»
Des grands pouvoirs défavorables aux «coups»
La crise du Zimbabwe est aussi intervenue dans un contexte international qui n’est plus favorable au «coups», motif pour lequel les dirigeants de l’armée ont fait des efforts d’imagination pour que leur intervention ne soit pas traitée comme tel.
Ils ont surtout voulu rassurer la Communauté de Développement d’Afrique Australe (SADC) et l’Union Africaine que les élections déjà prévues auront bien lieu, que l’ordre constitutionnel reviendra dans les meilleurs délais et que le pays demeurera stabile du point de vue politique. D’ailleurs, une des premières promesses du nouveau chef de l’État, Emmerson Mnangagwa, a été d’organiser des élections comme prévu pour 2018.
La stabilité politique du Zimbabwe est surtout souhaitée par la Chine, le plus grand investisseur pour le pays, qui a tout intérêt à ce que le pays reste stable.
On a remarqué aussi que le coup de force contre Robert Mugabe est arrivé quelques jours seulement après le passage à Pékin du général Constantino Chiwenga, le chef de l’armée, et beaucoup d’observateurs sont d’avis qu’il a prévenu Pékin du bouleversement politique à venir.
Ce sont des compagnies chinoises qui, en 2015, ont scellé un contrat valant plus d’un milliard d’euros pour agrandir la plus importante centrale thermique du pays, décrit comme le plus grand projet d’infrastructure en trois décennies. Les chinois ont aussi investi pour la nouvelle académie militaire, pour un super-ordinateur pour l’université, le nouveau siège du Parlement et un centre médical dernier cri. En 2015, les investissements chinois en Zimbabwe ont atteint 450 millions Dollars U.S., plus de la moitié de l’investissement étranger dans le pays.
D’ailleurs, le journal officiel Global Times a récemment souligné que « l’amitié de longue date entre la Chine et le Zimbabwe survivra à ces perturbations internes ».
D’ailleurs, tandis que l’Occident a tenté d’isoler le régime Mugabe, la Chine a constitué une importante source d’emprunts et investissements, ayant des contacts au niveau des deux factions de la ZANU-PF. On estime que, tout en étant intéressée dans la stabilité, la Chine ne s’empresserait pas de pousser pour des réformes démocratiques dans le contexte des élections prévues pour 2018 au Zimbabwe.
Les évolutions en Zimbabwe sont aussi d’intérêt pour la Russie, comme l’a montré, durant les évènements, la visite en Afrique du Sud du vice-premier ministre russe Youri Trutnev, perçue par certains analystes comme ayant le but d’essayer de sauver  Robert Mugabe. Dans ce contexte, on a remarqué aussi que Grace Mugabe avait été en visite à Moscou seulement un mois avant les évènements, apparemment pour représenter son mari à une réunion de la Fédération Mondiale de la Jeunesse Démocratique.
La Russie est aussi intéressée des gisements de platine qui se trouvent au Zimbabwe, qu’on estime être les seconds du monde après ceux d’Afrique du Sud.
Des sources à Harare croient que la Chine, tout autant que la Russie, cherchent à protéger leurs intérêts en cultivant des factions rivales dans la ZANU-PF et certains analystes n’excluent pas une rivalité à l’intérieur du groupe BRICS, entre la Russie et l’Afrique du Sud, d’un côté, et la Chine de l’autre.
Perspectives
Pour le moment, Emmerson Mnangagwa semble pouvoir sauvegarder les intérêts de l’élite militaire et politique, tout en tentant de normaliser la situation du Zimbabwe. Il paraît être aussi capable de maintenir un semblant d’unité et éviter que les différentes factions règlent leurs comptes de façon sanglante.
Toutefois, on attend du successeur de Mugabe plus de coopération avec l’opposition et plus de respect des droits de l’homme. De même, il faudra être plus ouvert aux bailleurs de fonds internationaux afin d’essayer de rétablir la situation économique et sociale.
Les perspectives pourtant ne stimulent pas l’optimisme, bien que les actuels dirigeants donnent l’impression d’essayer d’organiser une sorte de transition constitutionnelle vers les élections prévues pour juillet ou août 2018. Un tel procès n’est pourtant pas estimé comme ayant des chances d’être libre et correcte vu les abus passés de Mnangagwa et des «sécurocrates» et leur intérêt à protéger leurs considérables richesses provenues des fermes, affaires et concessions de diamants.
En plus, Emmerson Mnangagwa, tout comme Constantino Chiwenga, le chef de l’armée et le leader du «coup qui n’en est pas un», sont connus comme des piliers du régime Mugabe, membres de la vieille garde et proches de l’ancien dictateur, dont on n’attend pas de faire les réformes que nécessite le pays.
On peut supposer aussi que la faction de Grace Mugabe n’accepterait pas de partir sans lutter pour ses propres intérêts, d’autant plus qu’elle fait partie du groupe ethnique zezuru/korekore (les Shona du centre et nord), dont les membres occupent la majorité des positions dans le gouvernement, justice, armée et institutions de force, tandis qu’Emmerson Mnangagwa fait partie du groupe karanga (les Shona du sud), qui se considèrent défavorisés. Certains observateurs locaux estiment même, dans ce contexte, que Grace Mugabe pourrait bien avoir de chances de «gagner» les élections de 2018 et de remplacer Mnangagwa et ceux qui lui sont loyaux.
Toutefois, les analystes considèrent comme plus vraisemblable une prise de pouvoir de la part de Mnangagwa, un des créateurs du système de contrôle du pays par la ZANU-PF, qui pourrait bien attirer un ou deux figures de l’opposition pour un rôle de cérémonie mais sans un pouvoir quelconque, tout come durant le soi-disant «gouvernement d’unité nationale» de 2009-2013.
Ce type de régime faux-démocratique mais qui assure la stabilité du pays ne pourrait pas survivre à la longue s’il n’est toléré tacitement sur le plan international. Malheureusement, l’Afrique du Sud, tout comme l’ancienne métropole Londres semblent préférer la stabilité au court terme aux réformes de longue durée et attendre voir ce qu’Emmerson Mnangagwa fera dans ses cinq ans de présidence.
 
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