Quand le Sénat se couche devant l’islam politique

Les sénateurs n’ont pas de courage, mais se réservent le droit d’en avoir un jour

« Élections sénatoriales, c’est parti », titrait le 4 septembre dernier sur son site la chaîne parlementaire Public Sénat. Comment ne pas soupçonner que c’est pour ces élections, qui auront lieu le 27 septembre prochain, qu’ont été bâclées les élections municipales ? Les élus locaux étant les grands électeurs des élections sénatoriales, le Président du Sénat ne pouvait que s’inquiéter qu’elles pussent être différées. Lors du premier tour des municipales, certains responsables politiques ne lui ont-ils pas imputé la faible participation des citoyens à ce scrutin (44,66%) ? Le second tour sera pire, avec une participation de 41,6%.

Crise sanitaire et économique aidant, jamais campagne sénatoriale n’aura démarré sur fond d’une telle défiance à l’égard des responsables politiques. Cette crise de confiance ne date pas du mensonge sur les masques de responsables politiques sans vergogne. Depuis des années, la perte de vue de l’intérêt du pays et le manque de courage des gouvernements successifs détournent nos concitoyens des urnes.

Le Sénat et l’ensauvagement

Laissons les politiques faire semblant de s’interroger sur les raisons de cette crise ! Jetons plutôt un œil dans les coulisses de leur petit théâtre démocratique de plus en plus déserté ! Comme on va le voir, ils sont les premiers à laisser filer en douce « l’État de droit ».

Le 28 août le Président du Sénat fustigeait « l’échec » et « l’impuissance de l’État régalien » face aux violences. Candidat à sa propre succession, un président de chambre ne peut que pointer du doigt cet échec et cette impuissance. « C’est un été où l’on a donné le sentiment que l’État de droit est en recul », a-t-il ajouté. Que faire ? Faire croire aux élus qui voteront fin septembre qu’on est à la pointe du combat pour la défense du « pacte républicain ». Bref, feindre que l’on agit. La vieille ficelle de la gesticulation ! Gérard Larcher décroche donc son téléphone et demande audience au Premier ministre. Il veut de toute urgence évoquer avec lui la question de la sécurité. Ne rêvons pas ! rien ne changera, mais le Président Larcher aura « bougé », répondant ainsi par avance aux reproches d’immobilisme qui pourraient lui être faits durant ses prochaines réunions sur le terrain avec les élus.

Au lieu de déplorer « le recul de l’État de droit » et de passer un coup de fil à Jean Castex, le Président Larcher aurait été mieux inspiré en balayant devant la porte de son Palais du Luxembourg. Examinons ce qu’il s’est passé lors de la commission d’enquête sénatoriale sur la radicalisation islamiste. C’est atterrant !

« Nous nous réservons le droit d’envisager des suites »

Plus qu’en lisant le rapport, c’est en prenant connaissance du compte rendu de sa présentation le 7 juillet dernier devant les membres de la commission d’enquête que l’on découvre le pot aux roses :

Mme Nathalie Delattre, présidente (RDSE – Rassemblement Démocratique et Social Européen). « – Deux auditions n’ont pu se dérouler dans de bonnes conditions. La première, celle du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), nous a mis face à deux personnes envoyées par l’association, mais qui n’en étaient pas représentantes – c’était au moins le cas pour l’une des deux. Nous avons écrit au CCIF, qui nous a répondu qu’il pensait pouvoir nous recommander des personnes à rencontrer, mais qu’il ne pensait pas que c’était lui-même que nous souhaitions auditionner. Chose extraordinaire ! La réponse édifiante, et par ailleurs victimaire, du CCIF est révélatrice. Je vous propose que nous l’annexions à notre rapport.

Jean-Yves Leconte (SOCR – Socialiste et Républicain). « – N’est-ce pas obligatoire de se présenter devant la commission d’enquête ?

Mme Nathalie Delattre « – Oui, c’est une obligation à laquelle on ne peut se soustraire. Nous nous réservons le droit d’envisager des suites. L’autre audition qui n’a pu se tenir est celle du président de l’ex-Union des organisations islamiques de France (UOIF), aujourd’hui Musulmans de France, qui était injoignable, prétextant que le secrétariat n’était pas ouvert à cause de la crise sanitaire. Même les ministres se sont rendus disponibles dans un calendrier contraint. Je souhaite que cet état de fait soit noté dans notre dossier. »

La formule est stupéfiante : « Nous nous réservons le droit d’envisager des suites ». Elle signifie en langage moins choisi : « Nous nous sommes couchés, mais nous nous réservons le droit de nous relever ». Soyons sérieux ! On est courageux ou on ne l’est pas, mais on n’envisage pas de le devenir. Quelles sont ces « suites » dont parle la présidente en se gardant de les rappeler ? « La personne qui ne comparaît pas ou refuse de déposer ou de prêter serment devant une commission d’enquête est passible de deux ans d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende » (Ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires : Art.6 modifié par Ordonnance n°2014-158 du 20 février 2014).

La démocratie des slogans

Un autre sénateur, Alain Cazabonne (UC – Union Centriste), revient un peu plus loin sur la question des « suites » à donner à cette non-comparution : « Quant aux personnes qui ne sont pas venu témoigner devant notre commission, il faut marquer le coup. » La présidente n’y prêtera même pas attention. En revanche, elle saluera « le travail de la rapporteure [Jacqueline Eustache-Brinio (LR)] conduit avec courage ». Dans la classe politique, le courage n’est plus une vertu. Il n’est qu’un mot qui sert à flatter les collègues. Difficile de ne pas se souvenir devant un tel « recul de l’État de droit » du slogan de campagne de Gérard Larcher lors des élections sénatoriales de 2014 : « Le Sénat peut relever la République ». Difficile également pour les électeurs de droite de ne pas être désemparés en l’entendant déclarer à la tribune de l’Université d’été des Républicains (LR) à la Baule : « Les Français veulent que cela change, mais ils ne savent pas encore d’où viendra ce changement. C’est nous qui devrons l’incarner ! » Quelle feuille de route ! Quand, en politique, il est devenu plus important de monter à la tribune que d’avoir quelque chose à dire, c’est que l’on est au bord de la rupture.

Ce que savent les Français, c’est qu’il n’y aura de changement dans notre pays qu’avec un homme ou une femme ayant montré qu’il avait eu un jour du courage. Gérard Larcher avait annoncé qu’il réunirait les présidentiables de la droite pour examiner selon quelle méthode son parti départagerait les candidats. Il perd son temps. Les Français savent que la fumée blanche ne sortira pas d’un palais où les politiques se révèlent incapables d’empêcher que la loi de la République soit bafouée par le CCIF et l’ex-UOIF dans l’enceinte même où elle a été votée. Il en sortira tout juste un nouvel enfumage. De nouveaux malheurs continueront de s’abattre sur la France.

Soumission

Le 2 septembre la Cour d’assises spéciale du Tribunal de Paris a ouvert le procès des attentats commis les 7 et 9 janvier 2015 au siège de Charlie Hebdo (12 morts, 11 blessés) et à l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes (4 morts, 5 blessés), sans oublier l’assassinat le 8 janvier à Montrouge d’une jeune policière municipale.

Que les sénateurs lisent les comptes rendus d’audience : « … Coco a raconté comment elle avait quitté la salle de rédaction à 11h20 pour aller fumer une cigarette avec Angélique avant d’aller chercher sa fille à la crèche. Les deux Kouachi surgissent au moment où elles sortent de la cage d’escalier, ils braquent leur arme sur Coco, qu’ils ont reconnue et qu’ils prennent en otage afin qu’elle les mène à Charb : « On veut Charlie Hebdo, on veut Charb ! » Ils menacent Angélique : « Toi tu restes là. » Coco raconte cette ascension vers les locaux de Charlie comme les étapes d’une destruction personnelle qui va entraîner une destruction collective… »

Le mercredi 7 janvier 2015, une demi-heure plus tard, à midi, le Président Gérard Larcher s’est rendu sur les lieux du massacre de la rédaction du journal satirique. Ce même jour, quelques heures plus tôt, à 9 heures, était mis en place dans toutes les librairies de France, le livre de Michel Houellebecq, Soumission.

Ce titre pourrait être celui du rapport du Sénat.

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