Solde migratoire: l’échange inégal

Nous exportons des jeunes diplômés aux idées libérales et nous importons des familles sous-qualifiées aux mœurs rétrogrades. Ce système de vases communicants se traduira par un appauvrissement du pays.

En 2019, 275 000 adultes originaires d’un pays extérieur à l’Union européenne se sont installés en France, parmi lesquels environ 50 000 personnes dont la situation illégale a été régularisée par faveur du gouvernement [1]. Ces chiffres résultent du rapport annuel du ministre de l’Intérieur au Parlement. C’est la seule source dont nous disposons sur le sujet, une source particulièrement difficile à comprendre pour qui n’est pas au fait des arcanes juridiques du Ceseda, le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Les données pour 2020 n’ont pas encore été publiées.

275 000 personnes, c’est une ville de la dimension de Bordeaux ou de Strasbourg. Ce chiffre ne comprend pas les enfants, mais il inclut les étudiants, qui ne devraient pas s’y trouver. Peu importe au demeurant ! Les volumes suffisent à souligner l’ampleur du phénomène, d’autant que ce nombre ne fait qu’augmenter, année après année. En 2015, les nouveaux entrants étaient 217 500. En cinq ans, 1 229 000 personnes se sont installées en France dans le cadre de l’immigration, toutes ou presque destinées à y faire souche. La majorité se concentre dans les mêmes territoires. La moitié vient d’Afrique, le tiers du Maghreb. C’est une constante de notre histoire migratoire depuis un demi-siècle, les étrangers les plus nombreux à vouloir s’installer en France proviennent d’Algérie. Quand on sait les relations que la France entretient avec ce pays depuis son indépendance, le constat ne manque pas d’étonner.

Je rencontre des femmes qui résident en France depuis des décennies sans parler un mot de français

Pourtant, cet apport de plus d’un million d’habitants n’a pas eu d’incidence sur le volume global de la population car, dans le même temps, le même nombre de Français, ou presque, a émigré à l’étranger. Terre d’immigration pendant longtemps, la France est devenue un réservoir de main-d’œuvre pour d’autres pays à l’attractivité plus grande. D’une certaine façon, à travers ce mécanisme de vases communicants, est en train de s’opérer le remplacement d’une population par une autre. C’est sans doute ce phénomène qui inquiète le plus les Français, même si la statistique publique ne permet pas d’en mesurer la portée. En dehors du nombre des Français de l’étranger qui participent aux élections, elle ne sait rien de ceux qui partent. Intuitivement, en regardant autour d’eux, les Français savent que ce sont pour l’essentiel des jeunes gens formés dans les meilleures écoles et que ceux qui arrivent sont le plus souvent dépourvus de tout bagage scolaire. Je n’échappe pas à la règle. J’ai, comme tous mes amis, des enfants installés à l’étranger et des petits-enfants de nationalité étrangère.

Rapporté de cette façon, le mouvement migratoire serait globalement neutre. Le rapport du ministère insiste d’ailleurs, dans son introduction, sur notre mauvaise appréciation du sujet. Son rédacteur – anonyme – souligne que le nombre des étrangers estimé par l’Insee n’est que de 5 millions de personnes, soit 7,5 % de la population totale du pays, et que la part des personnes nées à l’étranger ne dépasse pas 12,5 %. Comparée aux autres pays de l’Union européenne, la France comprendrait ainsi un taux de personnes étrangères plus faible que ses voisins. Pourquoi, dès lors, les Français seraient-ils inquiets ?

En vérité, il est impossible de comparer les pays de l’Union européenne en se fondant sur la seule distinction qu’offre le droit, c’est-à-dire la nationalité, car dans un pays comme le nôtre, où l’accès à la nationalité est plus rapide que dans la plupart des autres, le pourcentage des étrangers est mécaniquement plus faible. C’est d’autant plus évident que la presque totalité des enfants nés en France deviennent français avant leur majorité, ce qui n’est pas le cas ailleurs.

Le droit français de la naturalisation est, de surcroît, demeuré libéral. Il accepte que le nouveau Français conserve sa nationalité antérieure, respecte deux allégeances, qu’il possède deux passeports et use de l’une ou l’autre de ses nationalités à sa convenance, y compris pour voter. Dans ces conditions, si la possession de la nationalité française constitue une qualification juridique probante, facile à utiliser pour l’arithmétique des grands nombres, elle reste sujette à caution pour qui voudrait mesurer les effets de l’assimilation. C’est une réflexion que j’entends très souvent concernant les cités que je visite : « Ils sont français ! » Certes, mais de quelle manière sont-ils français ? Beaucoup d’adolescents, qui ont acquis la nationalité de manière automatique, n’ont pas une idée très précise de la nation à laquelle ils appartiennent.

En vérité, les flux croisés de population ne peuvent être neutres. Ils soulèvent même de considérables difficultés pour la société d’accueil. Que ce soit en matière d’usage de la langue, de niveau d’éducation ou de pratique religieuse, la confrontation des modes de vie provoque de vraies tensions au sein de la société française. Et elle en provoque d’autant plus que la France ne peut se concevoir comme une juxtaposition de communautés différentes mises au service d’une minorité dirigeante, sur le modèle de la mondialisation anglo-saxonne. L’harmonie est rompue. L’école, ouverte à tous, est à la peine face au nombre grandissant des élèves allophones. Dans les transports en commun franciliens, le français devient une langue minoritaire. Et les Français craignent de devenir la minorité autochtone d’un pays ouvert au multiculturalisme, dont l’islam serait la religion dominante.

En deux mots, ce n’est pas l’immigration qui pose problème, mais notre capacité à intégrer des familles qui ne parlent pas notre langue, ne comprennent pas notre culture et ne partagent pas nos principes. Comme dans la cuisine, la mixité a des vertus quand les dosages sont respectés. Il n’est pas interdit de rajouter de la farine dans la sauce, mais quand la saturation provoque des grumeaux, il est temps d’arrêter. En matière d’immigration, les grumeaux, ce sont les îlots communautaires qui parsèment notre géographie d’enclaves refermées sur elles-mêmes, mais reliées à un autre pays du monde grâce au miracle de la 4G et du transport aérien low cost.

Le plus grave reste à venir, car l’immigration non encadrée – les Français l’ont appris à leurs dépens au cours des quarante dernières années – bénéficie d’un fort capital de croissance. Un étranger qui s’installe en France, quel que soit son parcours, s’ouvre le droit d’épouser à l’étranger un conjoint de nationalité étrangère et de vivre en France en famille. Ce couple, s’il provient d’un pays d’Afrique ou d’Asie, aura probablement des enfants en nombre plus grand qu’un couple d’origine française du même âge. Nous savons que la surfécondité des femmes étrangères est surtout évidente à la première génération, les comportements ayant tendance à se rejoindre à la génération suivante. Entre-temps, il est possible que le premier émigré ait acquis la nationalité française et qu’il soit sorti des statistiques. Si tel est le cas, ce Français ou cette Française pourra épouser à l’étranger une ou un conjoint étranger et leur union sera qualifiée de « mixte », fournissant aux chantres de l’intégration heureuse un argument pour leur office.

Un exemple suffit à l’expliquer. M. est entré en France de manière clandestine en 2000. En 2005, il a obtenu une régularisation de sa situation. Titulaire d’une carte de séjour, il peut retourner dans son pays pour épouser la jeune femme choisie par la famille. En 2019, 90 000 étrangers sont entrés en France au titre d’un motif dit « familial ». Très vite, le couple a trois enfants, élevés par la mère dans la culture du pays d’origine. En 2015, après dix années de séjour régulier (c’est la moyenne), M. devient français par naturalisation. Ses enfants le deviennent aussi. Le bailleur social, dans le respect des normes gouvernementales, a installé la famille dans un quartier où elle a retrouvé d’autres familles de la même ethnie ou de la même région. Si l’école n’existait pas, les enfants ignoreraient le pays où ils vivent. Je rencontre des femmes qui résident en France depuis des décennies sans parler un mot de français. Dans cinq ans, les aînés seront en âge de se marier, selon le même processus, avec un conjoint choisi dans le pays d’origine. M. aura six petits-enfants, ou plus. En deux générations, la décision de franchir la frontière se sera traduite par un ensemble familial de quatorze individus. En 2000, 30 000 clandestins environ ont franchi l’une de nos frontières.

Les processus enclenchés dès 1976, et qui ont abouti à la situation que nous connaissons aujourd’hui dans les banlieues françaises, sont toujours à l’œuvre : enfermement des nouveaux arrivés dans des quartiers spécifiques, pénurie d’emplois, échec scolaire… En 1976, l’immigration concernait à titre principal les épouses de travailleurs demeurés en France. Aujourd’hui, elle concerne d’abord des conjoints de Français d’origine étrangère. Surtout, c’est la part de ceux qui s’installent en France sans y avoir été conviés ou acceptés qui déséquilibre le mouvement naturel de l’intégration. Ceux-là sont, par construction, dépourvus d’emploi et de formation. Ce sont majoritairement des hommes jeunes, de moins de 25 ans, qui généreront, comme dans notre exemple, une nouvelle migration, régulière cette fois. Surtout, ces nouveaux migrants proviennent de pays de plus en plus étrangers à notre langue et à nos modes de vie.

Au moment où j’écris ces lignes, c’est la question des réfugiés afghans qui interpelle les médias. Il va de soi qu’on ne saurait abandonner à leur sort les Afghans qui se sont engagés pour la France, comme nous avons abandonné jadis les Harkis à leur infortune. Ils sont 7 000, nous dit-on ! On peut s’étonner du nombre. Avons-nous bénéficié du concours de 7 000 supplétifs ? En tout état de cause, ces réfugiés rejoindront bientôt les 50 000 Afghans déjà installés en France. Tous ou presque sont de jeunes adultes – des hommes exclusivement – ayant quitté leur pays pour rejoindre l’Angleterre et qui se sont trouvés pris au piège dans la nasse de Calais. Ils parlent anglais et ont fini, faute de mieux, par demander l’asile en France. Ils y représentent désormais le premier contingent de demandeurs d’asile. La moitié d’entre eux a été déboutée. On comprend mal que de jeunes résistants afghans se soient trouvés en France alors que leur pays allait être plongé dans le chaos. Ils sont restés faute de pouvoir être reconduits. J’ignore où la population afghane va s’installer. Les Russes tchétchènes, qui ont suivi avant eux le même parcours, sont majoritairement installés en Alsace où ils ont leurs mosquées et leurs institutions. Ces Afghans, qui pratiquent un islam sunnite rigoriste, feront eux aussi venir leurs épouses, peu enclines à abandonner la burqa, et auront des enfants, en nombre sans doute plus grand que le Monsieur M. de notre exemple.

Évidemment, tous les nouveaux venus ne seront pas insensibles à la culture française. Certains maîtriseront la langue, liront sa littérature, acquerront une situation professionnelle stable et envisageront de se marier en dehors de leur communauté. Certains porteront haut les couleurs de la France et leurs enfants appartiendront peut-être à l’élite de ce pays. Mais pour un médecin, combien de livreurs de pizza ? Et pour une avocate, combien de mères au foyer, gardiennes de la tradition ?

En tout état de cause, la politique de l’immigration n’est pas sans faire penser à la politique budgétaire. Les intérêts se payent sur le long terme, quand ceux qui ont pris les décisions ne sont plus là pour en rendre compte. À tout le moins, un ensemble de tableaux chiffrés, difficiles à croiser, ne peut faire une opinion. Le rapport au Parlement issu de l’article L. 111-10 du Ceseda ne suffit pas à embrasser l’étendue de la question. La crainte de générer des discriminations a restreint le champ de la recherche. On ne débat, sur ces questions, que de l’écume d’une vague qui a pourtant l’ampleur d’une lame de fond. L’inquiétude des Français repose sur des constats du quotidien, que formulent les enseignants dans leurs classes, les bailleurs sociaux, les élus locaux, les salariés confrontés à la concurrence de nouveaux venus ou les usagers du RER immergés dans le brouhaha des langues, mais les chiffres qu’on leur fournit ne répondent pas à leurs questions. Dans ces conditions, on ne saisit pas la façon dont seront organisés les référendums que proposent certains candidats à la présidence de la République. Dès lors que les considérants sont aussi mal connus, comment formuler la question ?

Personne, évidemment, ne s’oppose à l’arrivée de nouvelles familles ; beaucoup sont même ravis de trouver à bon compte une main-d’œuvre peu regardante quant à ses conditions de travail. C’est l’effet de masse qui inquiète, dès lors qu’elle se traduit par l’agrégation dans les mêmes territoires de populations de même origine. En tout état de cause, il faudrait pour les loger 200 000 appartements de plus quand nous en avons construit, l’an dernier, 76 000. Et la crise budgétaire qui s’annonce n’aidera pas à trouver des solutions. Quant à la politique implicite qui consiste à favoriser le départ des diplômés pour accueillir à leur place des personnes en difficulté d’intégration, elle ne manquera pas de provoquer à court terme un durable appauvrissement du pays.

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