Les raisons de la crise ouverte avec le Mali qui expulse l’ambassadeur de France

L’ambassadeur de France au Mali, Joël Meyer, a reçu 72 heures pour quitter le pays après les propos du Ministre des Affaires étrangères français mettant en cause la « légitimité » de la junte militaire. Un pas de plus vers la rupture entre les deux pays.

Le point de rupture approche à grand pas. L’expulsion annoncée hier de l’ambassadeur de France au Mali n’est pas un simple coup de colère de la junte militaire au pouvoir à Bamako après des propos peu diplomatiques de Jean-Yves Le Drian : c’est le signe qu’un point de non-retour a peut-être été atteint, après des semaines de dégradation des relations.

Le communiqué malien qualifie d’« hostiles et outrageux » les propos du Ministre français des Affaires étrangères qui n’avait pas hésité à qualifier d’« illégitime » le pouvoir militaire malien. On est au-delà de la guerre des mots quand c’est la « légitimité » de l’autre qui est remise en cause.

De fait, la France a déjà pris acte de l’impossibilité de poursuivre comme avant les opérations de son armée dans la zone sahélienne, neuf ans après l’intervention décisive qui avait stoppé une colonne djihadiste en route pour Bamako, puis libéré le nord du Mali. Les conditions politiques ont totalement changé depuis les scènes de joie de 2013, et la France paye le prix de ne pas l’avoir anticipé assez vite.

Ce qui a changé, c’est que l’action des djihadistes a totalement déstabilisé la région sahélienne : le nombre de victimes civiles n’a cessé d’augmenter et la zone d’insécurité de s’étendre, alors même que le dispositif militaire international grossissait : la force française Barkhane, les casques bleus de la Minusma, les formateurs européens de l’EUTM, et enfin Takuba, la dernière née, réunissant les forces spéciales de plusieurs pays européens.

Lorsque ces armées internationales ajoutées aux armées locales ne parviennent pas à enrayer une violence abominable, avec des raids faisant à chaque fois des dizaines de villageois tués, c’est tout l’édifice politique qui s’est effondré. La faillite d’États fragiles a entrainé avec elle la mise en cause de ces armées étrangères incapables de changer la donne sécuritaire, et en premier chef celle de l’ancienne puissance coloniale, la France.

C’est ce qui explique que les coups d’état militaires à répétition, au Mali et depuis peu au Burkina Faso, ont été accueillis avec joie par les populations. Les constitutions ou les présidents élus ne pèsent plus lourd lorsque la confiance a disparu, et l’armée apparait comme un ultime recours ; la suite dira si c’est une illusion, mais c’est la réalité politique actuelle. C’est le cœur de l’incompréhension que traduit la querelle en « légitimité » lancée par Jean-Yves Le Drian : qui décide de la « légitimité » ? Pas la France, lui répondent les militaires maliens.

Paris va devoir s’adapter à cette nouvelle donne, dans un climat hostile à l’ancien colonisateur associé aux États défaillants. Au Mali, ça risque d’autant plus de passer par une phase de rupture que la junte militaire a choisi de faire venir des mercenaires russes du groupe Wagner, et s’oppose aux décisions des organisations régionales poussant à un retour rapide à la vie civile.

La France et ses partenaires européens vont devoir réviser leur dispositif pour tenir compte du fait que leur forte visibilité n’est plus acceptée en l’absence de résultats tangibles. Comment « passer sous le radar » tout en maintenant un dispositif efficace, sans doute recentré sur le Niger ? Comment surtout empêcher que l’insécurité ne s’étende désormais aux pays plus au sud menacés, la Côte d’Ivoire, le Togo ou le Bénin ?

Cette révision stratégique s’effectue dans les pires conditions sur le terrain, et avec le risque d’une politisation, sans doute inévitable, de cet échec dans le contexte électoral français. La terreur djihadiste, de ce point de vue, a réussi son coup.

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