La guerre en Ukraine a mis en lumière les États baltes et les pays d’Europe centrale et orientale, géographiquement les plus proches de la Russie, notamment la Pologne. Varsovie est déterminé à tirer les leçons de sa propre histoire et à aider l’Ukraine à gagner la guerre.
Depuis que la Russie a envahi l’Ukraine, il y a près d’un an, la Pologne vit avec le poids de la menace russe. Depuis février 2022, huit millions d’Ukrainiens ont franchi la frontière vers le territoire polonais et la majeure partie de l’aide de l’Otan passe par ce pays, qui partage 535 kilomètres de frontière avec l’Ukraine.
Alors que la perspective d’une nouvelle offensive russe au printemps en Ukraine occupe les esprits, la Pologne semble, elle aussi, se préparer à une guerre.
En effet, si le soutien de la Pologne à l’Ukraine a été jusqu’ici sans commune mesure, il trouve sa source dans la conviction que si la Russie n’est pas vaincue, la Pologne elle-même deviendra une cible.
Ces préoccupations sécuritaires ont conduit le pays à moderniser son armée et à augmenter ses dépenses allouées à la défense jusqu’à 4 % de son PIB cette année – la part la plus élevée parmi tous les pays de l’OTAN, selon le Premier ministre Mateusz Morawiecki.
“Si nous ne soutenons pas l’Ukraine maintenant, il y aura de nouvelles cibles pour [Vladimir] Poutine”, prévient Paweł Jabłoński, vice-ministre polonais des Affaires étrangères. “Un politicien russe a récemment suggéré que la Russie devrait ‘dénazifier’ six autres pays après l’Ukraine, dont la Pologne. Ce que nous faisons maintenant, nous le faisons par solidarité et en soutien aux victimes.”
“L’opinion dans toute la société polonaise est que si la Russie réussit en Ukraine en revendiquant des territoires, que ce soit à Kherson ou à Zaporijjia, il y aura une prochaine guerre, et une autre après cela…”, explique quant à lui Łukasz Jankowski, journaliste politique qui couvre le parlement polonais. “Le sentiment est que notre sécurité fondamentale et notre indépendance seront en danger si la Russie gagne”.
La menace de la Biélorussie
L’autre crainte est que les troupes russes regroupent les territoires arrachés à l’Ukraine et “créent un gouvernement comme celui de Minsk”, explique Lukasz Jankowski.
Après l’éclatement de l’URSS, un traité international entre la Russie et la Biélorussie, signé en 1997 par le président Boris Eltsine et Alexandre Loukachenko, a jeté les bases d’une union entre les deux anciennes républiques soviétiques. Les deux pays ont conservé leur indépendance, mais même sans y prendre part directement, le président Loukachenko a toujours soutenu les initiatives militaires de la Russie.
Si la guerre en Ukraine devait s’éterniser, certains en Europe de l’Est craignent que la Russie ne finisse par viser les États baltes. “Cette guerre ne porte pas sur le territoire de l’Ukraine mais sur l’indépendance de l’Europe de l’Est. C’est pourquoi nous devons soutenir l’Ukraine et il ne devrait y avoir aucune limite à cette aide”, estime Lukasz Jankowski.
Le soutien de la Pologne à l’Ukraine s’est particulièrement manifesté lorsqu’il s’est agi de la réponse humanitaire du pays. C’est en 2014, année de l’invasion de la Crimée par la Russie, que la Pologne a commencé à voir arriver un nombre croissant d’Ukrainiens sur son sol. “Nous avons opté pour un moyen très simple de leur permettre de travailler”, déclare Paweł Jabłoński..
À la suite de l’invasion russe l’année dernière, un afflux de huit millions de réfugiés a traversé la frontière polonaise. Beaucoup ont finalement rejoint la Roumanie et la Moldavie tandis que d’autres sont finalement rentrés chez eux. Les arrivées récentes ont porté le nombre total d’Ukrainiens vivant en Pologne à 3,37 millions de personnes. “Dans chaque ville polonaise, vous pouvez rencontrer quelqu’un d’Ukraine. Il n’y a jamais eu de ghettoïsation. Leur intégration était pratiquement sans faille et aujourd’hui, les Ukrainiens représentent 8 % de la population totale en Pologne”, précise le vice-ministre polonais des Affaires étrangères.
Un lien fort après des épisodes sombres
“De nombreux Polonais qui accueillent des réfugiés ukrainiens chez eux considèrent l’Ukraine comme une nation toute neuve, et ils considèrent la relation entre la Pologne et l’Ukraine comme une fraternité”, relate Lukasz Jankowski.
L’histoire entre les deux pays n’est pourtant pas sans épisodes sombres. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Polonais ont été victimes d’un nettoyage ethnique de la part des nationalistes ukrainiens ; les Polonais, quant à eux, ont déporté de force des milliers d’Ukrainiens.
Des décennies plus tard, à partir de 1995, l’ancien président polonais Aleksander Kwaśniewski et son homologue ukrainien Leonid Koutchma ont officalisé une réconciliation historique entre leurs deux pays.
Le lien étroit entre Pologne et Ukraine repose d’abord sur des langues similaires et une histoire commune. En 1997, les deux États bénéficiaient d’un régime sans visa. L’expérience des Ukrainiens dans un grand pays slave doté d’institutions publiques qui fonctionnent et d’un marché libre a par ailleurs contribué à stimuler les appels à la réforme en Ukraine, a écrit l’historien Timothy Snyder dans son livre “The Construction of Nations”. Au début du siècle, la Pologne a résisté aux pressions de l’Union européenne (UE) pour mettre fin à son régime d’exemption de visa avec l’Ukraine, affirmant son droit de remplir ses obligations une fois son adhésion à l’UE devenue officielle. Une fois que la Pologne a rejoint l’UE, ses arrangements spéciaux avec l’Ukraine ont pris fin.
“Solidarité sélective”
Mais si la Pologne a été un modèle dans l’accueil des réfugiés ukrainiens, son hospitalité envers les réfugiés d’autres pays est discutable. Un rapport d’Amnesty International décrit en détail la “solidarité sélective” de la Pologne, qui accueille les Ukrainiens fuyant la guerre et refuse l’entrée à d’autres réfugiés, principalement originaires de Syrie, d’Irak ou d’Afghanistan, qui tentent d’entrer en Pologne par la frontière avec le Biélorussie.
Y a-t-il un élément d’intérêt personnel dans l’aide considérable apportée par la Pologne à l’Ukraine ? Le vice-ministre polonais des Affaires étrangères balaie cette idée, affirmant plutôt que la priorité numéro un était de défendre l’Ukraine et les États d’Europe centrale contre une Russie renaissante. “En 2021, la Russie a exigé que l’OTAN se retire de l’Europe centrale. Si notre position internationale se renforce alors que nous aidons l’Ukraine à gagner la guerre, nous en serions heureux”, poursuit-il.
“Si l’Allemagne avait adopté une position plus forte pour l’Ukraine, nous n’aurions pas eu à assumer ce rôle. J’aimerais que nous n’ayons pas à endosser ce rôle”, affirme Paweł Jabłoński, tout en citant le déséquilibre de pouvoir entre l’Europe centrale et l’Europe occidentale, dont les citoyens occupent souvent les postes de direction au sein des institutions européennes.
“Renforcer l’OTAN et être une force motrice en son sein”
Une opportunité de développer le rôle de l’Europe centrale se trouverait dans un futur traité polono-ukrainien, qui pourrait être signé dans les semaines ou les mois à venir. Le comparant au traité de l’Élysée entre la France et l’Allemagne, Paweł Jabłoński explique qu’il s’agirait d’un vaste accord en matière de sécurité, de culture et d’économie. Le traité ne serait “certainement pas” une alternative à l’OTAN. “Nous voulons renforcer l’OTAN et être une force motrice en son sein”, a déclaré le vice-ministre des Affaires étrangères.
Lorsqu’il s’agit d’intégrer l’Ukraine dans l’UE, les dirigeants et les observateurs polonais ne se font aucune illusion. “Nous savons que la corruption existe au sein de l’administration ukrainienne, mais la Pologne [qui a rejoint l’UE en 2004] peut aider grâce à son savoir-faire”, estime Lucasz Jankowski.
Avec l’élargissement de l’UE, les citoyens de Russie, de Biélorussie et d’Ukraine se sont retrouvés matériellement et symboliquement séparés de “l’Europe”, selon Timothy Snyder, qui note que la frontière dure a pu être utile à des dirigeants autoritaires comme Alexandre Loukachenko. En aidant l’Ukraine, la Pologne tient compte des “leçons qui ont été répétées dans le passé”, déclare Paweł Jabłoński, “parce que sinon, nous pourrions être à nouveau victimes”.