Guerre en Ukraine : pour l’Europe, adapter le discours à la réalité

Empêcher la Russie de « l’emporter », comme l’a exprimé, jeudi, Emmanuel Macron lors de sa rencontre à Paris avec le président ukrainien, impliquera un engagement financier et militaire plus important que celui fourni jusqu’ici. Et de préparer, avec le reste des institutions, l’opinion à la gravité de la situation.

Ovationné, honoré, salué par deux rois, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a achevé jeudi soir 9 février, une tournée européenne de deux jours qui l’a mené à Londres, à Paris et à Bruxelles, au moment où la guerre livrée par la Russie contre son pays aborde une nouvelle phase critique.

Les responsables de la défense à Kiev redoutaient le lancement d’une nouvelle offensive russe dans l’est de l’Ukraine au moment du premier anniversaire de l’invasion du pays, le 24 février : tout porte à croire que cette offensive a commencé. Les experts militaires notent des concentrations de troupes fraîches côté russe, face à des forces ukrainiennes qui commencent à marquer le pas après un an de combats et n’ont pas l’avantage du nombre. Et une attaque massive de missiles russes a été lancée, vendredi, contre plusieurs villes d’Ukraine.

Il est donc essentiel pour le président Zelensky et son équipe d’obtenir davantage d’aide militaire de la part des pays occidentaux : c’était le but de son voyage. Hormis le Hongrois Viktor Orban, ses collègues européens lui ont fait le meilleur accueil, certains ne résistant pas, au passage, à la tentation de profiter de l’aura de ce chef d’Etat en tenue de combat – les héros sont si rares de nos jours en politique. Mais le président ukrainien était venu chercher plus que de la chaleur ; il ne voulait pas, a-t-il dit à Bruxelles, « rentrer chez lui les mains vides ».

Il n’a pas eu ce qu’il a demandé expressément : des avions de chasse. Mais il s’est rapproché un peu plus de la famille de l’Union européenne et, surtout, il a pu mesurer à quel point ses alliés européens ont eux aussi atteint un seuil critique à l’égard de la guerre. Plus Vladimir Poutine intensifie son assaut de l’Ukraine, plus la solidarité de l’Europe est inéluctable. Car si la guerre russe a commencé comme une menace existentielle pour l’Ukraine, elle est devenue, au bout d’un an, existentielle aussi pour l’Europe. Laisser aujourd’hui la Russie gagner la guerre qu’elle a lancée serait récompenser l’agresseur, placer ses voisins à la merci permanente d’une autre attaque, anéantir définitivement tout ordre européen, renier les valeurs du monde démocratique, renforcer la Chine… Les conséquences sont incalculables.

Evolution du vocabulaire

C’est probablement à cette perspective que songeait le président Emmanuel Macron lorsqu’il a dit mercredi à l’Elysée, aux côtés de M. Zelensky et du chancelier Olaf Scholz : « La Russie ne peut pas, ne doit pas l’emporter. » Les mots ont un sens et M. Macron sait les choisir. L’évolution de son vocabulaire illustre celle de l’enjeu pour l’Europe, à mesure que le coût de l’agression augmente pour l’Ukraine. M. Macron ne parle plus aujourd’hui de « ne pas humilier la Russie » ni de lui trouver des « garanties de sécurité ». Le 31 décembre 2022, il avait promis d’aider l’Ukraine « sans faillir, jusqu’à la victoire ». S’il ne prononce pas encore le mot « défaite » pour la Russie, il admet qu’on ne peut pas la laisser gagner.

Si les mots ont un sens, celui-ci est lourd. Empêcher la Russie de « l’emporter » impliquera un engagement financier et militaire plus important que celui fourni jusqu’ici. Cela implique une industrie d’armement qui tourne à plein régime, des sanctions plus sévères encore, des sacrifices sur d’autres postes budgétaires, une société résiliente et solidaire. Cela veut dire, comme l’avait plaidé Emmanuel Macron, le 19 août 2022, « payer le prix de la liberté ». C’était il y a six mois. Le moment est venu d’adapter le discours public à la réalité et de préparer, avec le reste des institutions, l’opinion à la gravité de la situation.

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