Depuis plus d’une décennie, l’exploitation aurifère, légale ou illégale et officielle ou informelle, connait une foudroyante expansion à travers tout le Sahel. Ses acteurs sont nombreux et vont des multinationales canadiennes et russes aux petits opérateurs informels locaux. Les revenus financiers et surtout les emplois créés, même très dangereux, sont considérables pour tous : sociétés privées, gouvernements et petits exploitants ainsi que leurs fournisseurs d’équipements, généralement du Moyen orient.
Plus que les autres activités industrielles, l’exploitation de l’or au Sahel a un impact avéré sur la santé des travailleurs et sur l’environnement. Ceci est surtout vrai de ses activités informelles. Les puits, creusés pour atteindre le minerai ainsi l’usage du mercure afin de séparer l’or de la roche, sont des dangers mortels et durables pour tous : les personnes et la nature. Pour bon nombre d’observateurs cette exploitation informelle de l’or a des liens avérés avec les activités des groupes radicaux.
Ainsi, en déstabilisant l’exploitation régulière des mines d’or, se sont- ils donnés plus d’espace et de liberté pour en tirer des revenus locaux durables loin de tout contrôle national ou international des transferts de fonds. La récente évasion meurtrière de quatre terroristes de la principale prison civile de Nouakchott, déjà un privilège, est la dernière démonstration de force des multiples et puissants réseaux de ces groupes dans le Sahel.
Le texte qui suit, consacré à l’exploitation de l’or au Burkina Faso, montre l’importance de ce minerai précieux pour tous mais pas seulement les sociétés privées et les gouvernements.
Ahmedou Ould Abdallah, Président centre4s.org
Burkina Faso : l’insécurité et chute production d’or de 13 %
L’or est le principal produit d’exportation du Burkina Faso, depuis 2008. Ce métal représentait 77,4% des exportations du pays en 2021, soit 2 172 milliards de FCFA. Sa production a reculé de 13,73% en 2022 par rapport à 2021, passant de 66,8 à 57,6 tonnes. Raison principale : la fermeture de cinq mines industrielles sur les dix-sept que compte le pays, pour des raisons liées au contexte sécuritaire. Les terroristes ont donc choisi de frapper le pays au portemonnaie. La sécurisation du secteur minière fait, désormais, partie des préoccupations nationales.
Au Burkina Faso, le développement du secteur minier a été réalisé grâce à l’intensification des investissements et à l’ouverture des mines industrielles accompagnées par une évolution du contexte législatif et réglementaire. En effet, les recettes d’exportations sont essentiellement constituées de produits miniers et agricoles. L’or arrive en première position, avec une valeur de 2 172 milliards de FCFA, soit 77,4%. En deuxième et troisième positions, viennent le coton (9,0%) et le zinc (3,1%). Les 2 produits miniers, l’or et le zinc, représentent environ 80,5% des recettes d’exportations. Les autres principaux produits d’exportation sont essentiellement constitués d’oléagineux notamment les noix de cajou (2,3%), le sésame (1,2%) et les amandes de karité (0,8%). Les exportations y sont passées de 518 milliards de FCFA, en 2020, à 2 806,1 milliards, en 2021. En 2021, les exportations ont été estimées à 2 612, 5 milliards contre 2 405,4 milliards de FCFA en 2020. La balance commerciale a été excédentaire de 193,6 milliards de FCFA, grâce à la hausse des prix de ces produits de base. Le secteur minier a contribué à 14,3% aux recettes de l’État en 2020.
Le Burkina Faso, une puissance aurifère.
En 2015, sous le régime de Transition post-insurrectionnel, a été institué le Fonds minier de développement local (FMDL), alimenté par deux sources. La première est la contribution de l’État à hauteur de 20% des royalties payés par les sociétés minières. La seconde est la contribution des sociétés minières au développement de leur localités d’implantation, sur la base de leur (s) projet (s) minier (s) en phase de production, et les détenteurs de titres d’exploitation de substances de carrières, à hauteur de 1% de leur chiffre d’affaires mensuel. Entré dans sa phase opérationnelle, deux ans plus tard, le FMDL a permis de mobiliser, entre 2017 et le premier semestre 2022, environ 144 milliards de FCFA au profit des autorités des treize régions et des 651 communes du pays.
De l’analyse du contenu des rapports d’utilisation, une bonne part de ces ressources transférées aux collectivités ainsi qu’aux structures déconcentrées de l’État ont servi à faire des réalisations dans le secteur de l’eau et de l’assainissement, de l’éducation, de la santé, des infrastructures publiques puis des activités génératrices de revenus. La production minière concerne essentiellement l’or qui existe un peu partout sur l’ensemble du territoire national. En marge du développement de l’industrie aurifère, la pratique de l’orpaillage a elle aussi connu une forte croissance ces dernières années. En 2022, les autorités estimaient que plus d’1,3 million de personnes – soit environ 6 % de la population – travaillent sur quelque 700 sites miniers artisanaux exploités dans le pays, le plus souvent en-dehors de tout contrôle de l’État. Peu sécurisés, ces sites sont régulièrement ciblés par les groupes armés. Ils constituent également un terreau fertile de recrutement pour eux. Le Burkina Faso est classé cinquième pays producteur d’or en Afrique, après le Ghana, l’Afrique du Sud, le Soudan du Nord et le Mali. De fait, une puissance aurifère.
Des mines en grand danger.
Malgré cette contribution au développement, le secteur minier est menacé par les groupes armés terroristes. En novembre 2019, déjà, un convoi de la mine de Boungou, située dans la province du Gourma, dans la région de l’Est, a fait l’objet d’une attaque terroriste, avec un bilan de 40 morts. Les terroristes ont même tenté de récupérer cette mine industrielle. Selon un rapport du Conseil économique et social du Burkina Faso, des groupes armés exploitent certaines mines artisanales pour financer leurs activités. En septembre 2021, la mine d’Inata est attaquée par environ trois cents terroristes, qui tuent une cinquantaine de gendarmes. Sur la période 2021 entre 2022, cinq mines ont fermé du fait des attaques terroristes : Youga, dans le Centre-Est, exploitée par Netiana Mining ; Ouaré Mining Company au Centre-Est du groupe canadien Averoso Ressources ; Namissiguima au Nord de l’Autralien Riverstone Karma ; Taparko au Centre-Nord et Bouroum au Centre-Nord, du Russe Nordgold. L’insécurité augmente les dépenses d’exploitation des mines et réduit les marges imposables.
La fermeture de ces mines engendre un manque à gagner en termes de recettes de l’État. Celle-ci sont au moins d’environ 24,865 milliards FCFA. « Cette somme ne prend pas en compte le manque à gagner pour les budgets des collectivités qui ne recevront plus les taxes sur les superficies, les patentes, le fonds minier de développement local, etc. Les 24,8 milliards FCFA ne prennent pas non plus en compte les pertes de marchés pour les entreprises sous-traitantes au niveau local qui ne vont plus payer des impôts locaux et employer du personnel local ».
Baisse de la production d’or
Du fait du terrorisme, la production d‘or du Burkina Faso a baissé de 13,73%, passant de 66,858 tonnes en décembre 2021 à 57,675 tonnes en décembre 2022. Consécutivement, on constate également une baisse du niveau de recouvrement, la perte d’emplois, la réduction des revenus des ménages, le risque d’augmentation du grand banditisme et du ralliement des exploitants miniers artisanaux aux groupes armés terroristes. Selon le ministère des Mines, « au moins 2.500 employés » sont au chômage depuis la fermeture de « cinq mines industrielles », sur les dix-sept que compte le Burkina Faso. Une autre précision : « En outre, du fait d’une probable connexion entre l’exploitation artisanale et le financement du terrorisme, le gouvernement a décidé, à l’issue du conseil des ministres du 27 avril 2022, de la fermeture temporaire des sites d’orpaillage sur toute l’étendue du territoire national », explique encore ce ministère. Pour les autorités burkinabè, ces mesures visent à réduire le trafic d’explosifs sur ces sites artisanaux, qui sont souvent détournés au profit des groupes armés terroristes. Elles sont destinées aussi à assécher les sources de revenus de ces groupes terroristes. En réalité, le processus prend du temps, et les orpailleurs artisanaux résistent. Les dernières fermetures sont intervenues le 1er mars 2023 dans la boucle du Mouhoun, soit quarante sites d’exploitation artisanale de l’or.
Cependant, les autorités s’arrachent les cheveux au sujet des mines industrielles officiellement fermées. Par exemple, les grosses mines d’Inata et de Tambao, toutes situées dans le Nord du pays, ne fonctionnent plus depuis plus de 5 ans, à la suite de la situation sécuritaire difficile, mais « rien ne prouve que ces mines ne sont pas aujourd’hui exploitées par les ennemis de la nation qui se renforcent en termes de ressources pour venir attaquer nos forces de défense et de sécurité », s’inquiètent les autorités. Avant la reprise prochaine des activités des deux mines, il est prévu, dans les contrats de cession, la construction d’une base militaire sur les lieux, avec le concours matériel et financier du partenaire. L’Office national de sécurisation des sites miniers (ONASSIM) a été créé par décret ministériel du 18 décembre 2013, pour assurer la sécurité des investissements miniers. Il relève du ministère des Mines et des Carrières. L’ONASSIM doit : rassurer les différents intervenants du secteur minier ; assurer la protection des infrastructures, des équipements et des personnels relevant du secteur des mines ; contribuer aux renseignements opérationnels ; faire respecter la réglementation en vigueur en matière d’exploitation minière ; prévenir les conflits sociaux liés à l’activité du secteur minier ; lutter contre toutes les formes d’insécurité et de criminalité y compris les éventuelles menaces terroristes sur les sites miniers. L’Office, qui devrait disposer de 3 000 policiers et gendarmes, ne compterait qu’à peine 500 agents. Résultat, il n’assure la sécurité que de trois sites sur 17. Les autres sociétés ont passé des contrats de services de sécurité, directement avec la police ou la gendarmerie.
En parallèle, le gouvernement a adopté une batterie de réformes pour sécuriser le secteur minier : protection par les Forces de défense et de sécurité (FDS) à travers la mise en place d’une brigade de sécurisation dédiée, acquisition de matériels de surveillance perfectionnés et amélioration de l’escorte des convois de ravitaillement des sites miniers, etc. Le ministère Mines et des Carrières n’a pas exclu non plus l’idée d’affecter certains Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), des supplétifs civils des FDS, à la sécurisation des sites d’orpaillage.
Pour montrer à quel point le Burkina Faso respire par l’or, mi-février de cette année, les autorités de la Transition ont réquisitionné 200 kg d’or produit par une filiale du groupe canadien Endeavor Mining, pour « nécessité publique ». Une décision « dictée par un contexte exceptionnel », selon le porte-parole du gouvernement.