Les attaques terroristes contre le Burkina Faso, le Mali et le Niger se poursuivent de plus belle. Dans les trois pays, les événements violents ont augmenté de 36%, l’année écoulée, avec 2 737 graves incidents. Les deux premiers états font désormais confiance à leur coopération avec la Fédération de la Russie pour venir à bout du fléau. Ils ont accordé des concessions minières à Moscou, en guise de contrepartie partielle à l‘assistance militaire. Le rapprochement entre Ouagadougou et Bamako arrange les deux juntes, mais complique la lutte contre le terrorisme dans la sous-région, déjà mise à mal à la suite du départ du Mali du G5 Sahel. En revanche, le Niger continue sa coopération avec la France, dans ce difficile combat. Le sommet du G Sahel prévu la semaine prochaine à Ndjamena, sans le Mali, devrait être un bon indicateur du futur de cette organisation aux grands potentiels.
Voisins, le Burkina et le Mali sont tous les deux dirigés par des juntes militaires et confrontés au terrorisme. L’un, le Mali a exigé le départ de la force française Barkhane, en août 2022, et a fait appel aux paramilitaires russes de Wagner. L’autre, le Burkina Faso, a dénoncé, en janvier 2023, l’accord de défense avec la France, exigé le départ de la force spéciale française Sabre et se tourne aussi vers la Russie. Ils parlent même de créer une « Fédération » avec la Guinée-Conakry, dirigée, elle aussi, par une junte. Le Mali et le Burkina Faso sont en train d’écrire une nouvelle page de leurs relations, poussés par une préoccupation commune : la lutte contre le terrorisme. Dans les deux pays, des militaires ont pris le pouvoir, afin de restaurer la sécurité. Chemin faisant, un second coup d’État a été opéré, de part et d’autre. Parmi les explications majeures de l’échec dans la guerre qu’ils livrent à l’hydre djihadiste, les officiers des deux pays ont relevé l’inefficacité du partenariat stratégique avec l’ancienne puissance coloniale, la France.
Mali et Burkina Faso tournés vers Moscou.
Le Mali estime qu’après une dizaine d’années de compagnonnage militaire avec la France, le bilan est plus que mitigé. Pire, Bamako accuse Paris « d’armer et de renseigner les terroristes ». Ouagadougou, tirant les leçons de sept ans d’appui du même mentor, aligne également des reproches : absence de résultats, blocage de commandes d’armes de son choix, donc difficulté à nouer des alliances à sa guise, etc. Dans les deux cas, les regards se tournent vers Moscou. La Russie est perçue comme plus fiable en matière de coopération militaire, plus rapide dans la fourniture d’équipements puis plus prompte à envoyer des instructeurs. Le Mali a accueilli les paramilitaires de la société de sécurité Wagner. Au regard de l’horreur que cette entité suscite au sein de la « communauté internationale », Bamako n’a jamais reconnu ce fait, officiellement. C’est le président russe, Vladimir Poutine, qui en a informé son homologue français, Emmanuel Macron, lors d’un tête-à-tête. Pince sans rire, Poutine a précisé à Macron que Wagner est « une société privée », n’ayant pas grand-chose à voir avec l’État russe. Mis devant ce fait accompli de communication, le Mali n’a pas bronché, mais ce qu’il voulait cacher a été dévoilé par une source qui laisse peu de place au doute. Soupçonné, par le Ghana notamment, d’avoir noué des relations identiques, le Burkina Faso a vigoureusement protesté. Si cela est vrai, nul doute que, tôt ou tard, la confirmation viendra de la même façon. Pour une raison simple : la Russie voudra brandir ce nouveau trophée. Comme au Mali, la Russie ne consultera pas Ouagadougou avant de « livrer l’information » …
L’Alliance : avantages et inconvénients.
Dans l’immédiat, des avantages certains peuvent être concédés à cette convergence d’analyse et à cette nouvelle solidarité entre les deux pays voisins. Le rapprochement au sommet consolide la confiance entre les deux armées, longtemps méfiantes l’une vis-à-vis de l’autre. Sous le long règne du président Blaise Compaoré (15 octobre 1987 – 31 octobre 2014), des chefs rebelles maliens avaient pignon sur rue à Ouagadougou, alimentant des accusations de complicité entre eux et l’État burkinabè. Dans leur nouvelle cartographie stratégique, le Mali et le Burkina Faso semblent plutôt tendre vers une relation fusionnelle. Depuis le premier coup d’État, à Ouagadougou, survenu le 24 janvier 2022, que de visites de travail et d’amitié ! Après le second putsch, le 30 septembre 2022, même profusion. Le Mali aurait volé au secours du Burkina Faso, lors d’une opération militaire aéroportée. Cette amitié permet de renforcer la solidarité contre le terrorisme donc. Le Mali joue même les VRP de la Russie auprès des actuelles autorités burkinabè, convoyant des officiels à Moscou, en vue de négociations portant sur des acquisitions d’équipements militaires. Cette alliance avec la Russie rend très difficiles les relations entre les deux alliés et des pays voisins, allergiques à la présence de Wagner à leurs frontières. Elle complique aussi la lutte sous régionale contre le djihadiste. En effet, la Côte-d’Ivoire s’est dite « préoccupée » par le départ de la force Sabre du Burkina Faso, alors que le terrorisme transfrontalier sévit encore. Le Ghana et le Niger se montrent inquiets des nouvelles alliances militaires du Burkina Faso, et l’ont exprimé avec vigueur. Le Togo semble indisposé aussi par ce fait. Quelques signes de cette nervosité sont perceptibles. Ainsi, conviée, en tant qu’invitée d’honneur au Salon international de l’artisanat de Ouagadougou (SIAO), qui s’est tenu du 27 janvier au 05 février courant, la Côte-d’Ivoire a décliné cette distinction. Le Togo, initialement proposé à la même dignité au Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou (FESPACO), qui aura lieu du 25 février courant au 04 mars 2023, a été, soudainement, remplacé par le Mali, avec une explication en béton, fournie par le président du Comité national d’organisation de la manifestation : il n’y a pas de problème avec le Togo mais au regard des défis du moment, « il n’y a pas meilleur partenaire que le Mali pour être pays invité d’honneur ».
Moscou : un rôle grandissant au Sahel.
Des pays occidentaux, États-Unis en tête, tentent de contrer ce penchant de certains Sahéliens pour la Russie. Ils dénoncent les modes opératoires de Wagner, lors des combats, qu’ils qualifient de brutales. Ils pointent aussi du doigt les activités minières parallèles de cette société de sécurité. Selon le magazine Jeune Afrique, Wagner aurait créé deux entreprises minières au Mali : Alpha Developpen, fin 2011, et Marko Mining, en avril 2022. Au Burkina Faso, deux mois après son avènement, le nouveau régime militaire a décidé, le 08 décembre 2022, d’octroyer le permis d’exploitation d’une nouvelle mine d’or à la société russe Nordgold. Cette entreprise exploitait déjà trois autres sites, à travers deux filiales. Ailleurs en Afrique, la diplomatie russe déploie ses larges ailes avec autant de succès, ce qui encourage Bamako et Ouagadougou dans leurs élans vers Moscou.
En juillet 2022, le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, effectue une tournée en Égypte, au Congo-Brazzaville en Ouganda et en Éthiopie. Fin octobre 2022, l’Algérie annonce le début de quatre jours de manœuvres militaires maritimes avec la Russie, en Méditerranée. Le 23 janvier 2023, le diplomate russe se rend en Afrique du Sud, et rencontre son homologue, Mme Naledi Pandor et le Président Cyril Ramaphosa. Dans la foulée, l’armée sud-africaine annonce qu’elle va accueillir la marine chinoise et celle de la Fédération de Russie, lors d’un exercice maritime multilatéral, entre le 17 et 27 février courant. Ces manœuvres communes se dérouleront au large de Durban, le plus grand port d’Afrique australe, et de Richards Bay, à quelque 180 km plus au nord du pays. Du 06 au 07 février courant, Sergueï Lavrov, fait une « visite d’amitié et de travail », à Bamako suivie par Nouakchott et le de nouveau le Soudan. Le Mali semble se positionner comme le foyer le plus incandescent de la présence russe au Sahel. L’idylle sécuritaire et politique entre Moscou et la junte au pouvoir à Bamako transparait à travers des déclarations de l’hôte et de son homologue malien, Abdoulaye Diop. Les autorités maliennes présentent la venue du diplomate russe comme une première du genre. Lyriques sur les bords, elles proclament que sa visite matérialise la volonté ferme des présidents Assimi Goïta et Vladimir Poutine d’impulser une nouvelle dynamique à leur coopération dans les domaines de la défense et de la sécurité ainsi qu’à l’échelle économique. Le ministre russe a promis que son pays allait poursuivre son appui aux Forces armées maliennes, afin de les rendre plus opérationnelles et plus professionnelles. De fait, la Russie voit plus loin, plus grand, dans le continent africain. Pour le diplomate, Moscou souhaite aider d’autres pays du Sahel, et, au-delà, dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. Vladimir Poutine, en personne, donnera plus de détails sur la Nouvelle politique africaine de son pays, lors du prochain sommet Russie-Afrique, qui sera organisé, en juillet 2023, dans sa ville natale de Saint-Pétersbourg. Le colonel Assimi Goïta, plutôt casanier, a juré d’y participer.
À noter que le ministre Abdoulaye Diop, qui n’est pas avare de symboles, a offert à son illustre homologue russe, en guise de souvenir, un magnifique sabre. … … Les forces spéciales européennes, déployées au Mali en 2020, et qui ont été évacuées en juillet 2022, sur pression de Bamako, avaient aussi pour nom Takuba, « Sabre » en langue touareg, le tamasheq…
Les forces spéciales françaises éponymes, qui étaient basées dans la banlieue de Ouagadougou, à Kamboinsen, depuis 2010, sont en train de faire leur paquetage, le Burkina Faso ayant dénoncé l’accord y relatif, en janvier de cette année.