Un nationalisme ukrainien exacerbé et sans fondement historique ?

En 1982, dans son livre «La politique de la France à l’égard de l’Ukraine, mars 1917-1918», Wolodymyr Kosyk affirme :

«Que [le peuple ukrainien] ait porté différents noms au cours de son histoire ne change rien au fait qu’il s’agit toujours du même peuple, ayant gardé les mêmes caractéristiques ethniques, le même caractère, la même spécificité, assimilant facilement les éléments venus s’y ajouter et refusant de s’identifier aux corps étrangers du point de vue national».

Le fait pour l’Ukraine de vouloir à tout prix revendiquer sa spécificité et par suite, son indépendance, par rapport aux autres peuples slaves – et, en particulier, par rapport à la Russie à laquelle son destin est pourtant historiquement lié -, ne l’expose-t-elle pas, non seulement à devenir elle-même une proie pour les vautours occidentaux, mais encore à permettre à ces derniers de se servir d’elle comme d’un tremplin pour pouvoir s’emparer de toutes les richesses – notamment des précieuses matières premières -, que contient un territoire s’étendant bien au-delà de ses propres frontières ?…

Car, comme Wolodymyr Kosyk le rappelle, «la caractéristique essentielle, qui a déterminé dans une grande mesure le destin de l’Ukraine, est sa position aux confins de deux mondes géographiques (l’Europe et l’Asie) et spirituels (l’Occident et l’Orient)».

Outre la situation géographique stratégique que l’Ukraine occupe entre l’Occident et l’Orient, il faut tenir compte de la richesse dont le sol et le sous-sol du territoire qu’elle occupe sont dotés. Voici ce que pouvaient en dire les délégués de la République ukrainienne, dans leur Mémoire sur l’indépendance de l’Ukraine présenté à la Conférence de la Paix à Versailles, en 1919…

«Les montagnes du Caucase, comme celles des Carpathes, sont très importantes pour l’Ukraine à cause des richesses forestières et pétrolifères qu’elles renferment. (…) Quant aux monts de Crimée, ils sont coupés par des vallées où de nombreux jardins fournissent leurs primeurs, et où des vignobles ensoleillés donnent d’abondants et délicieux raisins. (…). [Le Donetz] est riche en charbon et en minerai de fer».

Et ce n’est pas tout, puisque «dans l’Ukraine méridionnale, il y a beaucoup de vignobles, surtout dans les gouvernements de Kherson et de Tauride où, comme dans toute l’Ukraine l’on cultive également les céréales et les légumes, les betteraves et le tabac, dont la récolte est considérable. Là, le terrain est extrêmement fertile : le coton, le riz et les gommiers y poussent avec un certain succès».

Mais il n’y a pas que la richesse d’un sol qui constituerait pour les Ukrainiens rien de moins qu’une «propriété millénaire !» qui leur donnerait une primauté sur les peuples voisins – Roumains, Polonais et surtout Russes -, dont ils tiennent à mettre constamment en avant le fait que, depuis des temps immémoriaux, ils ont eu à subir, en dehors des invasions barbares, des assauts répétés et une oppression continuelle…

Comme tient à le répéter Wolodymyr Kosyk…

«Ce qui est remarquable, c’est que ce peuple n’a jamais perdu le sentiment d’être un peuple distinct et d’être héritier direct de la glorieuse Rous’. Ceci ressortira tout particulièrement au XVIIe siècle, pendant la période cosaque, quand le peuple ukrainien se manifestera par la lutte pour son indépendance».

Voilà bien le fond d’une propagande que l’Ukraine et certains de ses ressortissants installés à l’étranger ne cesseront de répandre dans le monde et qui aura fini par prendre des allures d’auto-promotion. Une propagande – sans fondement historique réel – qui sera dénoncée dans une lettre ouverte publiée le 25 septembre 1919 dans le journal romain le Corriere d’Italia. S’adressant au comte Michel Tyszkiewicz, président de la «Délégation ukrainienne» auprès de la Conférence de la Paix à Paris, le prince Alexandre Wolkonsky écrit :

«La question ukrainienne est trop vaste pour pouvoir être discutée en entier dans une gazette. Je ne veux pas suivre en cela l’exemple de la propagande ukrainienne : elle écrit le mot Ukraine, mais elle ne dit pas à quel territoire ni à quel siècle il se rapporte ; elle se sert du même procédé pour le mot «les Ukrainiens» et pour les phrases sur «le joug russe», sur «la lutte pour la liberté» etc., toujours sans définir ni le lieu, ni le temps. Ce n’est pas là le moyen d’arriver à la vérité».

Et pourtant, les délégués de la République ukrainienne présents à la Conférence de la Paix en 1919, qui étaient bien décidés à faire valoir la place qu’ils considéraient comme lui revenant de droit dans le nouvel ordre mondial devant succéder à la grande boucherie de 1914-1918, n’hésitaient pas à affirmer que… «le peuple ukrainien compte plus de 40 millions de nationaux, il a son territoire propre, une histoire et une culture propres. Il a donc tous les droits de former un État et de vivre indépendant au milieu des peuples de l’Europe. Au cours des siècles, il a toujours montré son amour de la vie libre ; et le joug sous lequel il a été placé pendant plus de deux cents ans ne lui a rien fait perdre de son esprit national».

Et puis que…

«Possesseur d’un grand territoire, le peuple ukrainien a su, en dépit des événements historico-politiques, conserver son unité ethnographique. (…) Uni par la même langue, par la même tradition historique, par la même religion et par la même culture, ce peuple a toujours su résister courageusement aux convoitises annexionnistes des peuples voisins, Polonais, Russes et Roumains».

À partir de quels critères un peuple peut-il définir son «unité ethnographique» si ce n’est en mettant en évidence les «caractères anthropologiques les plus importants», définis à partir de mesures prises sur les populations en présence (taille, couleur de cheveux, forme du visage, dimensions et forme de la boîte crânienne, longueur des bras et des jambes….) C’est donc ainsi que l’on aura pu prétendre faire ressortir les «divers caractères particuliers qui distinguent [les Ukrainiens] des autres peuples et qui sont assez précis pour qu’on ne les confonde point avec leurs voisins eux-mêmes, Russes et Polonais». Il ne faut pas oublier que, bien des années plus tard, les nazis utiliseraient le même genre de méthode pour donner un fondement à leur sélection des races…

En ces moments dramatiques de l’Histoire où il était question pour de nombreux peuples de panser leurs plaies après une guerre terrible, certains n’avaient de cesse de revendiquer avec animosité une primauté sur d’autres peuples et, en particulier, sur une Russie qui, dans cette guerre, avait elle-même payé un lourd tribut humain…

Une question ne peut alors que surgir dans notre esprit : de quel côté la haine de l’autre s’exprimerait-t-elle avec le plus de force ? Du côté russe, ou bien du côté ukrainien ?…

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