Il semble que beaucoup de personnes se fassent des illusions en ce moment sur un soi-disant modèle italien qui contrairement à la France fonctionnerait, en particulier au niveau de l’industrie. Nous avions déjà parlé de l’économie italienne il y a quelque temps déjà, mais c’est une bonne raison de parler à nouveau de ce pauvre pays, tout aussi victime que nous de la construction européenne, et de l’euro en particulier. Les deux plus grands pays latins semblent effectivement diverger depuis quelques années en particulier sur le plan commercial puisque l’Italie contrairement à la France a maintenant des excédents commerciaux. De là à courir partout sur les plateaux télé pour annoncer la renaissance de l’industrie italienne, il n’y a qu’un pas. Un pas que les plus zélotes défenseurs de la construction européenne, et de l’euro, n’hésitent bien évidement pas à franchir. La preuve, le journal de « référence » du pouvoir, à savoir Lemonde, nous a fait un titre grotesque nous présentant « la revanche économique du sud de l’Europe». Nous présentant la Grèce et l’Espagne comme des pays presque dynamiques avec leur 2% de croissance face à une Allemagne et à une France qui coulent.
On est ici à la limite de la grossièreté intellectuelle, particulièrement avec la Grèce. Mais les journalistes aiment les titres à sensation, et si des raisonnements à court terme collé avec un ou deux chiffres moins mauvais que d’habitude leur permettent de faire des sensations alors ils le font, même si cela nuit gravement au débat public, particulièrement dans la France de Barnier prête à faire les mêmes catastrophiques erreurs que les Grecques il y a plus d’une dizaine d’années. La réalité est évidemment tout autre comme on l’a déjà vu. La pauvre Grèce n’en finit plus de couler, sachant que le pays connaît de nouveau de graves déficits commerciaux qui vont vite rattraper le pays avec son très maigre redressement qui laisse la nation avec un PIB toujours nettement inférieur à ce qu’il était en 2008. Je ne parlerais pas non plus de l’Espagne, de son chômage toujours massif, et qui a ici bénéficié quand même du fait d’être sorti du marché européen de l’énergie. Ce qui effectivement était une très bonne idée que visiblement Lemonde n’aura pas soulignée comme par hasard.
La divergence franco-italienne d’adaptation à l’euro
Parlons donc plutôt de nos amis italiens qui effectivement ont un excédent commercial maintenant alors qu’ils sont toujours membres de l’euro. Sur la balance commerciale, la France et l’Italie sont deux pays frères si je puis dire, car l’évolution de leur commerce extérieur a été longtemps similaire. Probablement parce que les deux pays faisaient des politiques similaires. L’Italie encore plus que la France était un pays qui pratiquait régulièrement des dévaluations pour s’adapter à la concurrence allemande. Le côté latin explique peut-être en partie ce besoin de dévaluation monétaire, les négociations collectives n’étant pas aussi fortes qu’en Allemagne. Emmanuel Todd parlerait ici de la différence entre famille souche et famille nucléaire pour expliquer ces divergences collectives. Même s’il faut le dire, le nord et le centre de l’Italie ont des structures familiales complexes. Le nord est proche du monde germanique avec des familles souches, le centre autour de Rome ce sont des familles complexes de type communautaire comme en Russe, le sud par contre est de famille nucléaire. Cette réalité et l’unification monétaire très tardive et brutale expliquent probablement en grande partie les très fortes inégalités de développement entre le sud et le nord. Le sud ayant été tué par l’unification italienne avant même que l’euro ne tue finalement à son tour toute l’Italie pour les mêmes raisons.
De fait, l’évolution commerciale de l’Italie et de la France au sein de la zone euro à partir de 1999 fut similaire jusqu’à la crise de 2008-2010. L’euro s’étant traduit par une hausse progressive du déficit commercial lié à l’impossibilité de dévaluer les monnaies nationales face à l’Allemagne. Comme vous le savez déjà, les problèmes en la matière explosent vraiment à partir de la mise en place des lois Hartz en Allemagne sous Gerhard Schroeder entre 2003 et 2005 qui va casser les salaires allemands et ainsi conduire à des excédents commerciaux germaniques. Cette stratégie agressive et non coopérative est contraire à l’idée même de monnaie unique, faut-il le rappeler. Puisque normalement l’euro aurait dû exister grâce à une certaine solidarité européenne, ce qui n’a jamais été le cas. Loin d’avoir favorisé la coopération entre les nations comme le projet était officiellement présenté, la construction européenne et l’euro ont en réalité exacerbé les concurrences entre nations, et la nation la plus avantagée au départ a bien évidemment damné le pion à toutes les autres.
La France et l’Italie ont donc connu sur la période une forte dégradation de leurs balances commerciales respectives. Mais après la crise de 2008-2010, on constate une divergence entre les deux pays. L’un continue de s’enfoncer dans les déficits commerciaux croissants, c’est la France. L’autre semble avoir un rééquilibrage de la balance. Alors faut-il y voir un miracle italien soudain transformé en Allemands grâce à la sainte vertu de l’euro comme pourrait le croire un européiste compulsif comme monsieur Barnier. Il n’en est rien bien évidemment. Tout d’abord si l’Italie connaît une amélioration de la balance commerciale, ce n’est pas grâce à sa production manufacturière. Celle-ci stagne en effet depuis 20 ans. Or si la production manufacturière stagne, mais que la balance commerciale s’améliore, on ne peut en déduire qu’une chose c’est que la demande intérieure s’est atrophiée. L’économiste Anthony Morlet-Lavidalie vient de mettre en avant un graphique éloquent en la matière, comparant l’évolution de la production manufacturière italienne et française. On constate que la France sur la même période a connu une augmentation de 18% contre seulement 3% pour l’Italie. On ne peut donc pas mettre l’excédent sur le dos d’une dynamique économique et industrielle. Il faut aussi préciser que les chiffres français sont déjà assez lamentables, on parle d’une augmentation inférieure à 1% par an. Merci à l’euro.
Le déficit français s’explique lui par une hausse de la demande supérieure à la hausse de la production nationale. Un peu à la manière de l’évolution américaine, toute proportion gardée. Les deux pays ayant des monnaies ne correspondant pas à leurs besoins nationaux. Les USA ont une monnaie mondiale qui leur permet d’acheter sans se soucier des déficits. La France a un peu la même chose avec l’euro, ce qui favorise les déficits commerciaux dangereux. La désindustrialisation française est donc surtout en grande partie une insuffisance d’investissement dans l’industrie à proportion des besoins. Cela se traduit par des déséquilibres commerciaux de plus en plus massifs. Si l’on regarde maintenant l’évolution du niveau de vie comparé à l’évolution de la balance commerciale, on constate rapidement ce qu’est le fameux modèle italien. Alors que l’Italie avait un niveau de vie comparable à celui de la France et même supérieur quand la France s’est suicidée avec le franc fort à la fin des années 80 et au début des années 90. Les deux pays qui avaient des évolutions similaires se séparent après la crise de 2008. La France continue sur sa lancée et voit sa balance commerciale toujours se dégrader. L’Italie réagit en cassant la hausse du niveau de vie qui devient nettement inférieur à celui de la France. Moins de salaires distribués signifient une moindre demande, et une baisse de la demande permet d’afficher un redressement comptable de la balance commerciale.
Une telle stratégie n’a évidemment de sens que si tous les autres pays ne font pas la même chose en même temps sinon c’est la dépression. L’Italie doit donc en grande partie remercier la France de ne pas l’avoir suivie dans ce suicide collectif. D’un certain point de vue, l’Italie a fait des réformes à la Grecque toute proportion gardée. Cela explique aussi pourquoi cela va si mal pour les jeunes dans ce pays soi-disant dynamique sur le plan industriel. Rappelons pourtant que l’Italie a des problèmes beaucoup plus graves que ses problèmes économiques. Le pays a l’un des taux de natalité les plus bas du monde. Et taper sur les salaires et la demande intérieure ce n’est pas une chose qui risque de la faire revenir à l’équilibre sur ce plan. Alors on constate effectivement que sur le plan comptable, l’Italie peut rester dans la zone euro, mais à quel prix ? Le pays sort de plus de vingt ans de croissance nulle. Est-ce que les Italiens veulent encore connaître vingt ans de panne ? Le tout avec une population qui va fortement diminuer. Car pendant cette période de stagnation le pays avait encore une certaine dynamique démographique maintenant c’est terminé. Combien de générations de français, d’Italiens, d’Espagnols ou de Grecques nos élites vont-elles encore sacrifier pour leur dogme monétaire ? Tout ça pour finir comme les croupions de l’empire américains.