Manuel stratégique de la Palestine et du Moyen-Orient

«Loin de ne concerner que le peuple palestinien, l’avenir de notre monde se joue en partie importante en Palestine … (car) l’hégémonie occidentale est confrontée à une série de résistances qui menacent la poursuite de son pillage du monde sur lequel est bâti son modèle économique». ~ Saïd Bouamama

Impressionnant par son grand format, par la qualité du papier, de la typographie, du graphisme, cet ouvrage de Saïd Bouamama, fruit d’années de recherches, doté de références exhaustives en plusieurs langues, extrêmement bien écrit et surtout non-idéologique sur l’essentiel, se trouve à être parmi les rares productions actuelles en Europe occidentale qui soient – du point de vue de Mendelssohn du moins – indispensable.

S’il le fallait, en lisant ce seul ouvrage, grâce à l’impartialité et la détermination de fer de son auteur, le lecteur percera le fouillis de complications artificielles érigées autour de «la» question.

Avec une apparente froideur née de sa lucidité, Bouamama prend le lecteur sous le bras pour le placer tout en haut du globe terrestre, d’où observer les gigantesques manœuvres des impérialismes qui luttent pour leur survie depuis la fin du XIXe siècle.

En effet, avec le percement du canal de Suez puis la découverte des gisements de pétrole, le contrôle sur Haïfa devenait essentiel pour les Britanniques s’ils allaient «sécuriser» l’accès au canal et à leur Nouvelle route de l’Inde – cette route qu’il fallait barrer à la Russie. Jamais le projet sioniste ne se serait concrétisé, affirme Bouamama, à moins qu’il ne fût si idéalement ajusté aux objectifs stratégiques impériaux.

Un par un, implacablement et par les chiffres, Bouamama démonte les mythes et notamment celui d’une «terre sans peuple» avant l’arrivée des Jabotinskiens. Selon le recensement ottoman de 1871, il n’y avait d’ailleurs que 4% de Jxxxfs parmi les centaines de milliers d’autochtones sur ce territoire.

Héritant des successives découpes territoriales de l’Empire Ottoman et plutôt que de se dire «Palestiniens», les habitants historiques de la région étaient nommés «les Gens de la Terre Sainte» : dépositaires des traditions des trois religions révélées.

Bien étayées, certaines thèses de Bouamama vont toutefois surprendre : il considère par exemple que les Anglais du Mandat n’ont jamais laissé tomber le ballon face aux révoltes arabes des années ‘20 : à chaque soulèvement, ils rassuraient en parole les Arabes – «l’immigration sioniste serait freinée» – et quelques mois plus tard, l’immigration repartait de plus belle. Avec beaucoup de finesse, Bouamama observe comment suite à la Première Guerre mondiale, incapable faute de moyens financiers de contrôler directement ces territoires, l’Angleterre a dû chercher un «proxy» – les Jabotinskiens – sans perdre cependant, les dirigeants arabes qui lui étaient acquis. Alors que les USA en tant que «New Kid on the Block», pouvaient s’emparer de la part du lion.

Habilement, pendant la Deuxième Guerre mondiale, le Haganah a envoyé des milliers rejoindre la police et forces armées anglaises, et en ressortir entraîné, armé, prêt à se vendre au plus offrant : les USA. En échange, les USA leur donnait leur «État».

L’inaction soviétique face à une manœuvre qui ne pouvait que lui nuire gravement à moyen terme, est également étudiée par Bouamama, en particulier par rapport à la déclaration en 1947 du Ministre Andrei Gromyko (solution à deux états ou état judéo-arabe). Craignant d’être évincée du Moyen-Orient par une alliance anglo-américaine que secondaient certains dirigeants arabes, peu familière de la région, l’URSS a préféré adopter une forme de neutralité, dont les conséquences désastreuses ont éclaté dans les années 1990 avec la destruction l’un après l’autre des états arabes majeurs.

C’est à Salah Hamouri qu’est dévolue la tache de préfacer l’ouvrage. Sobrement, il se souvient…. Un jour, notant l’absence de plusieurs de ses geôliers, il apprend que ceux-ci sont partis en France, à la prison marseillaise des Baumettes, impartir aux Français leurs techniques. Quant aux moyens de surveillance et autres dispositifs – jusqu’aux menottes – tout venait d’Angleterre. Pour Hammouri «le développement des arrestations brutales et imprévisibles (des Palestiniens) … (est) un laboratoire où expérimenter des théories de répression et de lavage de cerveau, prélude à la généralisation de ces pratiques à l’ensemble du peuple israélien». Cela comprend les techniques de contrôle sur les mass-média, autorisés d’opérer dans nos «démocraties» aux seules fins de propager ces mythes et légendes qui Bouamama a si rigoureusement déconstruit.

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