Trump, la guerre commerciale et le dollar : et si c’était une chance pour l’Union européenne ?

Depuis la proclamation par Donald Trump du « jour de la libération » (« liberation day ») et ses déclarations, les regards se sont concentrés sur les tarifs douaniers. Mais une deuxième offensive se profile : une dépréciation massive du dollar qui pourrait provoquer une crise mondiale. Dans cette reconfiguration brutale des équilibres, des opportunités inédites pourraient s’ouvrir pour l’Europe à travers une nouvelle diplomatie commerciale ouverte.

Si l’on pense en avoir fini avec les offensives mercantilistes de Trump depuis le « liberation day », on se trompe certainement. La deuxième offensive arrive. Elle pourrait être plus sévère encore. Elle tient en une dépréciation massive du dollar américain. L’onde de ces chocs va en outre créer un effet récessif mondial qui viendra parachever l’œuvre de Trump. À quoi faut-il s’attendre ? Comment réagir à ces offensives ?

Depuis le début de la décennie, la parité entre l’ euro et le dollar s’établit autour de 1,05 à 1,10 dollar par euro. Au regard des fondamentaux de l’économie américaine, de ses déficits budgétaires et commerciaux abyssaux, cette valeur est surévaluée. Si l’on se réfère au taux de change d’équilibre de parité des pouvoirs d’achat, le taux de change euro-dollar devrait s’établir autour de 1,50 dollar par euro. Ce taux de PPA représente une force de rappel de long terme pour les taux de marché. Si le dollar reste surévalué, c’est parce qu’il est LA monnaie mondiale pour les échanges internationaux et les réserves, donc la monnaie que souhaitent détenir les non américains. Un dollar surévalué, c’est déjà arrivé dans l’histoire, notamment dans les années 1980.

Dollar et déficit : une histoire qui recommence

Mais ça, c’était avant. L’administration Trump est fermement décidée à s’attaquer à ce qu’elle considère comme la deuxième cause de son déficit commercial : la surévaluation du dollar. Les droits de douane et la dépréciation du dollar font partie du même plan stratégique de réindustrialisation du pays. Il n’est dès lors pas impensable que la parité Euro-Dollar d’ici à la fin de l’année flirte avec les 1,40 à 1,50 dollar par euro. Cela représenterait une dépréciation de la devise américaine d’environ 30 %.

Mécaniquement, cette dépréciation renchérirait le prix des biens exportés par les Européens, une fois exprimé en dollar sur le marché états-unien, du même montant. En d’autres termes, une dépréciation de 30 % du dollar renchérit les biens exportés vers les États-Unis de 30 %, ce qui dépasse encore les 20 % de droits de douane. Les deux effets de hausse des prix en dollar des biens exportés se cumulant, autant dire que l’accès au marché américain se compliquerait très sévèrement pour les entreprises européennes.

Mais ce n’est pas tout, un effet indirect viendrait s’additionner à ce double choc de prix : c’est l’effet revenu. Les exportations vers le marché états-unien dépendent de deux élasticités : l’élasticité-prix et l’élasticité-revenu. L’élasticité-prix donne le montant de la baisse de la demande locale lorsque les prix augmentent (à cause des droits de douane et de la dépréciation du dollar), l’élasticité-revenu renseigne sur la baisse de la demande locale liée à une baisse de revenu des résidents, les États-Uniens.

Des produits plus chers et des consommateurs plus pauvres

Or, la politique de Trump est clairement récessive selon les premiers indicateurs économiques publiés et les prévisions des économistes. Logique, puisqu’une partie de la croissance mondiale vient des gains à l’échange selon le principe de spécialisation des économies hérité d’Adam Smith et David Ricardo. Pire, ce n’est pas seulement la croissance américaine qui va ralentir, mais bien la croissance mondiale par effet de domino, affectant encore un peu plus les exportateurs européens.

Quels sont les signes d’espoir dans ce scénario ? Il y a en plusieurs en fait. D’abord, le dollar, puisqu’il est la monnaie internationale, est largement détenu par les étrangers. Trump voudrait les forcer à vendre leurs dollars pour en faire baisser le cours, mais ce n’est pas si simple. Déjà, il a du mal à tordre le bras du gouverneur de la Fed (banque centrale américaine) pour lui faire changer de politique monétaire afin de faire baisser le dollar. Rappelons que la Fed est en théorie indépendante du gouvernement. Sans entrer dans les détails techniques, si Trump décide des droits de douane des États-Unis, il ne maîtrise pas la valeur du dollar aussi facilement. La dépréciation de 30 % n’aura peut-être pas lieu.

D’autant que l’effet inflationniste de cette dépréciation et de ces droits de douane sur l’économie domestique va user l’opinion américaine autant que leur porte-monnaie. Trump pourrait se heurter à une forme d’épuisement social dès 2025 l’obligeant à infléchir ses positions. Le pire n’est donc pas certain.

Renforcer la position européenne

Il faut aussi voir le positif dans cette histoire. La Chine est mal en point, affectée par la fermeture du marché états-unien et par des problématiques économiques internes. Ne serait-ce pas le moment pour l’Europe d’essayer de négocier des accords commerciaux de réciprocité plus avantageux pour les Européens ? La Chine a besoin de l’Europe, dont la position de force se renforce finalement avec Trump.

Se tourner vers la Chine pour redéfinir un ordre commercial plus ouvert et équilibré serait sans doute plus utile économiquement que de vouloir affronter Trump dans une guerre commerciale. Si Trump isole et ralentit les États-Unis, laissons-le faire et n’engageons pas des représailles qui ne feraient qu’aggraver notre situation. Ouvrons-nous aux autres en revanche et profitons du fait qu’ils aient besoin de nous.

Ce qui est vrai pour la Chine l’est pour les autres zones du monde. On a beaucoup parlé ces derniers mois du Mercosur et de l’accord avec le Canada (CETA). Faut-il encore s’opposer à des accords de libre-échange entre l’Europe et ces zones ? On peut gager que l’opinion publique européenne va évoluer sur cette question. En d’autres termes, l’isolationnisme de Trump fait naître des opportunités de libre-échange ailleurs. L’Europe pourrait les saisir avec une grande offensive diplomatique. Un judoka se sert de l’élan de son adversaire, Trump s’isole, l’Europe peut accentuer encore cette tendance en négociant des accords avec les autres zones du monde. Et si l’Europe sortait par le haut de cette crise ?

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