L’Europe doit unir ses forces en Afrique

Face à l’influence croissante de la Chine et d’autres pays émergents en Afrique, l’Europe doit parler d’une seule voix, grâce à une nouvelle Politique africaine commune (PAC), pour faire valoir son système de valeurs et trouver de nouveaux leviers de croissance.

Une tribune cosignée par Jean-Louis Guigou, président du think tank euro-méditerranéen Ipemed, et Christian Hiller von Gaertringen, journaliste et consultant sur l’Afrique basé à Francfort, et conseiller de l’Ipemed pour l’Allemagne.

Le Forum sur la coopération sino-africaine est le grand rendez-vous des présidents africains. Lors de la dernière édition de septembre 2018, seulement six sur la cinquantaine de chefs d’État africains s’étaient déclarés absents de ce grand événement qui dure habituellement trois jours. Cette fois-ci, le gouvernement chinois a promis des contrats d’infrastructures lourds de plus de 60 milliards de dollars dans les trois prochaines années.

Certains présidents africains, à peine rentrés dans leur capitale, reprenaient l’avion en direction de Pékin pour prendre leur part du gâteau chinois. Même si le gouvernement chinois ne dévoile que peu de chiffres sur son engagement en Afrique, quelques données sont tout de même publiques.

Le commerce chinois avec l’Afrique a connu chaque année une croissance d’environ 20 % par an

L’aide chinoise en hausse

Depuis le premier Forum sur la coopération sino-africaine en l’an 2000, le commerce chinois avec l’Afrique a connu chaque année une croissance d’environ 20 % par an, pour dépasser le seuil des 200 milliards de dollars. Entre 2001 et 2011, l’aide chinoise pour le continent est passée de presque rien à 75 milliards de dollars, représentant de la sorte 20 % du total de l’aide internationale dépensée sur le continent africain durant cette période.

Alors que l’aide des pays occidentaux consiste essentiellement en transferts d’argent et de prêts aux gouvernements africains, l’aide chinoise se compose surtout de crédits et emprunts pour la construction d’infrastructures.

Aujourd’hui, selon la société de conseil McKinsey, plus de 10 000 entreprises chinoises sont présentes sur le continent africain. La Chine est le premier financier des infrastructures sur le continent, l’investisseur étranger dont les engagements connaissent la plus forte croissance et le troisième fournisseur d’aide au développement.

Mais il est indéniable que l’Afrique se trouve au centre de la politique économique extérieure de la Chine. Mis à part ce grand Forum, les représentants du gouvernement chinois font de nombreux voyages vers l’Afrique – qui durent parfois deux semaines, voire plus -, lorsque la chancelière allemande ou le président français se contentent d’une virée rapide de deux ou trois jours.

L’Europe risque d’être évincée des grands travaux en Afrique

Retard des Européens

Le résultat est bien connu : que ce soit l’exploitation pétrolière, la gestion de ports maritimes, la construction de centrales hydroélectriques, l’aménagement de cultures rizières voire la fabrication de robes traditionnelles wax, il n’y a que peu de secteurs économiques qui échappent à la présence chinoise en Afrique. Quant aux Européens, ils semblent ignorer la leçon de l’histoire du lièvre et de la tortue : rien ne sert de courir, il faut partir à point. Et les Européens sont partis en retard par rapport à la Chine, comme ils n’ont pas vu démarrer la course économique engagée par les Africains.

L’Europe risque d’être évincée des grands travaux en Afrique. Or, les routes, chemins de fer, aéroports, ports maritimes ou pipelines, tout comme le réseau électrique dont l’Afrique a tant besoin, sont décisifs pour le développement du continent et l’amélioration des conditions de vie de 2,5 milliards d’Africains en 2050. Si les Européens perdent les grands marchés d’infrastructure en Afrique, ils ne joueront à l’avenir qu’en deuxième division. Pour l’Afrique, ce n’est pas non plus une perspective encourageante. Seule une compétition internationale autour des grands projets d’investissement assure aux habitants du continent l’accès à des ouvrages de qualité. Si les grands travaux furent accordés aux entreprises chinoises sans appel d’offre publique, les Africains ont maintes fois fait l’expérience d’infrastructures tombées en miettes une fois le dernier marteau rangé.

Et les Chinois sont loin d’être les seuls à avoir découvert l’Afrique. Que ce soit la Turquie, l’Inde, le Brésil ou Israël, tous les pays émergents renforcent leur présence économique en Afrique. L’intérêt que ces pays portent à l’Afrique montre clairement que plus l’Afrique se développe, plus l’essor du continent repose sur des relations Sud-Sud plus intensifiées, au détriment des relations Nord-Sud. Même les États-Unis, longtemps grand absent dans l’économie africaine, commencent à rattraper leur retard. En 2017, le nombre de projets d’investissements américains a augmenté à 130, soit un plus de 43 % par rapport à 2016.

La réponse des Européens reste largement nationale, en dépit de la ruée mondiale vers l’Afrique

Pour une Politique africaine commune (PAC)

La réponse des Européens face à ce défi n’est pas suffisamment européenne. Elle reste largement nationale, en dépit de la ruée mondiale vers l’Afrique, qui conduit à son insertion dans l’économie internationale. Les différents États-nations en Europe continuent de considérer leurs relations avec l’Afrique comme leur affaire nationale. De ce fait, l’Europe parle en Afrique avec une confusion babylonienne de langues.

Certes, les différents acteurs chargés de développer en Europe les relations avec l’Afrique – tels que l’AFD, Proparco ou Coface en France, KfW, GIZ et Euler Hermes en Allemagne, FMO aux Pays-Bas ou la BEI au niveau européen – commencent à conjuguer leurs efforts. C’est un grand pas dans la bonne direction. Cependant, ces coopérations ne peuvent cacher que l’Europe souffre d’un vide : il n’existe pas au sein de l’Union une Politique africaine commune (PAC). Face à la pénétration du commerce Sud-Sud en Afrique, seul un transfert du savoir-faire et des compétences nationales au niveau européen permettra de rattraper l’avance que les pays émergents, et tout particulièrement la Chine, ont pris en Afrique.

Ce serait une erreur historique de ne pas s’appuyer sur ces institutions afin de développer une Politique africaine commune

C’est pourquoi l’Union européenne devrait mettre en commun les politiques africaines nationales. Seule une Politique africaine commune permettra de parler d’une voix forte afin d’engager un dialogue avec les riverains de la Méditerranée et les Africains. Cela permettra d’arriver à un consensus sur les besoins et les moyens pour répondre aux besoins essentiels pour le développement de la région : les infrastructures, l’énergie, l’eau, l’agriculture et l’agroalimentaire, la santé, l’éducation et le développement de l’industrie.

Il est vrai, la Commission européenne a largement renforcé ses compétences en direction de l’Afrique. À part le Commissaire chargé de la coopération internationale et du développement et le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la sécurité, sont impliqués dans les relations avec l’Afrique le Commissaire de l’environnement, des affaires maritimes et la pêche, le Commissaire de la migration, des affaires intérieures et la citoyenneté, le Commissaire des affaires économiques et financières, fiscalités et les douanes, ainsi que le Commissaire de l’aide humanitaire et la gestion des crises ; soit au total dix Commissaires.

De plus, la Banque européenne d’investissement (BEI) s’engage aussi de plus en plus en Afrique. Ce serait une erreur historique de ne pas s’appuyer sur ces institutions afin de développer une Politique africaine commune.

Contribuer au développement équitable du continent

En joignant ses forces en Afrique, l’Europe n’augmentera pas seulement ses moyens pour défendre les marchés en Afrique. Ce sera également un moyen pour contribuer au développement équitable du continent, en faisant passer des standards de fiabilité, du respect de l’environnement, de conditions de travail équitables et de bonne gouvernance.

Le plan d’investissement extérieur (PIE) qui se met en place dans cinq secteurs — les PME, les énergies renouvelables, la sécurité alimentaire, les villes durables et la digitalisation de l’économie — pourrait faire des recommandations dans ce sens : resserrer les garanties européennes à des projets industriels et d’infrastructure associant au minimum deux partenaires européens.

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