Carlos Lopes : « On traite le Tchad comme une exception »

Mort d’Idriss Déby, sommet de Paris… Entretien avec le professeur de gouvernance publique et économiste bissau-guinéen depuis Le Cap.

Le sommet sur le financement des économies africaines présidé par Emmanuel Macron est-il une réussite ?

Carlos Lopes : Il a permis trois gains tangibles. Un : l’ouverture du débat – tabou il y a encore un an – sur l’utilisation des droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI comme moyen d’apporter des liquidités à l’Afrique sans qu’elle s’endette. Deux : l’engagement de la France de réallouer au continent ses DTS issus de la prochaine émission globale qui doit être actée en juin. On parle de 25 milliards de dollars, c’est significatif. Trois : après l’annonce française, le Portugal a emboîté le pas à l’Hexagone, laissant espérer un effet d’entraînement.

On parle de 100 milliards de dollars au total. Y croyez-vous ?

Non, même si je le souhaite. Ce chiffre traduit l’état d’esprit volontariste du président Macron mais pas nécessairement la « realpolitik ». La France aura du mal à convaincre un grand nombre de pays d’embarquer dans la réallocation des DTS. Non parce qu’ils refuseraient d’aider le continent, ni parce qu’ils voudraient garder l’argent pour eux. Mais parce que beaucoup d’États, en particulier la Chine, contestent la répartition actuelle des DTS. Pékin juge son quota insuffisant au regard de son importance dans l’économie mondiale. D’autres pays sont dans la situation inverse, bénéficiant, pour des raisons historiques, de quotas importants au regard de leur poids économique. On voit mal ces acteurs peu à l’aise avec les DTS adhérer à un mécanisme qui les valide de fait.

Il y a un consensus sur la nécessité pour le continent de produire localement des vaccins contre le Covid-19. À quel horizon ?

La pandémie doit être le tournant qui rend cela possible à court terme. La volonté politique est là. La question des brevets est sur la table. Les capacités de production existent déjà dans cinq pays – Afrique du Sud, Égypte, Maroc, Tunisie et Sénégal – et des financements sont mobilisés. Je suis optimiste.

Il faut aussi être réaliste. La politique ne peut se passer de sécurité

L’actualité est aussi marquée par la transition tchadienne. Comprenez-vous la décision de l’Union africaine [UA] de ne pas sanctionner le Tchad, après le coup d’État militaire, alors qu’elle l’a fait pour le Mali ?

La règle est claire et ne tolère pas de violations constitutionnelles. On traite donc le Tchad comme une exception. Outre l’évident problème de cohérence qu’elle pose, cette décision montre que la menace terroriste est devenue la priorité numéro un des pays africains, au détriment du reste. On voit déjà – au Mali, dans le nord du Cameroun, au Nigeria – que certains acquis sociaux passent à la trappe. Sur le plan moral, on ne peut que remettre en question une décision allant contre les préceptes démocratiques. Sauf qu’il faut aussi être réaliste. La politique ne peut se passer de sécurité.

Comment juger de la bonne gouvernance alors ?

À la distinction entre pays démocratiques et non démocratiques, je préfère celle qui oppose les réformateurs aux rentiers. Certains États soi-disant démocratiques, gouvernés par des dirigeants se contentant d’exploiter les ressources naturelles ou l’aide au développement, stagnent. D’autres, la Namibie, le Maroc, la Côte d’Ivoire, le Togo mais aussi le Bénin et le Rwanda, mènent des réformes qui engagent une transformation économique se soldant in fine par des gains démocratiques.

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