Guerre en République centrafricaine : zones interdites et ingérence russe

Au milieu d’une avancée soutenue par la Russie, la menace croissante des mines terrestres et des explosifs improvisés en République centrafricaine (RCA) indique un changement tactique dangereux dans une nouvelle guerre de guérilla en cours.

Au début du mois, un convoi traversant le nord-ouest instable de la RCA est touché par un engin explosif, tuant un travailleur humanitaire du Conseil danois pour les réfugiés.

Même dans l’un des pays les plus dangereux au monde pour les travailleurs humanitaires, qui sont régulièrement confrontés à la violence et à l’intimidation, cet incident tragique est remarqué, soulignant une menace croissante et sans précédent après des années de guerre civile.

Ces engins aveugles, qui peuvent tuer ou causer d’horribles blessures, empêchent les enquêteurs chargés de l’aide et des droits de l’homme de se rendre dans les points chauds et laissent des communautés désespérées sans solution de secours.

“Les combats se déroulent à huis clos”, expliquent Christine Caldera, du groupe de défense du Centre mondial pour la responsabilité de protéger, ajoutant que ce sont les civils qui paient le prix de l’utilisation croissante des engins explosifs.

Atrocités documentées

Si l’instabilité secoue la RCA depuis des décennies, les origines de ce nouveau chapitre de la crise remontent à 2013, lorsqu’une coalition rebelle s’empare du pouvoir, déclenchant les représailles des milices fidèles au régime déchu dans une spirale de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.

Alors que les parties belligérantes se fragmentent, la Russie entre dans la mêlée en 2017 dans le cadre des efforts visant à étendre son influence sur le continent – soutenant le gouvernement assiégé de la capitale, Bangui, et lui donnant des armes, des munitions et 175 instructeurs militaires.

Des preuves suggèrent que ces soi-disant instructeurs comprennent des mercenaires russes du groupe Wagner, une société militaire privée ayant une expérience du combat en Ukraine, en Syrie et en Libye – bien que les deux gouvernements le nient.

Les groupes rebelles de la RCA – dont le groupe Retour, Récupération, Réhabilitation (3R) – sont en grande partie issus de la minorité musulmane du pays, qui a longtemps été marginalisée.

À la veille des élections présidentielles de décembre dernier, 3R rejoint une alliance rebelle peu structurée, provoquant l’effondrement des accords de paix signés en 2019.

Avec l’aide de la Russie, les forces armées les ont depuis repoussés, reprenant des villes et des villages qui languissaient hors du contrôle de l’État depuis des années.

Mais selon un récent rapport de l’ONU, elles ont commis presque autant d’abus documentés que les rebelles au cours de l’année écoulée, allant des enlèvements et détentions arbitraires aux viols, tortures et meurtres sommaires.
Le marché noir des mines

À cette violence s’ajoute la menace émergente des mines et des engins explosifs improvisés, de plus en plus répandus dans la région, notamment dans le nord du Nigeria, le bassin du lac Tchad et la République démocratique du Congo.

La première utilisation connue de ces engins en RCA a eu lieu en juin 2020, lors d’une offensive soutenue par l’ONU contre le 3R, qui a commencé à utiliser ces armes dans une tentative brutale de s’accrocher à un territoire.

Parmi les engins posés figurait un type de mine antichar connu sous le nom de PRB-M3, un puissant explosif fabriqué en Belgique dans les années 1970 et 1980.

Selon les experts en armement, ces mines font probablement l’objet d’un trafic depuis les stocks libyens ou sont récoltées dans des champs de mines actifs au Tchad et au Soudan avant d’entrer sur le marché noir.

David Lochhead, chercheur principal au Small Arms Survey, affirme que les rebelles centrafricains semblent copier les groupes djihadistes du Mali, qui ont incorporé ce type de mines dans les engins explosifs improvisés, aux côtés d’autres explosifs artisanaux, afin de créer des explosions plus importantes qui détruisent les véhicules blindés.

“C’est une tendance très inquiétante”, dit-il “Un engin explosif improvisé peut coûter 35 dollars (19 574 FCFA) à fabriquer et vous pouvez vaincre un véhicule blindé qui coûte 500 000 dollars”.

Après que la force de l’ONU ait mis fin à son bref assaut sur les bastions du 3R, les incidents liés aux mines ont pratiquement cessé jusqu’à ce que la tentative du gouvernement de chasser les rebelles des villes de province commence cette année.

Au total, entre janvier et août, des engins explosifs ont tué au moins 14 civils, dont une femme enceinte et deux enfants, et en ont blessé 21 autres, ainsi que deux soldats de la paix, dans plus de deux douzaines d’incidents, selon l’agence humanitaire des Nations unies Ocha.

“L’accès ici a été extrêmement complexe – vous avez des lignes de conflit qui se déplacent, des infrastructures pauvres, et maintenant la saison des pluies. Mais les engins explosifs, c’est une nouvelle donne”, indique Rosaria Bruno d’Ocha.

L’impact sur les civils est calamiteux. Plantés sur les routes et même près des écoles, les mines et les engins explosifs improvisés coupent les villageois des patrouilles de casques bleus et de l’aide humanitaire, et obligent les gens à quitter leur foyer. Plus de 1,4 million de personnes sont actuellement déplacées dans tout le pays – le niveau le plus élevé depuis cinq ans.

Par exemple, environ 1 000 personnes ont fui leur village dans la région de Nana-Mambéré après l’explosion d’un engin en mai ; le village reste inaccessible en raison de la menace mortelle persistante.

Une partie de l’aide a été acheminée par hélicoptère, dont 1,5 tonne de médicaments, de produits d’hygiène et de nourriture pour les villageois. Mais de telles opérations sont coûteuses et non viables dans une situation d’urgence humanitaire pour laquelle le plan de réponse fait face à un déficit de financement de près de 190 millions de dollars, soit plus de 40 % du montant requis.
Campagnes de dénigrement

L’impact est également ressenti par la force de maintien de la paix des Nations unies (Minusca), forte de 15 000 hommes, qui a été frappée par de nombreuses allégations d’abus sexuels.

Cette force assiégée a également été la cible de campagnes de diffamation de toutes parts, tandis que sa mission a été entravée par la présence d’explosifs et par le personnel russe déployé sur le terrain.

Le mois dernier, elle a fait face à des rumeurs selon lesquelles elle fournissait des mines terrestres aux rebelles, alors même qu’elle déployait du personnel pour enlever ces engins.

“La Minusca n’a jamais utilisé de mines”, souligne le porte-parole des forces de l’ONU, le Maj Ibrahim Atikou Amadou, ajoutant que les opérations de déminage étaient toujours dans l’impasse à cause de ces accusations.

Cependant, il semble que la responsabilité de la pose de mines ne soit pas uniquement imputable aux rebelles.

En juin, un rapport des Nations unies évèle que les troupes gouvernementales avaient averti les communautés locales dans deux régions différentes du pays que des soldats russes avaient placé des mines sur une route et près d’un pont.

D’autres sources affirment que ce n’est pas le cas, mais que ces rumeurs sont diffusées dans le but de dissuader les rebelles de lancer des attaques.

Indépendamment de l’authenticité de la présence de bombes, la peur créée est réelle, limitant l’agriculture et empêchant les enfants d’aller à l’école, selon le rapport des Nations unies.

La RCA et la Russie nient toutes deux que leurs forces aient commis des violations des droits de l’homme ou utilisé des mines ou d’autres engins explosifs.

Alors que le groupe 3R est largement accusé d’avoir posé des mines, il le nie et accuse les Russes.

Il y a plus de 20 ans, un traité mondial interdisait l’utilisation de mines terrestres visant des individus, bien que la Russie ne soit pas signataire et que les mines destinées à détruire des véhicules ne soient pas couvertes par la convention.
‘Pas de solution militaire’

Les experts préviennent que, malgré leur avancée vertigineuse, les forces gouvernementales n’ont pas éliminé les rebelles, se contentant de les repousser dans des zones périphériques et de les forcer à adopter des tactiques de guérilla.

Ils n’ont pas non plus abordé les griefs sous-jacents qui alimentent leur apparition en premier lieu – la discrimination violente et à long terme de l’État contre la population musulmane.

“Il est clair qu’il n’y a pas de solution militaire à ce conflit”, dit Mme Caldera.

“Si les forces de sécurité progressent dans la reconquête de territoires, elles font des ravages dans la population civile et ne rétablissent absolument pas la stabilité.”

Cette semaine, le président de la RCA, Faustin-Archange Touadéra, a fait fi des critiques concernant son alliance avec la Russie et a insisté sur le fait qu’il était ouvert au dialogue avec les rebelles, déclarant : “je n’ai pas choisi cette guerre”.

Alors que le pays s’enfonce de plus en plus dans le désastre, les civils qui supportent le poids des affrontements espèrent qu’il suivra une autre voie.

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