La hausse des prix repart de façon très nette aux Etats-Unis, mais aussi en Europe. Un phénomène qui, s’il s’inscrit dans la durée, pourrait provoquer une érosion du pouvoir d’achat, et risquerait de casser la croissance.
Pendant des années, la plupart des économies avancées se sont lamentées sur la disparition de l’inflation. Malgré la croissance, une situation de plein-emploi dans la grande majorité d’entre elles et des taux d’intérêt à des niveaux historiquement bas, les indices de prix restaient désespérément atones. A ce moment de la crise pandémique, la forte reprise fait enfin sortir l’inflation de sa torpeur. La question est de savoir jusqu’à quel point.
C’est aux Etats-Unis que la tendance est la plus nette. En octobre, les prix se sont envolés de 6,2 % sur un an. Du jamais-vu depuis novembre 1990. En zone euro, le rebond est pour le moment moins spectaculaire, mais la hausse de 4,1 % sur un an enregistrée en octobre constitue un plus haut depuis treize ans.
Dans un premier temps, économistes, banquiers centraux et dirigeants politiques ont affirmé que le phénomène était transitoire. Le rebond spectaculaire enregistré depuis la généralisation de la vaccination contre le Covid-19 a provoqué une désorganisation des circuits d’approvisionnement. L’offre ayant du mal à s’ajuster à la demande, des goulets d’étranglement se forment et tirent les prix à la hausse. Energie, matières premières, biens intermédiaires, difficultés de recrutement : les déséquilibres se multiplient, mais devraient se résorber progressivement, expliquent-ils. Voire !
Depuis le déclenchement de cette crise, rien ne se passe comme prévu. La pandémie devait provoquer une explosion du chômage et une avalanche de faillites. Ni l’une ni l’autre n’ont eu lieu. Sur l’inflation, le ton rassurant d’il y a six mois n’est déjà plus de mise. Les banques centrales admettent désormais que la transition sera plus longue qu’anticipée.
Demande de rééquilibrage
Il est encore trop tôt pour dire si le provisoire a vocation à durer. Si un peu d’inflation n’est pas mauvais, la vigilance est de mise. La formation d’une boucle entre la hausse des prix et celle des salaires aurait des effets économiques et politiques aux conséquences incontrôlables.
Aux Etats-Unis, les rémunérations sont déjà clairement orientées à la hausse, tandis qu’en Europe la flambée des prix de l’énergie commence à nourrir des revendications dans le même sens. Dans la plupart des pays de l’OCDE, depuis des décennies, les salaires réels progressent moins vite que la productivité, aboutissant à une déformation du partage de la valeur ajoutée au profit du capital. La demande d’un rééquilibrage n’a jamais été aussi forte.
Celle-ci est légitime pourvu que l’on n’assiste pas au même scénario que dans les années 1970, lors du premier choc pétrolier, qui a débouché sur une période de stagflation mêlant ralentissement de la croissance et forte augmentation des prix et des salaires. Certes, celle-ci avait permis à toute une génération d’emprunteurs d’accéder plus facilement à la propriété en allégeant le coût des mensualités de remboursement.
Rien ne dit que les mêmes effets redistributifs se reproduiraient aujourd’hui : les prix de l’immobilier sont beaucoup plus hauts, empêchant quantité d’emprunteurs d’entrer sur le marché. En revanche, l’histoire a montré qu’une inflation durable provoque à la fois une érosion du pouvoir d’achat, dont les premières victimes sont les revenus les plus faibles, et une perte de valeur de la monnaie qui ronge l’épargne.
La ligne de crête est périlleuse. Agir trop tôt pour prévenir les menaces inflationnistes risquerait de casser une croissance chèrement acquise grâce à des politiques budgétaires inédites. Laisser courir la hausse des prix mènerait à un mirage dont les effets pourraient être tout aussi douloureux.