La polémique du drapeau

Un drapeau est toujours un message. Un signe de ralliement au Moyen Âge, un signe de reconnaissance codé par l’héraldique sous la monarchie. Le système actuel de couleurs est toujours porteur de messages idéologiques. Les drapeaux sont immédiatement identifiables: le drapeau rouge, symbole des luttes ouvrières, le drapeau noir de Daech, le drapeau français, le drapeau européen, emblème officiel de l’Union européenne depuis 1985…

La présence momentanée du drapeau européen sous l’Arc de Triomphe n’a pas manqué d’étonner.

Il ne faut pas exagérer l’impact de cette initiative. La photo du drapeau géant ne restera pas dans l’histoire comme celle du drapeau rouge de l’Union soviétique sur le toit du Reichstag à Berlin le 2 mai 1945, elle-même quasi-réplique de la photographie iconique du drapeau américain hissé sur le point culminant de l’île d’Iwo Jima le 23 février 1945, ou encore celle du drapeau Viet Cong sur le palais présidentiel à Saïgon, le 30 avril 1975, après le décollage du dernier hélicoptère américain. Les batailles s’arrêtent en hissant un drapeau. Mais dans le cas présent, ce n’est pas une bataille qui s’arrête, c’est une bataille qui commence.

Car il y a aussi des querelles de drapeaux. Sur la ligne de démarcation entre la Corée du Nord et la Corée du Sud à Panmunjeom, les deux délégations se retrouvent régulièrement autour d’une table ornée des drapeaux de la Corée du Nord et de l’ONU, mais le premier est plus grand d’un centimètre. Il y a des initiatives politiques qui achoppent sur les couleurs. En 1873, après la chute du Second Empire et l’épisode de la Commune de Paris, les royalistes sont tentés par le retour de la monarchie. Ils ont la majorité à l’Assemblée nationale, ils ont un candidat (Henri d’Artois, petit-fils de Charles X, roi de France quarante ans plus tôt), mais… ils n’ont pas de drapeau. Le prétendant exige le drapeau blanc. En refusant le drapeau tricolore, c’est l’héritage révolutionnaire que Henri entend rejeter.

Cette fois, en arborant le drapeau européen sous un édifice emblématique, le président de la République –car il ne fait pas de doute qu’il a donné son accord personnel à cette initiative– affiche une conviction autant qu’un hommage à la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne.

Une conviction assumée et partagée, mais pas par tous. Il y a quelques mois, des sénateurs en déplacement en Hongrie s’étaient étonnés qu’aucun bâtiment officiel de Budapest, à l’exception du palais présidentiel, ne soit pavoisé aux couleurs européennes. Le message est transparent. Les Hongrois n’ont pas digéré le traité de Trianon de 1920 et le ressentiment à l’égard des Européens n’a pas été effacé par les milliards de fonds structurels dont ils ont bénéficié.

Avec cette initiative, la France affiche l’exact opposé. Mais il y a bien des raisons pour penser que cet affichage est bien maladroit.

Il y a d’abord des raisons d’usage. Dans une réponse à une question écrite de Nicolas Dupont-Aignan (JO du 1er mars 2020), le ministre de l’Intérieur précise qu’«aucun texte législatif ou réglementaire ne fixe les règles de pavoisement en France […]. Seuls l’usage et la tradition républicaine sont pris en considération. Le pavoisement des édifices publics aux couleurs de l’Europe est néanmoins possible […]. Le drapeau européen ne peut toutefois être hissé qu’en y associant les couleurs françaises et sous réserve qu’il soit placé à droite du drapeau français […]. Ces mesures ont d’ailleurs été appliquées au cours du second semestre de l’année 2008 lors de la présidence française de l’Union européenne, le Premier ministre ayant, par circulaire n°5305 SG du 20 mai 2008, demandé aux ministres de pavoiser tous les édifices publics aux couleurs nationales et aux couleurs de l’Union européenne.» Les deux drapeaux peuvent être liés mais jamais il n’a été question de substituer le drapeau européen au drapeau national.

Il y a également des raisons de fond. Il ne faudrait pas oublier que les Français ont rejeté le projet de traité constitutionnel européen en mai 2005. Le traité de Lisbonne adopté par voie parlementaire quelques semaines plus tard en est la copie quasi-conforme après élimination des mots les plus voyants (constitution, loi, ministre des affaires étrangères…). Les symboles de l’Union parmi lesquels figurent le drapeau européen étaient mentionnés dans le corps du traité constitutionnel et sont renvoyés à une déclaration annexée au traité. Dans ce contexte, ce pavoisement fait fi des réticences exprimées par des millions de Français et peut être ressenti comme une provocation, un décalage voire une marque de dédain de l’opinion publique.

Enfin, c’est une maladresse électorale. Avec cet affichage, le président sortant ne gagnera aucune voix fédéraliste car elles sont déjà toutes macronistes. En revanche, cet affichage risque de troubler le début de la campagne présidentielle et le futur candidat risque de perdre une fraction de l’électorat qui n’aime pas que l’on joue avec ses traditions, ses symboles, surtout quand il s’agit seulement, comme il est vraisemblable, de faire le buzz.

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