Le monde vous appartient

Le mystère de la guerre d’Ukraine échappe encore à son Jules César. Pourtant, de plus en plus de détails cruciaux passent les barrages. Poutine montre ses cartes, Loukachenko divulgue des documents, Zelensky baratine et raconte… Quand la guerre a éclaté, les États-Unis venaient de finaliser leur grand exploit : la consolidation de leur pouvoir sur l’ensemble du monde civilisé. Personne dans l’histoire ne pourrait prétendre à une telle prouesse ; ni l’Empire romain d’autrefois, ni l’Empire britannique, ni Hitler ni Staline ; mais les Yanks ont réussi. Leurs agents choisis et leurs mandataires dirigeaient tous les États importants : l’Angleterre et la France, l’Allemagne et le Japon étaient tous gouvernés par des agents américains. L’Allemagne et le Japon peuvent encore être occupés par l’armée américaine, mais même si la France n’a pas de troupes américaines, elle est toujours dirigée par un agent américain. Le mandataire américain de la Suède a récemment accepté d’abandonner sa précieuse et profitable neutralité. La Finlande a renoncé à l’approvisionnement inépuisable en gaz et en bois bon marché de la Russie pour devenir un pion, au cœur de la nature sauvage du grand Nord. Ces agents américains allaient pouvoir infliger d’horribles souffrances à leurs sujets ; ils allaient détruire des industries, amener la famine et des épidémies sur leurs nations, juste pour suivre la baguette magique entre les mains de Washington. Aucun pays n’est loin d’une base militaire américaine : oui, ils contrôlent le monde.

La Russie et la Chine ont également été soumises : elles conservent des vestiges d’indépendance, mais acceptent les ordres américains. Le communisme russe qui a préservé l’immense État russe à travers les guerres mondiales est finalement tombé, et les régimes néolibéraux qui ont suivi ont vendu ou démoli tout ce qui restait debout. Les Russes ont ignoré leur propre sécurité parce qu’on leur avait promis que l’OTAN ne s’étendrait jamais vers l’Est dans les anciens États soviétiques, mais cette promesse n’a pas été honorée. Les États-Unis ont ouvertement renié leurs promesses, ne permettant même pas à la Russie de se plaindre. Poutine, qui prend relativement bien soin de son peuple et reste populaire auprès d’eux, a exigé que l’OTAN se retire aux frontières de l’accord de 1997. Ils ont refusé net d’en discuter; mais Poutine hésitait toujours à affronter la suprématie mondiale des États-Unis.

La Chine a été soumise par le commerce, car on l’a laissée fabriquer et vendre des marchandises bon marché, se débarrassant ainsi de sa propre pauvreté. Le président Xi a de fait obéi aux souhaits des États-Unis, mais maintient toujours plus ou moins au moins l’illusion de l’indépendance.

La grande planète Terre appartient pratiquement aux États-Unis. Avec des centaines de bases militaires, le dollar comme monnaie universelle, que voulez-vous de plus ? Le monde vous appartient ! Les Américains pouvaient enfin se détendre et s’offrir la belle vie. Mais ils ont toujours été trop cupides et l’hubris les a menés à sacrifier leur propres biens. En s’attaquant à la Russie, ils pourraient bien mettre fin à leur hégémonie.

Ils ont décidé de donner une leçon au Poutine russe. Pour ce faire, ils ont utilisé le modèle Tempête du désert qu’ils avaient mis en œuvre en 1992 contre Saddam Hussein en Irak. Comme vous vous en souvenez peut-être, l’ambassadeur américain avait dit à Saddam que les États-Unis ne s’opposeraient pas à ce qu’il s’empare du Koweït, une petite mais riche principauté qui faisait partie de l’Irak jusqu’à ce que les Britanniques l’en séparent. Saddam a donc fait exactement cela, avant de découvrir qu’il était qualifié de nouveau Hitler. Les États-Unis avaient attaqué l’Irak dans ce qu’on a appelé l’opération Tempête du désert ; dans la foulée ils ont tué quelque 40 000 soldats et causé la mort de 200 000 civils irakiens. Au cours des dix années suivantes, les États-Unis ont saigné l’Irak avec des sanctions, l’ont envahi à plusieurs reprises et ont finalement pendu Saddam. De la même manière, ils ont convaincu M. Poutine que les États-Unis n’interféreraient pas en Ukraine. C’était un piège, et il est tombé dedans.

La situation en Ukraine était préoccupante depuis un certain temps et était déjà explosive. Le régime actuel de Kiev a été établi après le coup d’État de 2014, qui a été orchestré par Victoria Nuland et son minyan [cénacle juif] de néocons. Le régime a été généreusement soutenu par les États-Unis tant qu’il est resté violemment anti-russe. Ils ont commencé par bombarder la région ukrainienne orientale à prédominance ethnique russe du Donbass. Bien que le régime de Kiev ait signé les accords de Minsk promettant un certain degré d’autonomie au Donbass, il les a piétinés et a admis plus tard avoir conclu ces accords juste pour avoir plus de temps pour se préparer à la guerre avec la Russie. Mais Poutine est un homme pacifique et il ne voulait pas envoyer son armée se battre. L’armée russe a été réduite pendant son règne ; des systèmes d’armes coûteux ont été détruits ou remisés. Poutine a réduit l’armée à une armée professionnelle plutôt petite, prête pour des conflits mineurs à la périphérie, s’appuyant sur les armes nucléaires dont il a hérité de l’URSS, conçus pour s’ajuster à des scénarios apocalyptiques. Tout le reste – relevant des confrontations conventionnelles qui ont dominé le XXe siècle – a été négligé. Enfin, toujours convaincu que les États-Unis n’interféreraient pas, Poutine est entré en Ukraine pour imposer la paix.

La triste expérience du 22 juin 1941 l’avait marqué. C’était le jour où l’Allemagne avait envahi la Russie malgré le traité de paix conclu entre les deux pays. Staline avait appris de ses espions que l’attaque était imminente, mais il n’y croyait pas; il était sûr que ce n’était qu’une rumeur ennemie. La première frappe des panzers allemands a atteint les murs de Moscou six mois plus tard. Poutine ne voulait pas faire aux Ukrainiens le même cadeau que Staline à Hitler. Frapper en premier! –telle est la devise de Poutine.

En quelques jours, l’armée russe était déjà aux portes de Kiev. Ce fut rapide, bref et décisif. Aussitôt, à Istanbul, les représentants de la Russie et de l’Ukraine mirent au point un accord diplomatique. L’accord fut rendu possible grâce aux bons offices de l’oligarque juif russe Roman Abramovich, le propriétaire du club Chelsea, qui voulait éviter les sanctions. M. Oleg Tsarev, qui suivait de près ces événements (il était candidat à la présidence de l’Ukraine en 2014), a déclaré que M. Abramovich avait soudoyé les dirigeants ukrainiens afin qu’ils acceptent rapidement d’accord. L’accord n’était pas mauvais pour l’Ukraine : ils devaient réduire leur armée, accepter la neutralité permanente et accepter que le Donbass soit rendu à la Russie. C’était raisonnable, compte tenu des huit années pendant lesquelles le Donbass avait été bombardé par l’armée ukrainienne. Mais cela ne devait pas se faire: M. Johnson, le Premier ministre britannique, est arrivé à Kiev et a surenchéri sur M. Abramovich. L’Ukraine a accepté plus de guerre. C’était une décision populaire en Ukraine : le peuple voulait la guerre.

Quelques jours avant la guerre, le sujet avait été abordé dans le talk-show ukrainien populaire de M. Savik Shuster. Étonnamment, près de 90% du public avait voté pour la guerre, plutôt que pour le respect des accords de Minsk. Les États-Unis ont également insisté sur la guerre. Ils sentaient que Poutine était pris dans leur piège. Pendant ce temps, l’armée russe avait déjà commencé à se retirer de Kiev et de la région de Kharkov. Les généraux russes ont ramené leurs armes lourdes sur le territoire russe et se sont rapidement retirés. Le retrait était tactique – l’armée russe en Ukraine était très petite, juste suffisante pour un raid éclair mais non pour une occupation prolongée. Mais c’était quand même un exercice humiliant.

Pire, les États-Unis et leurs alliés ukrainiens ont mis en scène une copie de Timisoara dans la petite ville de Bucha, avec des cadavres sortis des tombes et de la morgue, pour imputer aux soldats russes des atrocités. Timisoara, c’est cette ville minière roumaine où un massacre similaire avait été organisé par la CIA en 1989 afin de déposer et d’exécuter rapidement le dirigeant de l’époque, M. Nicolae Ceausescu.

Pour mener une guerre plus longue, la Russie devait trouver plus de soldats, et la mobilisation a donc commencé. Beaucoup de jeunes hommes pro-occidentaux (et moins jeunes) avaient quitté la Russie, principalement vers les anciennes républiques soviétiques de Géorgie, du Kazakhstan, etc., et vers Israël où les visas d’entrée ne sont pas requis pour les Russes. Certains pro-occidentaux ont fait une tentative pour s’installer en Europe, en aspirant au statut de refugiés (ils ont été encouragés et instruits par les émigrés des vagues précédentes). Toute cette génération avait grandi après la chute de l’Union soviétique et avait été élevée dans l’idée que l’Occident était merveilleux. La Russie est la seule république ex-soviétique qui n’a pas connu de poussée nationaliste ; tous les autres États soviétiques ont été inspirés par leurs propres nostalgies de nationalisme ou même (dans le cas de l’Ukraine) influencés par les néonazis. Alors que les Ukrainiens et les Géorgiens apprennent à l’école qu’ils sont les meilleurs, on apprend aux Russes qu’ils ne sont pas particulièrement merveilleux. Même le patriotisme ordinaire peut difficilement être déniché en Russie. Leur amour est tourné vers l’Occident ; l’histoire d’amour des médias avec l’Amérique est une tendance universelle, et cela a également fonctionné pour la Russie.

Le nationalisme russe avait été éradiqué presque complètement en URSS, bien que les nationalistes aient eu un ou deux grands magazines dans les derniers jours de l’Union soviétique. Dans les années 1970, les nationalistes russes ont tenté de se faire entendre, mais ils ont ensuite été accusés d’antisémitisme et se sont tenus cois (le poète Stanislav Kunyaev raconte ce dernier combat). Même sous Poutine, les nationalistes continuent d’être découragés, bien que les Juifs (qui étaient partis en masse pour Israël) aient été en partie remplacés par des Arméniens. Seules les dernières années du règne de Staline ont été passablement bonnes pour les nationalistes russes. C’est pourquoi il n’y a pas eu de réponse positive à la mobilisation. Les personnalités pro-occidentales ont réussi à s’approprier pratiquement toutes les ressources culturelles, et pour un créateur, il n’y avait pas le choix : s’il voulait être publié, s’il voulait percer dans le cinéma, il devait être pro-occidental. La guerre d’Ukraine a été une bonne chose de ce point de vue. Au moins un certain patriotisme russe est redevenu légitime, bien que ce ne soit toujours pas l’humeur dominante. Les États-Unis ont imposé des sanctions anti-russes à tous leurs alliés, n’autorisant que les importations que les États-Unis souhaitaient pour leurs propres besoins. Même le tribunal de La Haye a fait l’objet de sanctions américaines (les États-Unis ont menacé d’occuper La Haye si ses juges osaient enquêter sur les massacres au Vietnam et en Afghanistan par les forces américaines). Ils ont porté plainte contre le président Poutine pour l’accusation totalement fictive d’enlèvement d’enfants ukrainiens (environ 150 enfants ukrainiens ont été déplacés du champ de bataille vers des colonies de vacances d’été, tandis que deux fois plus d’enfants ont été enlevés par l’UE à leurs parents). Bien qu’injuste, l’accusation même a eu un impact positif sur M. Poutine : à partir de ce moment-là, il a compris que s’il échouait, il pouvait s’attendre au sort de Saddam Hussein ; ergo il ne peut pas échouer.

La guerre s’est transformée en une bataille de tranchées à l’ancienne et de lourdes fortifications. La seule bataille importante (après Marioupol) a été la bataille pour Bakhmout, une petite commune provinciale. On se souviendra à jamais d’un homme auparavant peu connu, Yevgeny Prigojine. On l’appelait «le chef de Poutine» pour une drôle de raison : il possédait autrefois une entreprise de restauration qui nourrissait des écoliers à Moscou et à Saint-Pétersbourg. Mais en 2015, il est devenu le directeur et le commandant d’une compagnie de mercenaires, le groupe Wagner, et ses soldats ont eu un grand impact en Syrie puis en Afrique. Ce sont ses soldats qui ont pris Bakhmout après «le hachoir», comme ils appelaient cette opération. Des milliers de soldats ukrainiens y ont été tués. Prigojine est également un maître des relations publiques. Il critique impitoyablement le MoD (ministère de la Défense), l’état-major, les généraux et le ministre de la Défense. Il les a accusés d’un manque de patriotisme, de se soucier peu des soldats russes. La seule exception qu’il ait faite, c’était pour ses vieilles connaissances de la campagne syrienne, le général «Armageddon» Sourovikine et le général trois étoiles Michael Mizintsev qui a commandé les troupes lors de la réduction de Marioupol. Fils d’un paysan de Vologda, Mizintsev était l’officier russe le plus haut gradé actuellement sur le champ de bataille et il était vice-ministre de la Défense. Après le hachoir de Bakhmout, Mizintsev a pris sa retraite de son poste au MoD, et il est devenu le commandant en second du groupe Wagner.

Pourquoi M. Poutine a-t-il autorisé une critique aussi impitoyable de son ministère de la Défense ? Apparemment, il voulait avoir un équilibre. Il se souvient que l’armée irakienne a été vaincue par les États-Unis avec l’aide de généraux irakiens qui avaient accepté des pots-de-vin américains et qui ont trahi leur pays et leur chef. Le groupe Wagner était une assurance contre une démarche similaire des généraux russes.

Le groupe Wagner est une bonne armée, pleine de soldats et d’officiers prêts à se battre. Au début, il avait le problème d’être à court de munitions, mais il semble que cela ait été résolu. L’URSS a laissé un riche héritage d’armes et de munitions ; bien que sa production ait été quelque peu affaiblie, ils l’ont récemment améliorée. Après le règne désastreux de Gorbatchev-Eltsine, les choses ont dû être reconnectées, et la guerre d’Ukraine a donné à M. Poutine une chance de forcer les connexions. Oui, il vaut toujours mieux éviter complètement la guerre, mais Poutine presse les citrons de l’OTAN et en fait de la limonade russe. Oui, les Russes étaient assez naïfs pour croire que les États-Unis pourraient les aider au lieu de les combattre. Ils étaient aussi bêtes que ça ? Mais cela a commencé il y a longtemps, ce fantasme russe d’un Occident libre et magnifique comme un paradis terrestre et un modèle de perfection démocratique. Poutine avait également accepté ce paradigme pendant de nombreuses années. Donc la guerre a été bonne dans la mesure où elle a permis à la Russie de se réactiver, tout comme son armée, et son patriotisme.

Après le hachoir de Bakhmout, l’armée russe s’est assise et a attendu l’offensive ukrainienne. Cela a commencé il y a deux semaines, et pourtant il n’y a toujours pas de grande victoire. Mais qui sait ? Il n’est pas impossible que les Ukrainiens obtiennent quelque chose, tant que les Russes refusent la mobilisation et renâclent à mettre leur économie sur le pied de guerre. Il semble que M. Poutine ait finalement accepté que la guerre de l’OTAN ne se terminera pas de sitôt. Il pense maintenant à des stratégies à beaucoup plus long terme, car c’est aussi une période de grand réalignement du monde. L’Europe pourrait prospérer avec des ressources russes bon marché ; La Russie pourrait prospérer en leur en vendant. Mais tant que les États européens seront dotés d’agents américains, ce ne sera pas le cas.

Récemment, un expert très pro-occidental nommé Sergei Karaganov a publié un article appelant à une frappe nucléaire tactique contre l’OTAN. D’autre part, un stratège russe, un patriote et même stalinien, M. Chichkine, a persuadé son auditoire d’éviter cela, car la guerre tactique doit se transformer en guerre nucléaire stratégique. Cette discussion est toujours en cours. Mais il semble que les grandes figures américaines et européennes n’aient plus peur de la guerre nucléaire, pas après le COVID-19, et surtout pas après la hausse choquante du coût de la vie (grâce à l’agenda vert et à la destruction de l’agriculture européenne ). Qui voudrait vivre sa vie dans ces conditions ? À moins que le pouvoir des oligarques mondiaux ne soit brisé, nous sommes tous tentés de nous préparer à l’Armageddon, sans regrets.

Enfin, mon savant ami, le professeur Z, croit qu’une fois tous les mille ans, l’humanité est détruite par une race de maîtres de l’espace et qu’il renaît pour s’occuper de la planète. Maintenant, les extraterrestres apparaissent même sur les pages du NYT. C’est probablement le bon moment pour nous d’être anéantis, et merci à Greta Thunberg, Bill Gates, Antonio Fauci et al pour tout ça.

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