Le sommet de Vilnius marque le début de la fin pour l’OTAN et le début d’une nouvelle époque. Pourtant, la conférence se contente d’acter les inflexions. Il est donc temps d’analyser et dans cet article je souhaiterais me concentrer sur l’un des facteurs matériels à l’origine de ce nouveau monde.
«Je suis Juif, sinon par la religion, que je ne pratique point, non plus que nulle autre, du moins par la naissance. Je n’en tire ni orgueil ni honte». (Marc Bloch, «L’étrange défaite 1940»)
Permettez-moi de commencer par les mêmes mots et de paraphraser un homme dont le courage égala les talents d’analyste. Loin de moi, l’idée de hisser à une telle hauteur, mais les temps historiques permettent de faire illusion grâce à la richesse de la matière offerte. Donc acte :
Je suis occidental, je n’en tire ni orgueil ni honte. Simplement descendant de la civilisation dont les réalisations firent entrer l’humanité dans la modernité. Cette période nouvelle de l’histoire du monde après la préhistoire et l’époque agraire, voit l’humanité grâce au machinisme et plus récemment l’informatique accéder à une abondance matérielle inconnue des temps anciens. Inconscient du nouveau monde ouvert devant nous, nous sommes entrés dans cette carrière avec les plis intellectuels de l’époque passée. La colonisation, l’esclavage, les bombes atomiques, tous les éléments imputés au passif occidental peuvent être lus comme des erreurs de jeunesse.
L’occident a obtenu une baguette magique, il démultipliait ses capacités après des millénaires de lente progression incrémentale. Les rapports de force, les équilibres tout était modifié, faut-il dès lors s’étonner que toutes les décisions n’aient pas été optimales ? Notre civilisation s’est, avec de nouveaux moyens, découverte de nouvelles responsabilités. La conférence de Valadolid en est un exemple, où pour protéger les populations indiennes d’un esclavage dont nous venions de mesurer les effets dévastateurs, l’église accepta l’institutionnalisation de l’esclavage africain. Double erreur ou tentative d’évoluer dans la direction d’une abrogation de l’esclavage que l’occident accordera au XIXe siècle, mais menée sans véritable plan ni idée des conséquences ? Nous découvririons et tâtonnions.
Et il s’agit là d’un bon exemple, qui à la lumière du passé aurait pu envisager que des millions de personnes seraient transportées (Déportées si vous voulez) à travers des océans entiers ? Il a fallu les formidables progrès de la navigation pour rendre cela possible.
Alors, il s’agit d’apprendre de ses erreurs, savoir ne pas réitérer, mais sans jamais battre notre coulpe. Les Mongols, les Daymo japonais, les Zoulous ou les peuples de Polynésie auraient-ils agit différemment si de tels moyens leur étaient tombés entre les mains ? Autorisez-moi à en douter, la domination et l’exploitation sont des instincts profondément ancrés en l’homme.
Il ne s’agit ici, ni d’exaltation ni de blanc seing, mais d’un simple constat : la modernité n’a pas créé un être parfait, elle a seulement étendu le champ des possibles à un univers dont nous devions évaluer les conséquences et nous avons été surpris. Ce possible s’est matérialisé avec une canonnière le long des côtes de Chine pour mettre en place ce que l’on a appelé la diplomatie de la canonnière. Oui, soyons honnête, l’occident a eu la force et comme tout le monde, il a cédé à la séduction de cette toute puissance. Aujourd’hui certains chez nous en battent leur coulpe.
Encore une fois, pas moi : tout le monde aurait cédé à la tentation et si nous sommes d’accord pour aujourd’hui condamner la colonisation, l’essentiel est désormais d’éviter de la réitérer. Force est de constater que les dirigeants occidentaux sont sur ce plan schizophrènes. D’un côté ils se repentent, mais d’un autre côté la canonnière fut remplacée par le porte avion et considèrent nombre de pays comme leur chasse gardée. Notre président, l’inénarrable Monsieur Macron passe son temps à se repentir, mais lorsque le Mali nous prie de faire nos valises pour confier sa sécurité au groupe Wagner (Perçu à tort ou à raison comme plus efficace), le monsieur se répand en invectives. Mais laissons, la logique et la cohérence sont en opposition directe avec le «en même temps» macronnien et revenons à nos porte-avions et à la diplomatie du même nom. Certes ce navire est plus cher qu’une canonnière, mais capable de ravager tout un pays en raison de la portée de son groupe aérien.
Le porte-avions a eu ses grandes heures et il faut se souvenir des interventions de l’aéronavale au-dessus de l’Afghanistan pour comprendre l’extraordinaire avantage représenté par cette arme flexible et puissante. Aucun lieu sur terre n’était à l’abri d’une force puissante capable de frapper depuis au-delà des mers. Alors, nos dirigeants, si nobles, si moraux, si soucieux de repentances ont bien sûr fait amende honorable. Je plaisante, ils ont continué à céder à la tentation, toutefois ils ont adapté les formes. Au lieu de milliers de tuniques rouges pour occuper un pays, on nomme un Karzai ou tout autre forme de valet bien en cours sur les rives du Potomac. Cela se nomme propager la paix et la démocratie. Il faudrait un article entier pour traiter de l’humour de la proposition des néoconservateurs et nous le réserverons pour un autre jour.
Mais, il y a un hic. Autrefois, seules des forteresses côtières, coûteuses pouvaient arrêter une flotte d’invasion. La supériorité maritime se traduisait donc en rapport de force déséquilibré. Mais la technique a évolué, avions et missiles se sont perfectionnés et avec l’allongement de leur portées leur poids stratégique a changé. L’aviation basée à terre reprend ses lettres de noblesse.
Durant les années 1980 les avions contre les tasks forces américaines impliquaient des raids massifs pour lancer suffisamment d’armes pour toucher. J’invite les nostalgiques à lire ou relire «tempête rouge», état de l’art des estimations de ce temps. Des dizaines de bombardiers lourds étaient nécessaires pour à peine égratigner quelques convois au milieu de l’Atlantique. La menace d’une force aéronavale restait donc crédible, mais la guerre en Ukraine a apporté un nouvel acteur : Le missile supersonique.
Évidement les familiers de la pièce savent l’arme en préparation depuis au moins une décennie et les Chinois avec leurs missiles pouvaient revendiquer la primeur. Mais, cela restait théorique, une menace potentielle loin d’avoir fait ses preuves, désormais la grande première a sonné et l’impétrant semble crédible dans son rôle. Certes, nos amis ukrainiens nous assurent avoir détruit six Kinjal et pouvons-nous douter de la parole du camp du bien ? (Qui ne l’est peut-être pas tant que cela.)
Bien sûr que non, jamais nous n’oserons par peur d’une damnation médiatique éternelle, mais, minuscule détail, le Patriot, l’arme censée avoir détruit les missiles hypersoniques s’est faite ratiboisée par ce qui semble être un seul missile malgré une contre salve gigantesque.
Dès lors, voilà la parole kiévienne décrédibilisée et personne de sain d’esprit ne semble désirer défier le nouvel entrant en exposant un groupe aéronaval complet. Quel manque d’esprit sportif n’est-ce pas ?
Alors, on peut douter, refuser de croire, mais comparons le passé avec le présent. En 1996 la Chine avait énervé les USA, le président Clinton avait alors envoyé deux porte-avions US devant les côtes chinoises. L’an dernier la Chine a organisé des exercices autour de Taiwan, avez-vous vu un porte avions ? La Russie énerve les USA, si l’on peut le dire ainsi. Avez-vous des portes avions devant la péninsule de Kola, ou devant Vladivostok ? (Pourtant, il est certain que la nécessité de ramener des centaines d’avions russes sur ces zones aurait affaibli leurs opérations en Ukraine.) Bien sûr que non. Donc, les missiles hypersoniques semblent réussir leur rôle de dissuasion conventionnelle.
Dès lors, sans entrer dans la technique pour laquelle les compétences me manquent (Je suis désolé pour ma carrière d’expert de plateau, dommage, moi qui voulais passer la soirée avec de jolies ukrainiennes manucurées pour parler de guerre et d’armement) force est de constater l’existence à compter d’aujourd’hui d’un obstacle politique. Une force d’un escadron d’avions armés d’une douzaine de missiles de ce type, peut donc arrêter un groupe de PA. Alors, bien évidemment, tout n’est pas si simple, un tir nécessite une chaîne de ciblage, mais parions sur la capacité des Russes à en inventer une, fut elle imparfaite. Dès lors pour un coût abordable, nombre de pays pourront disposer des capacités nécessaires pour se mettre à l’abri des menaces militaires occidentales.
La guerre en Ukraine marque donc un tournant historique, non pas grâce aux opérations, finalement sans intérêt réel, car les Russes assurés de leur victoire prennent le temps de passer au concasseur l’armée ukrainienne. Mais pendant ce temps, ils détruisent les armes occidentales : la supériorité morale autoproclamée de l’occident. Car détruire des pays est certes acceptable d’un point de vue raciste tant que ceux-ci sont situés au-delà des mers. Mais cette fois-ci, la victime est l’Ukraine, en pleine Europe, sacrifiée aux intérêts US et le facteur d’identification va jouer. Plus de racisme plus de barbares à éduquer et dont le sort est sans importance. Cette fois ci, les lumières s’éteignent en Europe et bientôt la responsabilité occidentale sera indéniable. Que ferons-nous lorsque les Russes avec des experts du monde entier ouvriront les archives de Khiev et feront comparaitre les responsables ukrainiens ? Rien, il sera difficile, de nier. Nous pourrons faire la sourde oreille, éviter d’en parler aux peuples occidentaux comme de toutes les vérités qui dérangent, mais notre prestige auprès du reste du monde sera détruit.
De même, ils détruisent la menace militaire occidentale. Ces dernières décennies, faute d’accord gagnant-gagnant à proposer nous avons résisté en menaçant les pays rebelles d’anéantissement. Serbie, Irak, Libye, Syrie, les exemples abondent. Mais le conflit en Ukraine lamine les stocks, il montre l’incapacité occidentale à le remplir de nouveau. Dès lors, il deviendra difficile de refaire une affaire de type syrien. Ajoutez-y la capacité russe à détruire la plupart de nos armes de frappe en profondeur et maintenant les armes hypersoniques. Il leur suffira de les multiplier pour créer des zones de dénis d’accès aux forces occidentales. Dès lors, la fenêtre de la colonisation sera terminée au moment où nos dirigeants ont le plus besoin de pillage.
Cette fois-ci, plus de trémolos de discours moral sur telle ou telle dictature devenue soudain bien pire que celle de Pinochet (Bien sûr), mais le fait brutal de l’incapacité à menacer. Tout est-il terminé ? Non bien sûr, les armes hypersoniques sont tout au plus, une évolution technologique, et comme tout modification technologique elle est par nature transitoire.
Le narratif ukrainien sur la destruction de six Kinjal était pour cela bien choisi. On pouvait croire que la technologie avait rattrapé la menace. Hélas, les pauvres ukrainiens ont négligé un détail : ils sont en guerre et les Russes n’ont, j’ignore pourquoi, aucun intérêt à soutenir leur propagande. Détail, certes, mais les Russes ont infligé un camouflet à l’histoire médiatique. La destruction de la batterie de Patriot avec un Kinjal a donc montré que la nouvelle arme conservait sa capacité de dissuasion.
Alors que va-t-il se passer ? Les Russes doivent développer une chaîne de ciblage à la portée des puissances moyennes, c’est l’évidence, on n’improvise pas un tir à des centaines de kilomètres de distance. Ensuite, les contrats seront négociés et il est probable que nombre de pays se doteront d’un arsenal complet. Nous verrons alors un nouvel équilibre des forces s’instaurer.
Alors, attention, cela ne signifie pas la fin de tout colonialisme, l’occident a des plans dans les cartons, des îles flottantes (300 000 tonnes en béton) des frappeurs (une barge remplie de missiles). Et, nous ne parlons là que de solutions déjà envisagées. Des ingénieurs talentueux sauront sans doute proposer mieux, mais là est le second volet : l’effondrement occidental. Industrie, recherche, éducation, santé, armement dans tous les domaines l’occident marque le pas. Pas sous les coups de barbares occupés à briser les portes de la cité, mais sous les nôtres, dans une sorte de suicide lent et inexplicable.
Alors, pourquoi une civilisation qui fut brillante, puisque capable de créer la modernité et de la répandre à travers le monde (On me pardonnera de trouver positif d’arracher de large partie de l’humanité à la misère) se suicide-t-elle ? Au-delà des causes superficielles dont sont emplis les débats médiatiques, je vais tenter deux approches liées à la psychologie des élites et qui ne sont pas mutuellement exclusives.
Première, ils sont pour la plupart nés dans les années soixante soixante-dix, au summum de la puissance occidentale. Ils ont donc perdu la notion de mortalité. Là où leurs prédécesseurs savaient le reste du monde capable de se rebiffer, eux vivent la supériorité occidentale comme un droit divin. Nos dirigeants sourds à toute menace extérieure négligent donc leurs peuples dont ils pensent ne pas avoir besoin et bien évidement les autres. Plus rien n’existe à leurs yeux que leurs propres histoires et affrontements entre eux. Les romains semblent avoir connu ce sentiment de racisme durant leur décadence et nous en connaissons les résultats : Les barbares (peut-être pas tant que cela) ont pillé Rome.
Seconde cause, dans une classe sociale supérieure le commandement non écrit est de transmettre plus que ce que l’on a reçu. Or, la génération de leurs grands-parents avait des domestiques, luxe accessible et finalement assez commun. Les trente glorieuses ont abouti à la quasi-disparition de ces petits personnels. Pour construire les usines, combattre la propagande communiste et d’autres raisons, il a fallu accorder un enrichissement considérable aux populations, la fameuse classe moyenne. Dès lors, la volonté de se laisser exploiter dans des conditions brutales a disparu et nos «Élites» le vivent mal. Ils ont pris la mauvaise rue alors ils reculent pour en prendre une autre comme un automobiliste égaré prêt à risquer l’accident pour gagner la «bonne» route.
Le phénomène est d’autant plus dangereux qu’il repose sur une frustration inavouable en public. La régression sociale doit alors être considérée comme un objectif prioritaire auquel tous les autres sont subordonnés : mais bien évidement notre extraordinaire défaite militaire en Ukraine sera seulement due à de l’incompétence. La destruction de l’industrie facteur de classe ouvrière en position de réclamer un partage de la valeur ajoutée est une «Erreur», l’éducation devenue une fabrique à crétins pour qui ne peut pas placer ses enfants à l’école alsacienne, tout juste une mauvaise application des textes. Le désarmement des peuples au profit d’armée professionnelle conçue pour la projection et non la défense des frontières du pays, une nécessité.
Vous constaterez d’ailleurs que pour la première fois dans l’histoire prétendre que le gouvernement pourrait ne pas rechercher le bien commun est «Complotiste». Soit, j’assume, envoyez moi ma médaille ! En attendant, nos armes reculent et notre structure rend improbable le développement de nouvelles. Nos dirigeants ont encore un pot de confiture en moins et les peuples occidentaux vont se retrouver pressurés pour compenser.