Militaires français en Afrique. Le trompe-l’œil de la «réarticulation»

Sur fond de contestation grandissante sur le continent, le gouvernement français assure qu’il a appris de ses erreurs au Sahel et qu’il va revoir son dispositif militaire en Afrique. Une nouvelle architecture réfléchie sans le moindre débat démocratique, et qui a tout l’air d’un simple ravalement de façade.

Il y a un an, au moment du retrait contraint des militaires français du Mali et de la débâcle de l’opération Barkhane, les Français avaient eu droit à une campagne de presse sur le thème des nouvelles bonnes résolutions de l’armée française. Le Niger, où s’était repositionnée une partie des troupes françaises, serait alors devenu, selon l’armée française, le «laboratoire» d’un nouveau «partenariat de combat». La France, désormais, n’agirait plus que «sous commandement nigérien» dans le cadre d’une «une inversion partenariale».

Il faut croire que les retombées médiatiques n’avaient pas été jugées suffisantes. Un an après, le général de division Bruno Baratz, commandant des Forces françaises au Sahel (FFS) (le nom donné aux déploiements militaires au Niger et au Tchad depuis la fin de Barkhane), remet le couvert au moment où les autorités françaises s’apprêtent à communiquer sur l’évolution du dispositif et des bases militaires françaises en Afrique. Selon lui, il y aurait à l’œuvre une «position philosophique […] différente» nécessitant de «reformater les esprits» des militaires français. Le Monde titrait le 2 juillet 2022 «Le Niger, laboratoire du nouveau «Barkhane»» ; près d’un an plus tard, une dépêche AFP intitulée «Le Niger, «laboratoire» de la France pour sa nouvelle approche militaire en Afrique» est reprise entre autres par Le Monde. Elle souligne à nouveau un «changement de paradigme» et nous assure que la consigne présidentielle de discrétion et de stricte adhésion aux besoins du pays hôte est «respectée à la lettre au Niger». L’article de l’AFP est écrit par Daphné Benoit, correspondante défense de l’AFP et présidente de l’Association des journalistes de défense, passée notamment par l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN).

Un refrain bien connu

Dans une analyse publiée sur AOC, l’anthropologue Jean-Pierre Olivier de Sardan, qui s’était montré très critique sur l’opération Barkhane, donne crédit aux propos du général Baratz comme aux commentaires de l’AFP, lesquels témoignent selon lui «du changement radical des modalités d’intervention de l’armée française en Afrique dans la lutte contre le djihadisme». «Il faut reconnaître que les troupes françaises ont réellement changé leurs méthodes d’intervention, elles sont réellement placées sous commandement nigérien, elles interviennent réellement en appui aux forces nigériennes au niveau opérationnel, elles se font réellement discrètes. C’est un gros progrès, même s’il est bien tardif», estime l’anthropologue, qui juge néanmoins probable que «la mentalité de «corps expéditionnaire»», «les nostalgies coloniales» et «le sentiment de supériorité et la morgue de donneurs de leçons» n’ont pas pour autant disparu immédiatement des «comportements individuels sur le terrain». Ajoutons ceci : si la mesure de la réussite, comme l’affirment les militaires français, est désormais le retour des cultures dans les champs des paysans nigériens et non plus le nombre de djihadistes «neutralisés», il s’agit là encore d’un progrès.

On nous permettra toutefois de demeurer circonspects au vu d’une longue tradition d’instrumentalisation des armées africaines par l’armée française, d’ingérence de cette dernière, y compris dans le domaine politique, et d’une non moins longue tradition d’effets d’annonce des autorités françaises. Depuis soixante ans, la coopération militaire française est périodiquement justifiée par la supposée volonté de former des armées africaines à même de s’en émanciper. L’affirmation selon laquelle la France n’aurait plus «vocation» à jouer le rôle de «gendarme de l’Afrique» est un refrain qui a été entonné sous tous les présidents français. En février 2008, par exemple, pour contrebalancer l’image rétrograde et raciste donnée par le discours de Dakar, et juste après que l’armée française eut sauvé la dictature d’Idriss Déby Itno au Tchad, le président Nicolas Sarkozy, dans un discours prononcé en Afrique du Sud, promettait la fin de l’ingérence dans les combats africains («un changement sans précédent»), le respect absolu du «principe de la transparence» dans les relations militaires franco-africaines, et assurait que la France n’avait «pas vocation à maintenir indéfiniment des forces armées en Afrique»…

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