Des centaines de kilomètres de tunnels sous la bande de Gaza présenteront un défi pour une opération au sol imminente d’Israël, estiment plusieurs analystes américains. Dotés de tout le nécessaire pour mener des combats à long terme, ces réseaux fortifiés du Hamas tourneraient au «cauchemar» pour les forces israéliennes.
Alors qu’Israël menace de lancer une offensive au sol contre la bande de Gaza, il y peut se confronter à un défi majeur, à savoir un vaste système de tunnels conçu par le Hamas pour couvrir ses combattants et lancer des attaques surprises, a déclaré Bradley Bowman, directeur principal du Centre d’études militaires et politiques et analyste en sécurité basé à Washington.
«Imaginez que vous entrez dans un environnement et que vous progressez à travers le champ ou à la périphérie de la ville, puis tout d’un coup, des forces ennemies surgissent derrière vous alors qu’il n’y en avait aucune auparavant. C’est une sorte de cauchemar pour les forces d’assaut», a-t-il indiqué à ABC News.
Ces réseaux souterrains permettent aux combattants du Hamas de survivre aux bombardements, de se déplacer sans être aperçu à travers Gaza, de réapprovisionner ses forces, de cacher des otages et de mener des attaques surprises, a ajouté l’analyste américain.
Selon les prévisions du général à la retraite David Petraeus, ex-directeur de la CIA et ex-commandant de la Force internationale d’assistance et de sécurité en Afghanistan, envoyer une armée, même aussi puissante que celle d’Israël, dans les quartiers densément peuplés de Gaza, conduirait à «un combat très, très dur».
Il est très difficile «d’imaginer ici un ensemble de circonstances contextuelles plus difficiles que celles auxquelles ils [les israéliens, ndlr] seront confrontés», a-t-il déclaré le 15 octobre à CBS News.
«Il y a des tunnels ; il y aura des pièces qui contiendront des engins explosifs improvisés. Vous devez nettoyer chaque bâtiment, chaque étage, chaque pièce, chaque sous-sol, chaque tunnel. Les pertes civiles seront inévitables, et de lourdes pertes israéliennes nous attendent également», a prévenu Petraeus.
Il avait précédemment considéré l’attaque inattendue du Hamas du 7 octobre comme «bien pire que le 11 septembre» 2001 pour les États-Unis.
Labyrinthe de tunnels équipés pour faire la guerre
Le porte-parole de l’armée israélienne Jonathan Conricus, a admis que déraciner le Hamas ne serait pas «une entreprise facile parce que le Hamas s’est implanté à l’intérieur et sous la bande de Gaza». Selon lui, le mouvement palestinien a déjà utilisé son labyrinthe de tunnels «pour arrêter [leurs] armes et cacher d’innombrables roquettes lors de tous ces affrontements».
John Spencer, analyste du Modern War Institute auprès de l’Académie militaire de West Point, a également utilisé le terme de «cauchemar» pour décrire les réseaux de tunnels du Hamas, avertissant qu’il n’y a «pas de solution parfaite» au «problème» qui «attendra les forces israéliennes» si et quand Tel-Aviv décide de lancer une offensive terrestre.
«Le Hamas aura déjà placé ses dirigeants, ses combattants, son quartier général, ses moyens de communication, ses armes et ses fournitures comme l’eau, la nourriture et des munitions dans ses complexes de tunnels pour se préparer à l’assaut terrestre des forces israéliennes. Les tunnels permettront aux combattants de se déplacer librement et en toute sécurité entre une série de positions de combat sous des bâtiments massifs, même après que Tsahal ait largué dessus ses bombes. Les tunnels du Hamas disposent souvent d’un générateur électrique, d’une ventilation, de conduites d’eau et de réserves de nourriture qui permettront aux combattants du groupe de mieux résister aux défis les plus élémentaires, comme l’épuisement habituel, résultant du siège urbain et de l’isolement. Les dirigeants et combattants du Hamas utiliseront les tunnels pour rester mobiles et s’échapper […] lorsqu’ils se sentent sur le point d’être attaqués ou encerclés de manière décisive», a expliqué l’observateur dans un article publié le 17 octobre sur le site de l’Académie.
À l’inverse, les tunnels permettront au Hamas de mener des attaques surprises contre les forces ennemies qui avancent, en s’infiltrant derrière leurs lignes et en faisant potentiellement des ravages sur les unités orientées vers l’arrière avec des tireurs d’élite, des canons antichar et des troupes armées de roquettes antichar, et peut-être même des «petites équipes de chasseurs-tueurs» spéciales pour surgir, frapper et redescendre dans des tunnels cachés, a continué John Spencer.
Les forces israéliennes qui poursuivraient le Hamas dans les tunnels, seraient également confrontées à une série de problèmes, puisque les lunettes de vision nocturne qui dépendent de la lumière ambiante, ne fonctionneraient pas, de même que les équipements de navigation et de communication. Même du point de vue de défense numérique, «un seul défenseur peut maintenir un tunnel étroit contre une force bien supérieure», a encore poursuivi Spencer.
Bien sûr, les troupes de Tsahal n’entreront pas dans la clandestinité sans défense. L’armée israélienne dispose d’unités spécialisées dont le seul travail consiste à trouver et à détruire des tunnels. Ces équipes travaillent avec des chiens spécialement dressés et des robots conçus pour repérer et détruire les forces ennemies sans avoir à risquer la vie des soldats.
«Mais la dure vérité, c’est que la profondeur et l’ampleur des tunnels du Hamas à Gaza dépasseront les capacités d’Israël», a affirmé John Spencer. En conséquence, «cela pourrait se résumer à l’infanterie et aux ingénieurs de Tsahal qui s’occuperaient des tunnels au fur et à mesure qu’ils les découvriraient» à l’ancienne.
Avantages des tunnels dans la guerre urbaine
Les médias occidentaux et israéliens ont proposé toute une gamme d’explications possibles quant à la raison pour laquelle Tsahal n’a pas encore procédé à une invasion terrestre contre Gaza, malgré les promesses fanfaronnes de hauts responsables israéliens d’effacer le Hamas «de la surface de la Terre». Parmi les raisons possibles évoquées figurent les inquiétudes concernant les otages israéliens détenus par le Hamas, les ouvertures politiques aux alliés préoccupés par les pertes civiles à grande échelle et les craintes des services de renseignement israéliens selon lesquelles le Hezbollah au Liban pourrait ouvrir un deuxième front dans le nord au moment où les troupes israéliennes mettront le pied à Gaza.
Un autre facteur majeur qui pourrait contribuer à expliquer l’hésitation israélienne à l’égard d’une opération terrestre à l’intérieur de Gaza, concerne la lassitude des commandants de Tsahal face aux difficultés auxquelles ils seraient inévitablement confrontés pour assurer leur supériorité sur le champ de bataille contre les quelque 30 000 combattants du Hamas. Ces derniers sont déployés dans l’environnement urbain dense de Gaza, dont une grande partie a déjà été transformée en tas de décombres parfaitement convenables pour créer des embuscades et des nids de tireurs d’élite.
Et les défenseurs ont presque toujours un avantage dans la guerre urbaine, comme le souligne une analyse réalisée en 2021 par le Modern War Institute de l’Académie de West Point.
«Aujourd’hui les avantages offerts à une force plus faible pour occuper un terrain urbain sont considérables. Un ennemi plus faible peut utiliser le terrain physique pour se dissimuler et se couvrir à la fois pour combattre (par exemple en utilisant des bâtiments revêtus en structures défensives d’un niveau militaire) et pour manœuvrer (par exemple à travers des bâtiments ou sous la terre dans des infrastructures civiles et des tunnels préparés). Les forces de défense peuvent également se cacher parmi les populations et les structures protégées définies par les lois des conflits armés. En bref, ils peuvent réduire l’efficacité d’une partie substantielle des technologies et tactiques militaires actuelles», a souligné le rapport.
Réseau souterrain de longue date et de grande envergure
Les tunnels de Gaza ont été largement utilisés par les militants du Hamas pendant des décennies pour faire passer en cachette du matériel et des fournitures à travers la frontière fortement fortifiée autour de la bande. Aujourd’hui, ils peuvent être suffisamment sophistiqués pour créer des réseaux souterrains entiers permettant de déplacer et d’évacuer rapidement les combattants et le matériel, ainsi qu’abriter des postes de commandement souterrains et même des ateliers de production d’armes, selon des experts.
Le chef du Bureau politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh, s’est vanté, en 2018, que le réseau de tunnels à Gaza avait atteint le double de sa taille creusé sous Saïgon par les VietCongs pendant la guerre américaine au Vietnam. Des cartes détaillées basées sur les données de Tsahal, ont montré l’ampleur des efforts de construction de tunnels du Hamas à travers la bande de Gaza, note le Wall Street Journal. Rien qu’au cours de la guerre de Gaza en 2014, les forces israéliennes ont découvert quelque 100 km de passages souterrains secrets. En 2021, le Hamas a laissé échapper qu’il avait construit des tunnels s’étendant sur une longueur totale de 500 km, indiquent les médias.
Les entrées des tunnels sont souvent cachées sous les bâtiments, la végétation et d’autres terrains, ce qui rend souvent difficile, voire impossible, leur détection par l’armée israélienne et son puissant appareil d’éclaireurs.
Les milices de Gaza ont près de 40 ans d’expérience dans la construction de tunnels, leurs conceptions étant de plus en plus longues, robustes et complexes. Selon le Times of Israël, en 2022, par exemple, les forces spéciales israéliennes ont découvert un tunnel du Hamas à environ 70 mètres (230 pieds) sous terre, suffisamment pour résister aux bombardements israéliens les plus violents.