L’amitié arabo-iranienne est une réalité géopolitique

La première visite du président iranien Ebrahim Raïssi en Arabie saoudite, le 13 novembre, marque une étape importante dans le rapprochement entre les deux pays, dont la médiation a été assurée par la Chine en mars. Ces relations acquièrent rapidement un niveau de solidarité qualitativement nouveau dans le contexte du conflit israélo-palestinien.

Cela marque un changement dans les plaques tectoniques de la politique régionale, qui a longtemps été dominée par les États-Unis, mais qui ne l’est plus aujourd’hui. La dernière initiative Chine-Émirats arabes unis de lundi visant à promouvoir un cessez-le-feu à Gaza s’est achevée par un extraordinaire spectacle diplomatique au siège des Nations unies à New York, lorsque les émissaires des deux pays ont lu ensemble une déclaration commune devant les médias. Les États-Unis n’étaient présents nulle part.

Les événements survenus depuis le 7 octobre montrent clairement que les tentatives des États-Unis d’intégrer Israël dans son voisinage musulman selon leurs termes sont une chimère – c’est-à-dire tant qu’Israël n’est pas disposé à transformer son épée en soc de charrue. La férocité des attaques de vengeance israéliennes contre les habitants de Gaza – des «animaux» – a des relents de racisme et de génocide.

L’Iran connaissait depuis toujours la bestialité du régime sioniste. L’Arabie saoudite doit, elle aussi, être d’humeur sereine après avoir réalisé qu’elle devait avant tout apprendre à vivre avec sa région.

Raïssi se rend en Arabie saoudite dans le contexte d’un changement historique dans la dynamique du pouvoir. Le roi Salman a invité Raïssi à s’exprimer sur les crimes commis par Israël contre les Palestiniens à Gaza lors d’un sommet spécial des États arabes, qu’il accueille à Riyad. Cela signifie que l’Arabie saoudite a pris conscience que sa volonté de participer aux accords d’Abraham sous la pression des États-Unis avait aliéné le public arabe.

Le discours occidental sur l’axe Russie-Chine-Iran au Moyen-Orient est erroné. Il s’agit d’une interprétation erronée et absurde. Depuis la révolution islamique de 1979, l’Iran a toujours suivi un triple principe de politique étrangère : premièrement, son autonomie stratégique est sacrée ; deuxièmement, les pays de la région doivent prendre leur destin en main et résoudre eux-mêmes les problèmes régionaux sans impliquer de puissances extrarégionales ; troisièmement, il faut favoriser l’unité musulmane, aussi long et sinueux que puisse paraître le chemin à parcourir.

Ce principe a été fortement limité par la force des circonstances – principalement par les conditions engendrées par la politique coloniale du «diviser pour mieux régner» menée par les États-Unis. Des circonstances ont même été délibérément créées, comme la guerre Irak-Iran, au cours de laquelle les États-Unis ont encouragé les États de la région à collaborer avec Saddam Hussein pour lancer une agression contre l’Iran afin d’étouffer la révolution islamique à ses débuts.

Un autre épisode douloureux a été le conflit syrien. Là encore, les États-Unis ont activement sollicité les États de la région en vue d’un changement de régime à Damas, l’objectif ultime étant de cibler l’Iran en utilisant les groupes terroristes que Washington avait couvés dans l’Irak occupé.

En Syrie, les États-Unis ont brillamment réussi à monter les États de la région les uns contre les autres et le résultat est évident dans les ruines de ce qui était le cœur palpitant de la civilisation islamique. Au plus fort du conflit, plusieurs agences de renseignement occidentales opéraient librement en Syrie, aidant les groupes terroristes à ravager le pays dont le péché capital parce que, comme l’Iran, ce pays avait toujours privilégié son autonomie stratégique et ses politiques étrangères indépendantes, que ce soit pendant ou après la guerre froide.

Il est évident que les États-Unis et Israël ont réussi à fragmenter le Moyen-Orient musulman en exagérant la perception des menaces et en convainquant plusieurs États arabes du Golfe qu’ils étaient confrontés à des menaces directes, voire à des attaques, de la part de mandataires iraniens, ainsi qu’à un prétendu soutien iranien aux mouvements dissidents.

Bien entendu, les États-Unis en ont profité pour vendre d’énormes quantités d’armes et, plus important encore, pour faire du pétrodollar un pilier essentiel du système bancaire occidental. Quant à Israël, il a directement profité de la diabolisation de l’Iran pour détourner l’attention de la question palestinienne, qui a toujours été au cœur de la crise du Moyen-Orient.

Il est visible que le déploiement de l’accord Iran-Saoud-Chine a réduit l’hostilité qui existait entre Riyad et Téhéran pendant les dernières décennies. Les deux pays ont cherché à tirer parti de la dynamique générée par le succès des pourparlers secrets de Pékin en ce qui concerne leur engagement de non-ingérence. Il convient toutefois de noter que les relations entre les pays arabes du Golfe et l’Iran s’étaient déjà considérablement améliorées au cours des deux dernières années.

Ce qui échappe aux analystes occidentaux, c’est que les riches États du Golfe en ont assez de leur vie subalterne en tant qu’acolytes des États-Unis. Ils veulent donner la priorité à leur vie nationale dans les directions qu’ils choisissent et avec des partenaires qui les respectent, en évitant tout esprit à somme nulle, contrairement à l’époque de la guerre froide, pour des raisons d’idéologie ou de dynamique de pouvoir.

C’est pourquoi l’administration Biden ne peut accepter que les Saoudiens travaillent aujourd’hui avec la Russie sur la plateforme de l’OPEP+ pour respecter leur engagement de réduction volontaire supplémentaire de l’offre de pétrole, tout en négociant avec les États-Unis sur la technologie nucléaire et en avançant sur la voie diplomatique avec Pékin pour éviter que l’incendie qui a embrasé le Levant il y a un mois ne se propage au reste du Moyen-Orient.

De toute évidence, les Saoudiens ne se réjouissent plus de la perspective d’une confrontation entre les États-Unis et l’Iran. D’autre part, les Saoudiens et les Iraniens partagent la même inquiétude de voir leur nouveau mode de pensée, qui met l’accent sur le développement, se dissiper en l’absence de stabilité et de sécurité régionales.

C’est donc une pure naïveté de la part de Washington que de considérer le Hezbollah, le Hamas et l’Iran comme un seul groupe – comme l’a fait Blinken lors de sa dernière visite à Tel-Aviv lundi – et de le juxtaposer au reste de la région. L’idée reçue selon laquelle le Hezbollah et le Hamas sont des mouvements «terroristes» est sur le point d’être démasquée. À vrai dire, en quoi sont-ils différents du Sinn Féin, historiquement associé à l’IRA ?

Une telle naïveté souligne l’absurde projet américano-israélo-indien de création d’un QUAD 2 Moyen Oriental («I2U2»), qui semble aujourd’hui risible, ou le complot donquichottesque ourdi récemment à New Delhi lors du sommet du G20 pour faire adhérer les Saoudiens au projet de corridor Inde-Moyen-Orient-Europe, dans l’espoir d’«intégrer» Israël et de créer des activités pour le port de Haïfa, d’isoler l’Iran et la Turquie, de ridiculiser le corridor international Nord-Sud dirigé par la Russie et de faire un doigt d’honneur aux Nouvelles route de la soie de Pékin. Pourtant, la vie est bien réelle.

Tout bien considéré, c’est la tournée régionale du secrétaire d’État américain Antony Blinken en Israël et son sommet avec un groupe restreint d’États arabes à Amman le week-end dernier qui ont constitué un moment décisif dans la crise de Gaza.

Les ministres arabes des affaires étrangères ont refusé catégoriquement d’adhérer à l’une ou l’autre des propositions malveillantes avancées par Blinken dans le but de préserver les intérêts juifs – «pause humanitaire» au lieu de cessez-le-feu ; camps de réfugiés pour les habitants de Gaza fuyant les attaques horribles et brutales d’Israël, qui seraient financés avec de l’argent arabe mais conduiraient finalement à l’implantation de colonies juives à Gaza ; les contours d’un accord d’après-guerre pour Gaza qui laissera les débris à l’Autorité palestinienne et la reconstruction sera financée par les États du Golfe tandis qu’Israël continuera à dominer dans la sphère de la sécurité, si importante ; empêcher l’Iran de voler au secours du Hezbollah et du Hamas alors qu’ils sont mis dans des hachoirs à viande israéliens de fabrication américaine.

C’est de l’hypocrisie pure et simple. Les ministres arabes des affaires étrangères se sont exprimés d’une seule voix pour formuler leur contre-proposition à celle de Blinken : un cessez-le-feu immédiat. Le président Biden semble enfin voir les choses comme elles sont – même si, intrinsèquement, il continue d’être le sioniste numéro un au monde, comme quelqu’un l’a un jour appelé, et que ses motivations sont en grande partie liées à sa propre survie politique à l’approche de l’élection de 2024.

Quoi qu’il en soit, il est fort probable que ce ne soit plus qu’une question de temps avant que la communauté mondiale n’insiste pour stopper l’État d’apartheid israélien dans son élan. En effet, lorsque les pays musulmans s’unissent, ce sont eux qui prennent les décisions dans l’ordre mondial multipolaire qui se dessine. Leur exigence d’un règlement sans délai du problème palestinien a trouvé un écho, y compris dans l’hémisphère occidental.

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