Dans une lettre adressée au Premier ministre, Lloyd George, le 23 août 1917, Edwin Montagu, le seul juif de son gouvernement, écrit que la déclaration Balfour «provoquera en définitive un terrain de ralliement pour les antisémites, de tous les pays du monde… il semble inconcevable que le sionisme soit officiellement reconnu par le gouvernement britannique et que Balfour soit autorisé à dire que la Palestine doit être reconstituée comme le «foyer national du peuple juif». Je ne sais pas ce que cela implique, mais je suppose que cela signifie que les musulmans et les chrétiens doivent laisser la place aux juifs…»
Puis, il ajoute : «J’affirme qu’il n’existe pas de nation juive. Les membres de ma famille, par exemple, qui vivent dans ce pays depuis des générations, n’ont aucune sorte de communauté de vue ou de désir avec une famille juive d’un autre pays, si ce n’est qu’ils pratiquent plus ou moins la même religion…» Il termine sa lettre par ces mots prémonitoires : «J’ai le sentiment que l’on demande au gouvernement d’être l’instrument de la réalisation des souhaits d’une organisation sioniste largement dirigée, d’après mes informations, en tout cas dans le passé, par des hommes d’origine ou de naissance ennemie, et qui, par ce moyen, ont porté un coup sévère aux libertés, à la position et aux possibilités de travailler de leurs compatriotes juifs».1,2
La politique des gouvernements israéliens, à l’exception notable de Yitzhak Rabin, conduit à une impasse et à l’instabilité du Moyen-Orient, voire pire. Il semble que Benjamin Netanyahou, dans un dessein machiavélique, ait fait le choix du pire. Après la destruction de l’Irak, de la Syrie, de la Libye, l’Iran est la seule nation capable de s’opposer militairement à Israël. Netanyahou n’a jamais fait mystère de son désir de l’anéantir en raison de son soutien aux Palestiniens, annonçant chaque année depuis quinze ans que l’Iran est sur le point d’acquérir l’arme atomique. Imitant Caton l’ancien, il répète à l’envie : et l’Iran sera détruit.
Pour atteindre son objectif, il a obtenu des États-Unis qu’ils se retirent unilatéralement en mai 2018 de l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien, plus connu sous son acronyme anglais JCPoA, signé le 14 juillet 2015. Cela ne pouvait qu’encourager l’Iran à acquérir l’arme atomique, faisant ainsi de cette nation la menace que Netanyahou dénonce.
Ce premier pas accompli, d’autres suivent : en décembre 2016, les États-Unis reconnaissent Jérusalem comme la capitale de l’État hébreu, en mars 2019, ils entérinent l’annexion des Hauteurs du Golan, en janvier 2020, ils assassinent le général iranien Qassem Soleimani en Irak. En avril 2023, la police israélienne intervient dans la mosquée al-Aqsa à Jérusalem. En janvier 2024, cinq militaires iraniens sont assassinés à Damas dans une frappe attribuée à Israël qui provoque une réponse modérée de l’Iran. Le 31 juillet Ismail Haniyeh, chef politique du Hamas est assassiné à Téhéran. L’Iran promet de se venger.
Rien de cela n’est dû au hasard. Ce ne sont pas des évènements fortuits, mais des provocations destinées à entraîner l’Iran dans la guerre, seule façon pour Israël d’enrôler les États-Unis dans un conflit que Washington ne souhaite pas en raison de ses conséquences qui pourraient être catastrophiques, et de l’opposition des électeurs à l’approche de l’élection présidentielle3. À moins que ce ne soient les doutes que nourrit le Pentagone sur sa capacité à mener à bien une nouvelle guerre.4
Quelles que soient les raisons qui font hésiter Washington, Netanyahou n’en a cure. Il s’est enfermé dans sa propre logique. Il le sait. Il joue son va-tout. Il poursuit la seule stratégie qui vaille selon lui à cet instant.
En provoquant l’Iran, il fait le pari que les États-Unis n’abandonneront ni Israël ni le Moyen-Orient et son pétrole, et que la Russie et la Chine, alarmées par les effets que leur entrée dans cette guerre provoquerait, feront le choix de s’abstenir.
Ainsi, est-il possible d’imaginer un scénario selon lequel, faisant abstraction de leurs réticences, les États-Unis lanceraient une attaque nucléaire surprise sur l’Iran, en faisant usage de bombes nucléaires tactiques ou mini-bombes, comme le prévoit le Nuclear Posture Review de décembre 20015. Une telle hypothèse donnerait raison à Netanyahou qui ainsi gagnerait son pari. L’horloge de la fin du monde, aujourd’hui à 90 secondes de minuit, sera alors plus proche de l’heure fatidique…
Dans son éditorial du 5 août, Alastair Crooke s’interroge : L’Irgoun de 1948 renaît-il ?6 Non. Il ne renaît pas. Il n’est jamais mort. L’État palestinien n’est qu’un faux-nez, un cache-sexe pour les Netanyahou de ce monde. Il faut être d’une grande naïveté pour croire que cet État dont on parle depuis trois quarts de siècle deviendrait réalité un jour alors que la Cisjordanie est progressivement occupée par les colons israéliens7 – une occupation illégale, comme l’a rappelée la Cour internationale de Justice dans son dernier avis juridique8. Le monde, hébété, assiste donc aujourd’hui au dénouement d’une tragédie qu’il a trop longtemps ignorée. May the American elector save the day.9