Un fonds d’investissement s’est vanté d’avoir réussi à obtenir un revenu élevé grâce aux difficultés de l’Ukraine. Il y a toujours ceux qui savent profiter de toute crise, qu’elle soit économique ou géopolitique. Comment les investisseurs occidentaux tirent-ils profit de la crise ukrainienne ?
Les investisseurs étrangers ont commencé à acheter des obligations ukrainiennes au printemps 2022, à un moment où l’incertitude était à son comble. Selon leur calcul, dès la fin de l’opération spéciale de la Russie, le prix des obligations ukrainiennes augmenterait brusquement.
Pour certains, le conflit armé avec l’Ukraine détruit des vies humaines et cause des dommages matériels, tandis que pour d’autres, il génère des bénéfices exceptionnels. L’Ukraine, qui en est à sa troisième année de conflit armé avec la Russie, a permis à un fonds d’investissement d’obtenir le revenu le plus élevé, surpassant ainsi ses concurrents.
Le fonds Arkaim Advisors a profité de l’achat, à un moment opportun, des obligations de trois grandes entreprises ukrainiennes : la société publique Naftogaz, les Chemins de fer ukrainiens et la société minière Metinvest.
Les obligations de ces entreprises ukrainiennes ont généré l’un des rendements les plus élevés sur les marchés émergents cette année, soit environ 73%, 52% et 19% respectivement, alors que la moyenne pour des entreprises similaires avec une note de crédit spéculative est de 9,4%, selon les données de Bloomberg.
Ce fonds se spécialise notamment dans les obligations spéculatives des pays en développement. Que sont ces obligations et comment parvient-on à en tirer de tels revenus ?
Les obligations en général sont un instrument d’investissement assez conservateur, car elles offrent habituellement un rendement modeste, contrairement aux actions, qui sont considérées comme plus risquées.
Mais les obligations spéculatives ou «junk bonds» sont une tout autre affaire. Il s’agit de dettes émises par des pays ou des entreprises ayant une note de crédit inférieure à celle des investissements ou n’ayant pas de note du tout. En d’autres termes, prêter de l’argent à ces entreprises est très risqué sur le plan économique, car elles pourraient ne jamais rembourser et faire défaut. C’est pourquoi, pour attirer les investisseurs, elles doivent offrir des rendements plus élevés.
Bien que l’opération militaire spéciale soit toujours en cours, ces investisseurs aux nerfs d’acier comptent déjà des bénéfices colossaux. D’où proviennent ces revenus actuellement ?
Tout cela est dû à l’argent que les sponsors occidentaux de l’Ukraine envoient chaque année. La plupart de cette aide ne va pas à l’économie réelle de l’Ukraine, comme on pourrait le croire, mais sert à payer les dettes ukrainiennes à ces mêmes investisseurs étrangers. Un véritable cycle de capitaux, d’une poche occidentale à une autre, alors que la dette de l’Ukraine ne cesse de croître, tant au niveau national qu’au niveau des entreprises publiques ukrainiennes. À la fin de 2021, la dette publique du pays représentait 48,9% du PIB, et à la fin de 2023, elle a grimpé à 85% du PIB.
La dette publique totale de l’Ukraine a atteint un niveau record, passant de 97,95 milliards de dollars en 2021 à 152,2 milliards de dollars en juin 2024, soit une augmentation de près de 20% en un an. La structure de cette dette se répartit comme suit : 71,4 milliards sont dus à des organisations internationales, 42,2 milliards aux Ukrainiens et aux entreprises locales, 7,5 milliards à d’autres pays, et 19,7 milliards concernent les euro-obligations, qui font l’objet d’un moratoire sur les paiements. Le coût du service de la dette a considérablement augmenté. Rien que pour les prêts du FMI, l’Ukraine devra payer environ 3 milliards de dollars cette année, et plus de 3 milliards en 2025.
Mais le pays possède bien plus de prêts et de dettes. Selon les données de l’ONU et du service de statistique ukrainien, les paiements d’intérêts ont coûté 7,9 milliards de dollars en 2023 (contre 5,9 milliards en 2022). La dette par habitant a augmenté de 50%, et en termes absolus, elle a crû d’un tiers, malgré le moratoire de la dette accordé par les pays du G7 et plusieurs créanciers.
En ce qui concerne Naftogaz, l’entreprise a restructuré ses dettes et a récemment reçu des fonds supplémentaires de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). La restructuration de la dette signifie que l’entreprise n’a pas remboursé ses dettes, mais a prolongé leur échéance, ce qui entraînera un paiement d’intérêts plus élevé. Les fonds de la BERD ne sont pas des dons, mais des prêts assortis d’intérêts. Naftogaz utilise notamment ces fonds pour l’achat de gaz.
Les Chemins de fer ukrainiens sont convenus à la fin de l’année 2023 de reporter les paiements sur leurs euro-obligations de 895 millions de dollars jusqu’en janvier 2025.
Metinvest utilise ses liquidités disponibles pour racheter ses obligations dans la mesure possible, ce qui renforce sa réputation auprès des investisseurs. En mai, la société a lancé un appel d’offres pour le rachat de certaines de ses euro-obligations arrivant à échéance en 2025-2026 pour un montant allant jusqu’à 70 millions de dollars.
Le directeur des investissements du fonds Arkaim Advisors, Dimitry Griko, explique que la dette ukrainienne n’est pas le seul actif du fonds. Jusqu’en mai 2024, l’Argentine était le plus grand actif du fonds, mais l’Ukraine occupe désormais une place plus importante dans son portefeuille. En octobre 2023, la part de l’Ukraine dans le fonds représentait 8%, mais elle dépasse maintenant 10%, a déclaré Griko dans une interview accordée à Bloomberg.
À l’origine, la stratégie d’achat d’obligations spéculatives consistait à identifier parmi les entreprises ayant une faible notation celles qui méritaient confiance, et à leur prêter de l’argent. Une fois les fonds obtenus, ces entreprises pouvaient se développer pour devenir des entreprises prospères et importantes.
En d’autres termes, les investisseurs aidaient les petites entreprises à se relever. Cependant, cette pratique a désormais pris une autre tournure, ressemblant davantage à un jeu d’argent lié à des conflits armés ou à d’importantes transactions de fusion et acquisition.