La Russie neutralise l’offensive ukrainienne de Koursk

Le président russe Vladimir Poutine a pris l’Occident à contre-pied en réagissant à l’offensive ukrainienne de Koursk, il y a un mois, qui a été largement célébrée comme un point de basculement dans le conflit. Le conflit est effectivement à un point de basculement aujourd’hui, mais pour une toute autre raison, dans la mesure où les forces russes ont profité de la folie du déploiement par l’Ukraine de ses brigades d’élite et de blindés occidentaux prisés dans la région de Koursk pour atteindre une position indétrônable ces dernières semaines sur les champs de bataille, ce qui ouvre la porte à de multiples options pour l’avenir.

Au contraire, l’Occident se trouve dans un «Zugzwang», une situation que l’on retrouve aux échecs, dans laquelle on est contraint de déplacer un pion alors qu’on préférerait passer son tour.

Le discours de Poutine devant l’assemblée plénière du 9ème Forum économique oriental, qui s’est tenu jeudi à Vladivostok, était très attendu pour ce qu’il avait à dire sur le conflit en Ukraine. Plusieurs éléments ressortent de ce discours.

Poutine n’a plus qualifié ses interlocuteurs ukrainiens de «régime de Kiev». Il a plutôt utilisé l’expression «gouvernement de Kiev». Et il a résumé son propos : «Sommes-nous prêts à négocier avec eux ? Nous n’avons jamais abandonné cette idée». Le chef du Kremlin, qui a déjà négocié avec quatre présidents américains, en attend un cinquième avec un rire «contagieux» qui le rend «heureux», était-il en train de se moquer d’eux ?

Sur une note plus sérieuse, Poutine a toutefois noté que les «autorités officielles» de Kiev regrettent de n’avoir pas suivi le «document officiel signé» négocié avec les représentants russes lors des pourparlers d’Istanbul en mars 2022 «au lieu d’obéir à leurs maîtres d’autres pays, la guerre aurait pris fin il y a bien longtemps».

Poutine a laissé entendre que Kiev devait retrouver sa souveraineté. Les paroles conciliantes étaient mesurées, peut-être dans l’optique d’un démantèlement des alignements politiques au sein de l’équipe au pouvoir à Kiev. En d’autres termes, Poutine rejette le processus de règlement ukrainien de Zelensky, mais est prêt à relancer les négociations sur la base des conditions discutées pour la première fois lors des pourparlers d’Istanbul en mars 2022, au début du conflit.

Poutine a ensuite évoqué les médiateurs potentiels. Il a mentionné trois pays membres des BRICS : la Chine, le Brésil et l’Inde. Poutine a déclaré que la Russie entretenait des «relations de confiance» avec ces pays et qu’il était lui-même en «contact permanent» avec ses homologues afin «d’aider à comprendre tous les détails de ce processus complexe».

Manifestement, Poutine s’inquiète du fait qu’ils lui parlent «constamment» de la situation des droits de l’homme due au conflit, de la violation par la Russie de la souveraineté nationale de l’Ukraine, etc. Il regrette qu’ils négligent la genèse du conflit – le coup d’État de 2014 en Ukraine, soutenu par les États-Unis, auquel se sont opposés les locuteurs natifs de la langue russe, ainsi que la suppression de la culture et des traditions russes.

Fondamentalement, a souligné Poutine, l’Occident espérait «mettre la Russie à genoux, la démembrer… (et) atteindre leurs objectifs stratégiques, auxquels ils s’efforçaient de parvenir, peut-être depuis des siècles ou des décennies». Dans la situation actuelle, l’économie forte et le potentiel militaire de la Russie constituent donc sa «principale garantie de sécurité». Dans la situation actuelle, la puissance économique et le potentiel militaire de la Russie sont donc sa «principale garantie de sécurité».

Dans un tel scénario, quelles sont les perspectives d’avenir ? Poutine est sceptique quant aux intentions de l’Occident. Pourtant, il est concevable qu’il va choyer les trois pays médiateurs qui sont également les partenaires clés de la Russie au sein des BRICS lors du prochain sommet de Kazan le mois prochain (qui devrait se concentrer sur un système de paiement alternatif pour le commerce international).

Moscou craint que les partenaires des BRICS ne battent des ailes dans le vide sans comprendre que le conflit en Ukraine est une guerre de civilisation qui dure depuis des siècles, depuis que les peuples slaves ont commencé à développer leurs propres églises orthodoxes pendant plus de la moitié de l’histoire de la chrétienté.

Poutine est un maître tacticien. Il insistera donc sur le fait que la Russie est ouverte au dialogue avec l’Ukraine – ce qui est, bien sûr, également une déclaration de fait – compte tenu de la pression croissante exercée sur la Russie par le Sud. Mais Poutine ne nourrit aucun espoir de voir Zelensky remplir les conditions préalables aux pourparlers de paix, que Poutine avait énoncées lors d’une réunion avec les hauts fonctionnaires du ministère russe des Affaires étrangères le 14 juin. Au contraire, de nouvelles réalités sont apparues depuis lors.

C’est ce qui ressort clairement d’une interview télévisée que le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a donnée à Vladivostok après le discours de Poutine. Lavrov a tiré les conclusions qui s’imposent : «Volodymyr Zelensky n’est pas prêt pour des discussions honnêtes. L’Occident ne le laissera pas s’en approcher. Ils se sont fixés pour objectif, sinon de démembrer la Fédération de Russie (même si cet objectif a été énoncé), du moins de l’affaiblir radicalement et de nous infliger une défaite stratégique. L’Occident ne lui permettra pas de faire des pas vers nous. Zelensky n’est plus en mesure de comprendre ce qui répond aux intérêts du peuple ukrainien, puisqu’il l’a trahi à plusieurs reprises».

Zelensky lui-même est en train de zigzaguer. Il a adopté une ligne dure dans ses remarques lors de la réunion du «format Ramstein» organisée par les États-Unis vendredi, qui rassemblait des généraux et des ministres de la défense de 50 pays afin de coordonner les livraisons d’armes à Kiev. Zelensky a déploré la persistance de l’interdiction de tirer des missiles et des roquettes de longue portée fournis par l’Occident vers la Russie. Il va maintenant présenter son cas au président Biden.

La présence en personne de Zelensky à l’événement de Ramstein «a mis en évidence la sensibilité du moment dans une nouvelle phase, plus active, de la guerre», comme l’a rapporté le New York Times. Le quotidien a cité un expert ukrainien ayant déclaré que «la tâche principale de Zelensky à Ramstein est d’apporter un peu d’adrénaline aux partenaires».

En effet, la situation dans laquelle se trouve Zelensky n’est pas enviable : la livraison lente des armements occidentaux ; la position hésitante de l’Allemagne en pleine crise budgétaire, alors même que les régions orientales de l’ex-RDA s’opposent ouvertement à la guerre contre la Russie ; la France, fervent partisan de la guerre, est prise dans une crise politique et une élection présidentielle anticipée l’année prochaine pourrait accoucher d’un leadership anti-guerre à l’Élysée ; la trajectoire de la politique américaine pour l’Ukraine après le 5 novembre reste incertaine.

Entre-temps, des divergences entre les États-Unis et l’Europe sont apparues au sujet de la proposition égoïste de Washington disant que l’UE devrait accorder un prêt de 50 milliards de dollars à l’Ukraine et veiller à ce que les avoirs gelés de la Russie restent gelés jusqu’à ce que Moscou paie les réparations d’après-guerre à l’Ukraine. Washington estime que de cette manière, les États-Unis ne seront pas tenus de rembourser le prêt si les actifs russes sont débloqués d’une manière ou d’une autre (les règles régissant les sanctions actuelles de l’UE, qui doivent être renouvelées tous les six mois, permettent à un seul pays de débloquer des actifs, ce qui, selon Washington, met en péril le prêt).

Dans le Donbass, les événements donnent raison à la stratégie de Poutine selon laquelle une défaite écrasante des troupes ukrainiennes dans les secteurs les plus cruciaux du front conduirait inévitablement à la perte de capacité de combat de l’ensemble des forces armées de Zelensky. En fait, les signes de cette évolution sont déjà là.

Poutine a déclaré avec une confiance tranquille que Zelensky n’avait «rien accompli» lors de l’offensive de Koursk. Les forces russes ont stabilisé la situation à Koursk et commencé à repousser l’ennemi des territoires frontaliers, tandis que l’offensive dans le Donbass «réalise des gains territoriaux impressionnants depuis longtemps». Rétrospectivement, l’offensive Koursk de Zelensky s’est révélée être une bévue himalayenne, qui a fait basculer la guerre en faveur de la Russie.

Dans ce contexte, l’extraordinaire premier article commun des chefs des services d’espionnage de la CIA et du Mi6, paru dans le FT de samedi, montre qu’au-delà des jeux de mots et des hyperboles, la stratégie anglo-américaine est dans un cul-de-sac. Bill Burns et Richard Moore ne peuvent même pas se résoudre à formuler les objectifs de Joe Biden, même s’ils admettent que «maintenir le cap est plus vital que jamais».

Burns et Moore ont laissé entendre que les opérations secrètes (terroristes) de Krylo Budanov, le chef du renseignement militaire ukrainien, étaient l’option qui restait dans la guerre par procuration. Quelle chute shakespearienne pour une superpuissance !

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