La désastreuse idée d’une agence de renseignement européenne

Un ancien président finlandais aujourd’hui conseiller spécial d’Ursula von der Leyen recommande de créer un service de renseignement européen. Cela se fera encore aux dépens de la France.

Sauli Niinistö est un ancien président finlandais. Difficile de trouver moins qualifié pour les questions de défense. Ah non, au temps pour nous. Ursula von der Leyen a créé un poste de commissaire européen à la défense octroyé – ne riez pas – au lituanien Andrius Kubilius, bien que la défense reste la compétence exclusive des États membres.

La Finlande, pays militairement insignifiant de cinq millions d’habitants et neutre jusqu’à ce qu’il y a peu, ne partage d’intérêts qu’avec les tous aussi insignifiants trois États baltes et les trois autres pays nordiques. Finlande et États baltes qui, à l’instar de l’Ukraine, étaient du mauvais côté – comprendre des alliés de l’Allemagne nazie – durant la Seconde Guerre mondiale, sont pétris d’une haine hystérique des Russes.

La Suède, la puissance régionale qui a commis l’erreur de renoncer à sa neutralité en intégrant l’OTAN (le peuple suédois le regrette aujourd’hui amèrement), met la pédale douce et ne voit pas du tout d’un bon œil les demandes polonaise et baltes de stationnement de bombes nucléaires à gravité américaines sur leurs territoires. L’éventualité de la construction de bases américaines – pardon, de l’OTAN – en Finlande disposant de capacité de frappe à longue portée ne la comble pas plus de bonheur.

Dans un article publié par le Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), Giuseppe Gagliano, président du Centre d’études stratégiques Carlo De Cristoforis se réjouit du contenu du rapport Niinistö, même s’il en pointe les travers les plus évidents.

Ce rapport, entre autre choses, préconise de créer un service de renseignement européen. Il faut que l’Union européenne renforce sa préparation civile et militaire, y est-il exhorté. Il est recommandé que l’Union européenne utilise 20% de son budget pour la défense.

Combien de fois faudra-t-il répéter que l’Union européenne n’est pas un État souverain mais une organisation intergouvernementale et que l’UE ne peut donc pas subir d’agression. Quand bien même cela serait le cas, il suffira de quelques frappes de précision sur le quartier européen à Bruxelles pour régler son compte au Conseil, à la Commission européenne et au Parlement européen. Et ce serait alors la Belgique qui sera attaquée, pas l’Union européenne.

La politique du fait accompli pour octroyer des compétences à l’UE que les traités ne lui confèrent pas se poursuit, avec une présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, qui semble plus déjantée que jamais et s’enfoncer dans sa psychose consistant à se prendre pour un chef d’État, alors qu’elle n’est qu’une fonctionnaire contractuelle.

Au motif que le monde serait plus dangereux, ce qui ne se vérifie pas. Le danger est causé par ceux qui sont incapables de penser un monde multipolaire et ne raisonnent qu’en termes de domination. En clair, les USA, l’OTAN et sa filiale qu’est l’UE. La multipolarité est l’état normal du monde. La bipolarité de la guerre froide puis l’unipolarité américaine ne furent que des anomalies passagères. Un monde multipolaire n’est pas plus dangereux. Tout est question d’équilibre qui ne s’accommode pas de fainéantise et de manichéisme diplomatique. Exemple : le pays présentant le plus de haut risque de conflit armé avec un État membre de l’UE n’est pas la Russie, la Chine ou l’Iran. C’est la Turquie d’Erdogan, membre de l’OTAN, dont l’expansion militaire rapide est financée par le Qatar.

Il faut lire le rapport de la Cour des comptes européenne sur la «diplomatie européenne», le Service européen d’action extérieure. Quatorze ans après sa création, il ne dispose toujours pas d’un système de communication sécurisé… Alors un service de renseignement, avec les compétences, le cloisonnement, la sécurité, le contrespionnage et les infrastructures que cela suppose, même pas en rêve.
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Du «quoi qu’il en coûte» appliqué à l’Ukraine

La coopération en matière de renseignement est déjà bien réelle en Europe. Elle est aussi vieille que la guerre froide. En revanche, créer un bidule censé la coordonner au niveau européen est une chimère.

Illustrons combien la coopération entre services de renseignement n’est pas chose aisée. Nous adorons nos voisins transalpins à qui nous avons eu cesse, nous Dauphinois menés par le connétable de Lesdiguières, de botter le fondement jusqu’à ce que le Duc de Savoie déplace sa capitale de Chambéry à Turin. Mais quand il s’agit d’affaires militaires et de renseignement, l’Italie, qu’on le veuille ou non, est encore soumise à une forme larvée d’Amgot (Allied government in occupied territories). Elle reste sous la férule américaine bien plus que la France.

C’est «l’État profond» italien, l’OTAN et la CIA qui contribuèrent à la planification et surtout à la tentative de dissimulation de la responsabilité des attentats d’extrême droite qui, durant les années de plomb de la fin des années 1960 au milieu des années 1980, firent bien plus de victimes que ceux d’extrême gauche. Voir les scandales de la loge P4 et du réseau Gladio, dont les chevilles ouvrières étaient des fascistes impénitents récupérés par les Américains.

Un exemple plus récent qui ne pousse pas à faire confiance à Rome en matière de renseignement est le jeu trouble joué par son service de renseignement, le Sismi, dans l’intox du «yellowcake», aussi appelée Nigergate. Le Sismi a fabriqué de toutes pièces pour le compte des néoconservateurs américains un dossier montrant que Saddam Hussein avait acheté du yellowcake (de l’uranium raffiné mais non enrichi) au Niger. Ce faux fut monté en épingle par G.W. Bush lors de son discours sur l’État de l’Union du 28 janvier 2003 et utilisé par Colin Powell et Donald Rumsfled au Conseil de sécurité des Nations unies afin d’obtenir la caution morale de l’invasion de l’Irak. Manière de discréditer également la France qui s’y opposait et qui, via Areva (aujourd’hui Orano), exploite l’uranium au Niger. D’après La Repubblica, c’est le directeur du Sismi en personne, Nicolo Pollari, qui remit les contrefaçons à la Maison-Blanche. Preuve s’il en est que le renseignement ne s’accommode que d’intérêts nationaux et que tous les coups sont permis.

Désolé cher Gagliano, si nous vous écoutons avec attention quand vous parlez d’intelligence économique, discipline dans laquelle votre superbe pays a une longue tradition, pour le reste, nous restons très sceptiques. D’autant que le gouvernement de Meloni est le moins fiable de ces vingt dernières années, puisqu’elle a été «groomée» depuis longtemps par les Américains, notamment via l’Aspen Institute. Vous nous rétorquerez, attitude détestable de la France en Libye et affaire STX France – avec le constructeur naval italien Fincantieri – que depuis au moins 2017 et l’élection d’Emmanuel Macron, la France n’est pas plus fiable. Et vous aurez raison.

Il n’y a que peu d’intérêt à discuter d’une agence de renseignement européen, pour trois raisons. La première est que cela n’est pas prévu aux traités et que le «competency creep», le glissement des compétences par lequel la Commission européenne s’arroge des compétences qu’elle n’a pas, commence à sérieusement agacer les peuples, résultats électoraux à l’appui – d’autant que les institutions européennes n’ont généré ces vingt dernières années que des catastrophes, la gestion de la Covid et la guerre en Ukraine étant les pires en date (en attendant la facture de la gestion de la crise de l’euro et de quinze ans de «quantitative easing», comprendre de planche à billet tournant à toute berzingue).

La seconde est qu’un centre de coordination du renseignement conséquent existe déjà au sein du secrétariat du Conseil européen, appelé pudiquement «Cellule de crise». La troisième raison est que personne n’en veut, à part quelques pays insignifiants qui entendent parasiter les capacités des autres à leur profit.

De quoi diantre procède alors le rapport de l’ancien président finlandais ? A quoi vise-t-il ? Qu’est-ce que cherchent les institutions européennes et certains pays d’Europe du Nord, baltes et la Pologne, voire certains de nos voisins latins s’étant précipités en Irak à la demande des USA en 2003 ?

La Commission européenne se verrait bien disposer d’un service l’autorisant à fomenter des coups d’État et à truquer des élections pour, au hasard, se débarrasser de Viktor Orban et de tout autre chef de gouvernement – tenez, comme le premier ministre géorgien – qui ose s’opposer à elle. Rajoutons également la surveillance de masse à l’intérieur de l’UE, que la Commission rêve de voir centralisée sous son égide. Autant dire qu’on est là dans le domaine du pur fantasme, même si cela doit combler d’extase Ursula von der Leyen.

La cellule de crise, c’est le Conseil. La centaine de milliards d’euros pompés par le truchement de la facilité pour la paix dans la catastrophique guerre en Ukraine, c’est également le Conseil et les fonds des États membres. Ils ne sont pas inscrits au budget européen. La Commission entend bien mettre la main sur ce fromage, d’autant que son budget est très gravement plombé comme le souligne la Cour des comptes européenne.

L’UE étrangère aux affaires

Il convient de recadrer la Commission et de la confiner aux traités. La défense, c’est la prérogative des États membres, seuls souverains. Il ne serait en être autrement.

Mais l’affaire est bien plus tordue que cela.

Quel est le seul pays de l’UE disposant d’un siège au Conseil de sécurité de l’UE ? La France. On exige de manière de plus en plus véhémente, notamment outre-Rhin, qu’il faut qu’elle le cède à l’UE, (une impossibilité juridique sans modifier la charte des Nations Unies et faire de l’UE un État).

Quel est le seul pays de l’UE disposant de l’arme nucléaire ? La France. Qui depuis 2018 ne cesse de parler de mettre la dissuasion nucléaire française au service de l’UE (encore une impossibilité juridique), cédant avec joie et empressement aux pressions américaines et allemandes ? Emmanuel Macron.

Dissolution nucléaire

Quel est le seul pays de l’UE disposant de capacités significatives et autonomes d’observation, de surveillance, de renseignement, de commandement et de contrôle satellitaires, capacités opérationnelles, conçues pour survivre à des frappes nucléaires et comparables techniquement à celles des Américains ? La France, justement parce que c’est une puissance nucléaire. Quel est le pays dont le lancement des deux derniers satellites d’observation militaire a lamentablement échoué ? L’Allemagne…

Pour les sceptiques qui trouveraient tout cela excessif, rappelons que l’infrastructure de contrôle et de commandement de l’armée ukrainienne a été détruite par les Russes dès le début du conflit en moins d’un mois. Sans les terminaux Starlink offerts par Elon Musk qui permirent de restaurer ce contrôle et commandement, elle se serait complétement effondrée. Starlink, une constellation de satellites…

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