9 et 10 décembre 2024, 480 frappes israéliennes sur la Syrie. La routine, quoi. 480 frappes sur un pays exsangue, martyrisé, torturé, démantelé, déchiré, humilié, harcelé de toutes parts, à toutes ses frontières.
On aurait pu s’attendre au moins à un peu de compassion des «civilisés» pour un peuple qui vient de se libérer, qui a souffert, et qui respire quelques instants avant d’autres épreuves qui s’annoncent. Mais, non, aucune pitié israélienne. Américaine aussi : le même jour du 9 décembre, dans un communiqué, le commandement militaire américain chargé des opérations au Moyen-Orient, et en Asie, informe que «des douzaines d’attaques aériennes» ont été menées au centre de la Syrie. Quand auront-ils quelques compassions pour la nation syrienne ? Pas de quartier, comme à Gaza. Les aérodromes syriens, les bases, les dépôts militaires, les infrastructures stratégiques sont détruits. La flotte de guerre syrienne est coulée au mouillage dans les ports d’Al Bayda et Lattaquié. Un Pearl Harbour aux dimensions de la région. Mais celui-là sans risques de riposte équivalente. De la pure lâcheté. Et tout cela sans que la Syrie n’ait tiré une seule balle contre Israël, depuis des décennies d’ailleurs.
Maintenant que les Russes se sont retirés, c’est la curée. Les Israéliens bombardent sans retenue maintenant qu’ils ne craignent plus la DCA et l’aviation russes. Ils s’en donnent à cœur joie. Les médias occidentaux applaudissent, ravis, émerveillés. Sur un plateau de TV français, le 10 décembre, le directeur de la rédaction du Figaro magazine, Guillaume Roquette, commente la destruction systématique du potentiel de la Syrie avec ces mots «c’est une mesure de salubrité publique». À côté de lui, un général de plateau, le général Nicolas Richoux, justifie l’avancée actuelle israélienne sur le plateau du Golan et la déclaration de Netanyahou qui dit que le Golan est désormais «la propriété éternelle d’Israël». Il la qualifie de «mesure stratégique indispensable à la sécurité d’Israël».
Oubliées les déclarations grandiloquentes sur le droit international, sur le respect de l’intégrité territoriale et des frontières. Ça, c’est pour l’Ukraine. Pas pour les Arabes. Les Arabes, eux, Israël les écrase pour l’instant impitoyablement, implacablement. Elle veut les humilier totalement.
On est chaque fois étonné par cette bêtise incommensurable de l’homo-israélien, par ses horizons limités. Que croit-il qu’il arrivera ? Les Arabes n’oublieront jamais. C’est comme si Israël avait décidé lui-même de l’hostilité irréversible des arabes, de leur haine pour toujours. Il pourra certes y avoir de temps en temps des accords avec tel ou tel dirigeant arabe captif, soumis, mais ils ne résisteront pas au temps.
Où on reparle des armes chimiques
Pour les Israéliens, comme pour les Américains, la raison, entre autres, des frappes, est la présence de mystérieux stocks d’armes chimiques. Ah, ces armes chimiques ! Toujours évoquées, pour chaque mauvais coup mais jamais prouvées. Le même statut que les armes de destruction massive en Irak, les bébés du Koweït, puis récemment des bébés «décapités» dans l’attaque du 7 octobre sur les kibboutz encerclant Gaza. Le mensonge, mille fois répété, sert de vérité médiatique. Ces armes chimiques devaient justifier, à l’époque, une intervention américaine-française. Elle n’a pas eu lieu alors du fait de l’intervention russe. Cela est resté dans la gorge des théoriciens du «droit à l’ingérence», lequel avait servi à ravager partout le monde après la fin de la guerre froide, en Yougoslavie, en Afghanistan, en Irak, en Lybie, en Afrique, Mais on risque, désormais, maintenant que les Assad ne sont plus là, de ne pas retrouver ces fantomatiques armes chimiques mais de découvrir le mensonge, bien gros, comme d’habitude. Les grands médias occidentaux commencent d’ailleurs à préparer le terrain : elles suggèrent que «les armes chimiques sont instables et se détériorent avec le temps», ou que Assad les aurait détruites. Mais peut être que le mensonge peut encore servir. Certains veulent le réactiver.
L’Occident officiel pavoise
Les grands médias occidentaux pavoisent à la nouvelle de la chute du pouvoir des Assad. Serait-ce à la joie de la libération d’un peuple d’un pouvoir oppressant et de plus en plus oppressif avec le temps, mais non. Ils se réjouissent surtout de la «défaite» de la Russie. L’ancien président français, Françoise Hollande, le 9 décembre, sur une chaine d’information, parle d’«affront», «d’humiliation» de la Russie. Il veut insister sur «sa fuite devant les insurgés». Mais ne vaut-il pas mieux toujours balayer devant sa porte. II oublie la débandade collective des armées occidentales de l’OTAN en Afghanistan et le départ de l’armée française du Sahel, lui qui célébrait, proche de la pamoison, l’intervention française au Mali «comme le plus beau jour de sa vie». On ne peut être plus médiocre. Le lendemain de ses paroles, le 10 décembre, l’armée française évacuait le Tchad.
Avec la fin du pouvoir en Syrie de la famille al-Assad, l’Occident officiel agit de manière étonnante. C’est comme s’il reprenait du poil de la bête. Tous les échecs récents, la montée des BRICS, celle irréversible de la Chine, celle de la Russie, le désastre moral de son appui au génocide à Gaza, le recul économique, tout cela est comme oublié. On veut voir dans la chute du pouvoir en Syrie une nouvelle réorganisation du rapport de forces dans la région, mieux dans le monde ! Une défaite stratégique de l’Iran, une défaite aussi de la Russie. Et tout cela grâce à qui ? Grace à Israël, clament-ils en chœur, qui a détruit ou affaibli tour à tour le Hamas, le Hezbollah, l’Iran, bref tout ce qu’ils appellent l’axe chiite et ses proxys.
Sur les plateaux mainstream, on va jusqu’à imaginer le régime iranien s’écrouler, de la même façon, comme un château de cartes. Comme il y avait «la pax romana», on imagine la «paix israélienne» sur toute la région. Une journaliste du journal français Le Nouvel observateur, Sara Daniel, dit le 10 décembre, sur la chaine LCI, «espérer désormais voir Israël, grâce à sa force militaire sans pareille, remodeler tout le Moyen-Orient»et installer la«paix israélienne». Je me souviens alors que c’est celle-là même qui avait justifié d’une voix tranquille le génocide à Gaza. Un général de plateau, le général Yakovleff (une culture et un vocabulaire limités qu’il compense par des airs du baroudeur au franc parler), va jusqu’à imaginer, dans un élan d’enthousiasme, «le peuple russe entrer dans le palais de Poutine et le dévaster comme le peuple syrien est entré dans celui de Bachir al-Assad».
Du coup oubliée la boucherie qui continue à Gaza. On n’en parle plus. On veut la masquer par ce qui est presque célébré comme une victoire d’Israël en Syrie. Netanyahou bombe le torse et ses actions montent à la bourse occidentale. Son procès, qui semble s’amorcer timidement, n’est plus qu’anecdotique par rapport à tous les mérites de l’homme, le chef d’une armée apparemment irrésistible sur tous les fronts.
Où on se souvient de l’Afghanistan
Certains se mettent cependant à mettre en garde contre une «jubilation» qu’ils jugent dangereuse. La même jubilation, rappellent-ils, qu’il y avait eu pour l’Afghanistan à la défaite soviétique. On sait la suite de l’histoire, et la victoire des Taliban contre l’occupation, cette fois ci, occidentale. Ces voix prudentes sont peut-être celles les plus lucides sur la fragilité de ces victoires d’Israël.
La chute de Bachar al-Assad aujourd’hui, d’évidence, n’a pas la même signification qu’elle aurait eue, il y a treize ans, au moment où l’Occident imposait partout sa loi et son «droit d’ingérence». Entre temps le monde a bien changé. Le rapport de forces mondial n’est plus celui de 2011. À l’époque la Chine et la Russie n’osaient même pas s’opposer à l’invasion de la Lybie, après s’être tues sur le démembrement sanglant de la Yougoslavie. Le régime des Assad meurt de n’avoir pas évolué, de n’avoir pas su profiter de la protection qui lui était donnée, pour faire les reformes dont le soulèvement populaire de 2011 avait montré l’urgente nécessité. C’était la preuve d’un régime incapable de s’amender.
La fin du pouvoir des Assad libère au fond la Russie de la défense d’un régime indéfendable, trop discrédité par ses crimes, qui a raté toutes les occasions pour se rapprocher de son peuple. Pendant les guerres de 1967 et d’octobre 1973, l’armée syrienne avait acquis une image de nationalisme glorieux par ses faits d’armes dans son combat contre Israël, notamment avec la bataille historique de chars qui avaient opposé les deux armées sur le Golan. Mais depuis, pas une action n’a été menée, par le pouvoir Syrien, contre l’État d’Israël. Sa résistance à Israël, a été, pourrait-on dire passive. Certes, la Syrie du pouvoir des Assad, n’a pas normalisé avec Israël ses relations comme l’ont fait d’autres États arabes. Mais est-ce suffisant pour son image de résistance ? Elle était finalement à l’image de ses autres voisins, l’Égypte, la Jordanie, l’Irak. Ni plus ni moins.
Israël, et la horde des commentateurs thurifaires, affirment désormais que la chute du régime syrien est le résultat direct du 7 octobre 2023, c’est-à-dire de la guerre que l’État sioniste mène, depuis, tous azimut. N’est-ce pas en réalité le résultat de la résistance incroyable de Gaza. Elle oblige Israël à aller toujours plus loin dans sa destruction des pays et des pouvoirs arabes, à dévoiler la fragilité de ces pouvoirs, à discréditer leur autorité. Ils s’écroulent alors comme des châteaux de cartes. Israël sape le pouvoir des dirigeants arabes mieux que ne le ferait aucune opposition.
La mosquée des Omeyades
Avec la chute du régime de Damas, il y a un vent de défaitisme qui souffle sur certaines élites arabes, toujours partagées entre l’hostilité envers la domination occidentale et celle envers les islamistes. Or, ce qui reste déterminant c’est la lutte des peuples de la région pour leur libération, pour la sortie de ce cauchemar, de guerre et de sang, de luttes intestines, qui dévorent la région depuis la création d’Israël. Israël avait nourri bien des illusions sur Hamas, croyant pouvoir le manipuler. On connait la suite de l’histoire. Ce qui est décisif à la fin, ce ne sont ni les convictions, laïques, nationalistes, islamistes, c’est la logique interne de la libération. La domination étrangère façonne elle-même ceux qui lui résistent, et les rassemblent contre elle, pour peu qu’ils aiment leur pays.
Dès son arrivée à Damas, Mohamed al-Joulani, le chef de la principale force rebelle «Tahrir al-Cham», se dirige vers la mosquée des Omeyades et c’est là où il parle à la foule. Il sait très bien que la nation à la Syrie au cœur, que cette mosquée symbolise son histoire prestigieuse, séculaire, et qu’elle a un très fort sentiment d’unité. Les groupes de rebelle qui entrent les uns après les autres à Damas peuvent faire craindre le contraire. L’absence d’autorité centrale, le nombre de centres de décisions et d’obédiences diverses, y compris les influences étrangères, tout cela peut légitimement faire appréhender le chaos. Mais y a aussi, au tableau, comme éléments positifs, la fin d’un régime impopulaire qui s’est écroulé sans un coup de feu, sans combats fratricides, de la volonté, semble-t-il, aussi du pouvoir déchu. Il y a aussi l’élan, l’enthousiasme indiscutable du peuple syrien à la chute du régime. Tout cela est significatif et peut être d’une grande importance pour imposer l’unité, conjurer les facteurs de division et de guerre civile.
Qu’on se souvienne : en Algérie, à la libération du colonialisme, dans une situation où les divisions, les forces centrifuges menaçaient le pays, c’était le peuple qui avait imposé à tous l’unité et une solution pacifique aux cris de «7 ans de guerre ça suffit». Pourquoi, en Syrie, n’en serait-il pas de même.