Nous avons parlé récemment de la nouvelle version de l’impérialisme américain. Plus qu’une nouvelle version, il s’agit surtout d’une adaptation au déclin réel de la puissance américaine. Les USA semblent se recroqueviller sur leur île-continent en pensant soumettre facilement leurs malheureux voisins. Mais même pour cela il n’est pas certain que leur puissance déclinante y arrive. Les USA pris au piège de leur propre modèle économique valorisant l’individualisme contre toute forme de collectif arrivent en bout de course exactement comme son modèle inverse l’URSS qui s’était fracassée contre la réalité, mais pour des raisons contraires. En un sens, l’incendie en Californie montre toute l’absurdité d’une société sans contrainte collective et valorisant uniquement l’égoïsme de chacun. Même les riches ne peuvent survivre au néolibéralisme en fin de compte. Au premier gros problème, tout s’effondre. Le Trumpisme est en quelque sorte la réaction américaine à cet effondrement collectif. Le paradoxe c’est que cette réaction est portée par des gens qui pensent qu’il faut encore moins de collectifs et qui adulent l’individualisme le plus détonant.
Nous verrons bien où mènera cette orientation des USA, mais je ne suis guère optimiste. En Europe par contre, les velléités nouvelles des USA et leur agressivité plus assumée (elle a toujours été là, mais de façon plus camouflée) risquent de produire des réactions plus ou moins chaotiques. Rappelons que l’UE est la chose que les USA et leurs sbires ont imposée au continent depuis 1957 et le fameux traité de Rome. Si des Européens ont activement participé à cette construction absurde, c’est bien les Européens les plus proches des intérêts américains qui ont été mis en avant. Le but premier était de réduire les possibles dissensions au sein de l’appareil occidental et de forcer les Européens de l’Ouest à se soumettre totalement aux USA. L’UE n’est en réalité que l’équivalent politique et économique de l’OTAN. Dans les deux cas, il ne s’agit pas de structures visant à l’intérêt des membres, mais à l’intérêt d’un membre qui est en plus en dehors du système à savoir les USA. Durant sa courte période de pouvoir politique, le général de Gaulle a bien essayé d’infléchir la direction prise par le continent. Mais il a échoué et s’est trompé en pensant pouvoir réorienter la construction européenne vers quelque chose de plus compatible avec les intérêts du continent.
De fait, l’UE est depuis le départ une machine relativement contraire aux intérêts des Européens favorisant leur soumission. Plus grave au fur et à mesure que cette construction s’est élargie et a augmenté son poids sur les décisions politiques et économiques, le continent a connu petit à petit un déclin de plus en plus voyant. J’ai écouté le pauvre physicien Alain Aspect qui est certainement très bon dans son domaine, mais qui raconte n’importe quoi dès qu’il en sort, nous dire sur LCI récemment que l’UE sauvait la cherche européenne. Ne sachant pas lui-même que la plupart des partenariats scientifiques ne dépendaient pas de l’UE et que bien souvent c’est la pression européenne pour réduire les dépenses qui obligeaient les états membres à réduire leurs efforts de recherche. On passera aussi sur le fait que la dégradation économique du continent produit par la dérégulation financière, commerciale et par l’euro sont les véritables responsables de l’effondrement de l’effort de recherche sur le continent. Mais cela n’entre visiblement pas dans les calculs de monsieur Aspect. Il démontre ainsi qu’une intelligence particulière peut être totalement stupide lorsqu’elle sort de son domaine d’expertise. On le savait déjà, mais on en a ici une nouvelle preuve.
La fin des illusions, le réveil des nations
Mais voilà maintenant que les USA changent de direction et se retournent soudain contre leurs petits vassaux. Comme nous l’avons souvent vu, les USA ont un énorme problème de déficit commercial et les élites US ont une peur bleue de l’abandon du dollar comme monnaie d’échange international. C’est que la perte de ce statut rendrait l’endettement extérieur intenable et que la valeur du dollar à terme pourrait fortement se dégrader. Comme je l’ai déjà expliqué, une grande partie de ces déficits sont le produit des entreprises d’origine américaines elles-mêmes. L’iPhone d’Apple à lui seul représente des importations essentiellement chinoises à plus de 300 milliards de dollars par an. L’innovation scientifique qui soi-disant permettrait un rebond de l’économie US n’est qu’une illusion puisque l’essentiel des produits issus par la R&D américaine est produit en dehors du territoire US. Le capitalisme américain dévore en quelque sorte son propre pays en détruisant le renouvellement des forces productives interne et en pillant au maximum le système par l’intermédiaire du financement indéfini du déficit extérieur US permis grâce au statut du dollar. C’est à cela que les USA font face et il est clair que même des droits de douane importants ne corrigeront pas le tir. On n’assiste pas à une délocalisation massive vers les USA, mais vers des pays tiers. L’Inde, le Vietnam ou le Mexique risque d’être les vrais gagnants du nouveau protectionnisme américain qui n’a pas l’intention en réalité de rendre le prolo américain à nouveau tout puissant. Ce serait fatal aux immenses bénéfices des grands capitalistes US à court terme.
Pour l’Europe la situation est différente. Washington veut quitter le continent et le piller au passage. Les Européens, et en particulier les Allemands, qui ont tout misé sur le mercantilisme et l’accumulation d’excédent vis-à-vis des USA en particulier, vont chèrement payer le prix de ces réorientations. Mais cela ne signifie pas nécessairement la mort de l’industrie du continent comme on l’entend un peu trop souvent. Le Trumpisme est en quelque sorte le signal de fin de l’illusion marchande et libérale qui est née en 1945 et a pris tout son poids à partir des années 70. Il n’y a pas de fin de l’histoire, et tant qu’il y aura des humains il n’y aura pas de fin de l’histoire. Nous revenons à un monde fait de rapport de force et de stratégie, et nous sortons d’un monde qui pensait être entièrement régi par les seules forces marchandes. Ce monde n’a pu exister que durant la pax americana qui régna sur notre continent depuis sa soumission en 1945. Car oui je considère les USA comme des envahisseurs, probablement moins violents et barbares en apparence que les nazis, mais des envahisseurs tout de même. Notre liberté depuis 45 fut toute relative. Et les tentatives de De Gaulle pour libérer le pays de cette tutelle ont d’ailleurs été largement combattues par les Américains et leurs sbires dans notre pays. La preuve, aujourd’hui les atlantistes sont omniprésents sur les antennes et dans les médias de masse, alors qu’on pouvait encore entendre des sonorités divergentes il y a une quinzaine d’années.
La rétractation de l’empire américain si elle va poser des problèmes économiques certains puisque nos merveilleuses élites américanisées ont tout fait pour nous rendre dépendantes de ce pays, va aussi laisser les pays européens seuls pour la première fois depuis presque un siècle. Je comprends que cela puisse faire peur, mais c’est aussi une opportunité. La fin de l’illusion d’un monde qui finirait par tranquillement s’endormir dans un rêve global de marché postnational permettra aussi aux nations d’Europe de retrouver une action politique et économique à la fois plus conforme à leurs intérêts respectifs, mais aussi plus proche des désirs de leurs propres peuples. Car l’une des maladies de la démocratie moderne fut cette imposition d’un modèle unique, américain, pour tous les peuples du continent alors que leurs intérêts et leurs préférences étaient au moins aussi nombreux que les langues et les cultures de notre vieux continent. Ce réveil aura aussi des effets violents. La montée de l’AFD en Allemagne montre un rejet très fort de l’Europe, de la BCE, mais aussi de l’immigration. Une immigration qui n’a été acceptée que durant ce laps de temps où les nations d’Europe pensaient disparaître dans un maelstrom d’américanisation. Maintenant que les peuples du continent vont retrouver la direction de leurs propres intérêts, les conséquences de l’immigration de masses vont être rejetées de plus en plus violemment.
Le retour de l’histoire en Europe aura donc à la fois des conséquences néfastes et positives. Des conflits pourraient aussi ressurgir, ne nous faisons pas d’illusion sur la question. Surtout si l’on constate la très grande irresponsabilité des « élites » extrêmement dogmatiques qui ont été fabriqués par des décennies de soumission à l’imperium américain. Il reste qu’à mon sens le prix à payer pour cette libération me paraît beaucoup moins coûteux à long terme que celui d’une soumission perpétuelle à l’Oncle Sam nous conduisant à terme à une inéluctable extinction culturelle et même démographique. Nous allons devoir réapprendre à régler des conflits et à faire de la vraie politique. Une chose que nous n’avions plus faite depuis 1945 si l’on exclut la trop courte période gaulliste.