Le Congrès, le Capitole, les barbouzes, le Pentagone, les fournisseurs d’armes & les lobbyistes, tous ont intérêt à voir le complexe militaro-industriel fonctionner au même rythme qu’aujourd’hui.
La conversation téléphonique de Trump avec le président russe, divulguée à midi mercredi 12 février, a duré 90 minutes. Trump s’est empressé de noter que l’échange a marqué le début des négociations visant à mettre fin à la guerre par procuration du régime de Biden en Ukraine, en cours depuis trois ans le 24 février. Mais la conversation, telle que Trump et le Kremlin l’ont décrite, a été bien plus approfondie. Voici comment Trump a présenté l’appel sur sa plateforme Truth Social :
«Je viens d’avoir un appel téléphonique long et extrêmement fructueux avec le président russe Vladimir Poutine. Nous avons évoqué l’Ukraine, le Moyen-Orient, l’énergie, l’intelligence artificielle, la puissance du dollar et plusieurs autres sujets. Nous avons tous deux réfléchi à la Grande Histoire de nos nations, et à notre combat commun si efficace pendant la Seconde Guerre mondiale, en nous rappelant que la Russie a perdu des dizaines de millions de vies humaines, et que nous avons, de même, perdu tant de vies humaines ! Nous avons tous deux parlé des atouts de nos nations respectives et du grand avantage à travailler ensemble. Mais d’abord, comme nous l’avons tous deux convenu, nous voulons mettre un terme aux millions de morts de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Le président Poutine a même utilisé la devise marquante de ma campagne, à savoir ‘le bon sens’….»
Depuis l’appel téléphonique, bien sûr, le secrétaire d’État Marco Rubio et d’autres responsables de l’administration Trump ont rencontré à Riyad leurs homologues russes, servant effectivement de sherpas avant un sommet Trump-Poutine prévu à une date ultérieure au printemps, si tout se passe comme prévu. Cette rencontre est considérée comme un premier pas vers les objectifs de Trump, mais aussi comme une étape essentielle dans la consolidation de sa stratégie : plus les succès sont nombreux, plus le président est protégé contre les subversions de l’État profond. La démarche de Trump qui a rapidement progressé dans les relations avec la Russie, il faut le souligner, implique de replacer sa campagne contre l’État profond dans un contexte plus large. Les élections de dimanche en Allemagne en sont le cas le plus immédiat. Les sondages publiés indiquent que l’Union chrétienne-démocrate, sous la direction de Friedrich Merz, un européaniste convaincu, formera le prochain gouvernement, comme prévu de longue date.
Mais Merz ne le formera pas seul. La CDU et l’Union chrétienne-sociale, sa cousine conservatrice dont la base la plus puissante se trouve en Bavière, semblent avoir recueilli ensemble 29 % des suffrages. Pour comprendre ce résultat, probable, il faut le rapprocher des 19% à 20% – toujours selon les sondages – qui vont à Alternativ für Deutschland, le parti des populistes conservateurs précisément opposés à l’idéologie néolibérale à laquelle Trump et les siens s’attaquent chez eux. La CDU, comme les sociaux-démocrates (qui ont perdu gros dimanche) et d’autres partis traditionnels, a juré de ne jamais inviter l’AfD – désormais deuxième parti d’Allemagne – à participer à un gouvernement de coalition. Cela signifie que la CDU devra soit céder sur cet engagement – peu probable pour le moment – soit que la politique allemande est sur le point de dériver, de manière assez brouillonne, dans la voie post-démocratique. Quoi qu’il en soit, les représentants politiques de la version allemande de l’État profond restent en état de veille. »Nous avons gagné», a déclaré M. Merz à Berlin dimanche soir. Pas tout à fait, dirais-je. Pas vraiment. Pas du tout, en fait.
La guerre de Trump contre l’État profond doit être perçue comme un phénomène mondial, ou du moins comme un phénomène perceptible dans l’ensemble des post-démocraties occidentales. Les principales positions de l’AfD, celles qui font gagner des voix au parti, incluent l’opposition à l’immigration excessive et à la guerre ruineuse en Ukraine, ainsi que la nécessité de restaurer les liens avec la Fédération de Russie. Sur ces aspects, le combat politique de l’AfD ressemble fort à celui de Trump.
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Renouer avec la Russie et négocier un accord de paix en Ukraine seraient des coups assez rudes pour les intérêts de l’État profond. La russophobie est une de ses constantes, et l’Ukraine a été la pièce maîtresse, ces dernières années, de la campagne incessante du MICIMATT de déstabilisation de la Fédération de Russie. Mais les autres éléments de la liste des thèmes abordés par Trump avec Poutine ne sont pas à rejeter en bloc. Mis bout à bout, ils indiquent l’intention de Trump de mettre fin au projet du régime Biden de réduire la Russie au statut d’état paria via un isolement total au sein de la communauté des nations.
«La grande Histoire de nos nations», »le grand avantage de travailler ensemble» : il s’agit là d’un projet de restauration global, la néo-détente favorisée par Trump pendant son premier mandat avec pas mal d’éléments supplémentaires à la clé. La rhétorique de Trump repose implicitement sur un postulat d’égalité que les adeptes de l’État profond, tels qu’Hillary Clinton, ont volontairement écarté. (On se souvient de la description condescendante de la Russie par Barack Obama comme une puissance régionale mineure). Dans la foulée – et c’est particulièrement appréciable – Trump a reconnu le rôle de la Russie dans la victoire des Alliés sur le Reich en 1945, que les propagandistes américains ont honteusement cherché à gommer de l’histoire au moins depuis les années de John Kerry en tant que secrétaire d’État d’Obama.
Les implications sont énormes. Les Européens sont en état de choc – ‘Europanique’, pourrions-nous dire – après avoir vendu leur âme, leur économie et le bien-être de leurs citoyens au régime de sanctions de Biden et à son exploitation perverse de l’Ukraine comme pion aux frontières de la Russie. Que vont-ils faire maintenant ? Volodymyr Zelensky est plus ou moins sorti du débat à présent – enfin. Trump, en effet, vient de qualifier l’autocrate de Kiev de «dictateur». Zelensky est apparu à la Conférence sur la sécurité de Munich au début du mois comme le bonimenteur impuissant qu’il a toujours été, mais qu’il prétend ne pas être. On peut maintenant beaucoup parler des nouveaux projets améliorés de Trump pour que la Russie modifie de manière décisive »l’ordre» d’après 1945, et insistons bien sur les guillemets.
La proposition de Trump en faveur d’une nouvelle détente avec la Russie a été dépréciée avec puérilité dans les médias grand public au cours de son premier mandat, et ce des deux côtés de l’Atlantique – et qualifiée de simple marque d’affection pour un dictateur, et rien d’autre. On a fait fi des préoccupations politiques importantes, on n’a pas envisagé un monde au-delà des schémas binaires entretenus par l’État profond depuis les victoires de 1945. Il en va de même cette fois-ci. La couverture du New York Times, fidèle au reste, a été assurée par Maggie Haberman et Anton Troianovski, la première couvrant la Maison Blanche et le second le Kremlin, sans compter sur le sérieux ni de l’une, ni de l’autre. Lisez ces articles. Il n’est question que de Trump flattant son ego et de Poutine se jouant de Trump à grand renfort de flagornerie. Aucune mention de la nouvelle structure de sécurité entre la Russie et l’Occident, qui est au fond la question la plus importante et la plus essentielle.
Tout change, semble-t-il, pour l’instant.
Il est bien trop tôt pour tirer des conclusions, mais comment voir l’État profond prendre cette affaire à la légère. Méfions-nous en effet de Keith Kellogg, le général à la retraite qui sert d’envoyé spécial de Trump pour l’Ukraine et la Russie, depuis qu’il a commencé, immédiatement après sa nomination, à aboyer des menaces de sanctions supplémentaires et d’action militaire contre la Russie si Moscou se refuse à accepter un accord favorable à Kiev et à ses organisateurs. En cela, Kellogg semble être exactement le genre de personnage que l’État profond a imposé à Trump la dernière fois – John Bolton, H.R. McMaster, et consorts – en place pour saboter toutes les bonnes idées de Trump.
Kellogg n’est-il pas un indicateur de subterfuges potentiels ? Il ne figurait pas, à ma connaissance, sur la liste des fonctionnaires dépêchés par Trump à Riyad la semaine dernière.
Et c’est parti pour une nouvelle période d’observation et d’attente.
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Tulsi Gabbard a affirmé des choses surprenantes et courageuses lors de ses audiences de confirmation très controversées devant la commission sénatoriale du renseignement au début du mois. Et au vu de ces déclarations surprenantes, c’est à nouveau avec étonnement qu’on a appris sa nomination au poste de directeur du renseignement national de Trump. Hmmm. Quelles autres surprises l’attendent lorsqu’elle prendra ses fonctions ?
À la mi-janvier, lorsque Mme Gabbard a brusquement annoncé qu’elle soutiendrait le maintien de la section 702 de la loi sur la surveillance du renseignement étranger, j’ai fait partie de ceux, nombreux, qui ont été stupéfaits – pleine de surprises, Mme Gabbard – par sa capitulation sur cette question cruciale. La section 702, annexée au Foreign Intelligence Surveillance Act en 2008, autorise la Sécurité nationale à surveiller des Américains sans obtention de mandat préalable délivré par un tribunal. À l’époque, j’avais décrit Mme Gabbard comme »un personnage qui a fait de bonnes choses mais qui, comme on peut s’y attendre aujourd’hui, manque de principes politiques solides, de discipline intellectuelle, de tout ce qui n’est pas négociable». Je ne reviens pas sur ce jugement. Mais en visionnant des séquences de ses auditions sur C-SPAN, cette conclusion m’est apparue comme prématurée, trop sévère, ou les deux à la fois.
Mme Gabbard a donné autant qu’elle a reçu – ou mieux, en fait – alors que ses interlocuteurs s’acharnaient avec la suffisance de mise lorsqu’un candidat qui n’est pas en parfaite conformité avec les orthodoxies de Washington vient s’assoir en face d’eux.
Michael Bennet, un Démocrate du Colorado, était passablement obsédé par la question de savoir si Gabbard allait condamner Edward Snowden comme traître. L’échange s’est transformé en une de ces scènes d’infra-digues »Oui ou non, oui ou non, oui ou non ?» jusqu’à ce que Gabbard, qui a parrainé en tant que congressiste une résolution de la Chambre appelant à l’abandon de toutes les charges contre Snowden, réponde enfin magistralement : «Le fait est qu’il a aussi – alors même qu’il a enfreint la loi – publié des informations qui ont exposé des programmes extrêmes, illégaux et anticonstitutionnels».
Voilà qui semble avoir cloué le bec au sénateur des Rocheuses.
Ainsi s’est déroulé l’interrogatoire de Mme Gabbard à plusieurs reprises. Elle a évoqué certains de ses entretiens controversés avec Bachar el-Assad alors qu’elle siégeait au Congrès, au plus fort de l’opération secrète de la CIA contre le régime d’Assad à Damas. La transgression dans ce cas était – ah bon – de parler à un adversaire. J’invite les lecteurs à réfléchir à la riposte de Mme Gabbard. Elle renvoie à cet impératif du XXIè siècle : prendre en compte le point de vue des autres est aujourd’hui une condition sine qua non des relations internationales.
Mme Gabbard sur la question :
«Je lui ai posé des questions pointues sur les activités de son propre régime, sur l’utilisation d’armes chimiques et les tactiques brutales employées contre son propre peuple….. Je pense que les dirigeants, qu’ils soient membres du Congrès ou présidents des États-Unis, ont tout à gagner à se rendre sur le terrain, à apprendre, à écouter et à rencontrer directement les gens, adversaires ou amis».
L’échange qui m’a vraiment captivé, cependant, concernait les déclarations antérieures de Mme Gabbard selon lesquelles les États-Unis, au cours de l’opération secrète visant à déposer Assad, ont soutenu Al-Qaïda, l’État islamique, Al-Nusra et d’autres djihadistes sauvages de leur espèce. »Quelle a été votre motivation ?», a voulu savoir le sénateur Mark Kelly, démocrate de l’Arizona, d’autant que les affirmations de Mme Gabbard correspondaient – Aïe ! – à ce que les Russes et les Iraniens déclaraient également à l’ONU et ailleurs. (Curieux, ou peut-être pas du tout, que ce soient les Démocrates qui aient brandi les piques les plus acérées ici).
Gabbard en réponse :
«Sénateur, en tant que membre de l’armée engagée spécifiquement à la suite de l’attaque terroriste d’Al-Qaïda du 11 septembre, et ayant pris la décision de faire tout ce qui était en mon pouvoir pour vaincre ces terroristes, j’ai été choquée, ainsi que tous ceux qui ont été tués le 11 septembre, leurs familles et mes frères et sœurs en uniforme. Lorsque, en tant que membre du Congrès, j’ai appris que le président Obama a lancé un double programme visant à renverser le régime de la Syrie et qu’il était prêt à collaborer avec Al-Qaïda, à l’armer et à l’équiper, dans le cadre du programme Timber Sycamore de la CIA, qui a été rendu public, afin de renverser ce régime et de déclencher un nouveau changement de régime au Moyen-Orient, j’ai été choquée et me suis sentie trahie par la décision du président Obama.
«Le programme de formation et d’équipement du ministère de la Défense, lancé sous le président Obama, est largement connu, examiné et étudié. En fin de compte, plus d’un demi-milliard de dollars a été utilisé pour former ceux qu’ils ont appelés ‘les rebelles modérés’, mais qui étaient en fait des combattants travaillant avec et alignés sur la filiale d’Al-Qaïda sur le terrain en Syrie, tout cela pour aller de l’avant avec leur changement de régime et sans reconnaître ce qui était évident à l’époque et qui s’est malheureusement avéré vrai, à savoir qu’une guerre de changement de régime en Syrie, tout comme les guerres de changement de régime en Irak, le renversement de Kadhafi [en Libye, 2011] et de Moubarak [en Égypte, 2011], alors qu’il s’agissait tous de dictateurs, entraînerait probablement la montée au pouvoir d’extrémistes islamistes tels qu’Al-Qaïda…»
Une critique immanente, pratiquée de main de maître. Faire avaler autant de vérités à des sénateurs qui présumaient que tous les mensonges de l’État profond pouvaient être déployés pour discréditer la candidate, voilà qui était tout simplement brillant. Il y a plus dans l’échange de Gabbard avec Kelly, et c’est tellement exceptionnel que je renvoie cette séquence des audiences ici.
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À ce stade, rien ne semble contester que Trump a décidé, au cours de son année dans la nature sauvage de Mar-a-Lago, qu’à son retour au pouvoir, il poursuivrait une stratégie bien ciblée et soigneusement calculée contre l’État profond sous toutes les formes qu’il pourrait affronter. Kash Patel, un ancien procureur fédéral, a été confirmé cette semaine au poste de directeur du Federal Bureau of Investigation, et c’est donc le dernier en date des nominés de Trump préparés à concocter une autre ligne d’attaque.
La nomination de M. Patel et celle de Mme Gabbard ont deux points communs. Le FBI, comme l’appareil du renseignement, était au centre même des complots de l’État profond qui ont plus ou moins neutralisé le premier mandat de Trump par le biais de campagnes de désinformation extravagantes, de violations de la loi et de plusieurs autres formes de corruption. Et comme M. Patel l’a largement fait savoir dans les semaines précédant ses audiences de confirmation au Sénat, il a, comme Mme Gabbard, l’intention de rompre avec les normes enracinées de son agence. M. Patel vient en effet d’entamer une purge qui, si elle se déroule comme il l’entend, ira certainement bien au-delà de ce que Mme Gabbard pourra réaliser.
On peut citer également le revirement dans les relations avec la Russie, que Trump et ses responsables de la Sécurité nationale ont assaini à un rythme remarquable depuis l’appel téléphonique du 12 février avec M. Poutine. Et il y a la proposition de Trump de tenir un sommet avec Poutine et Xi Jinping, une sorte de Yalta du 21è siècle, au cours duquel il négocierait avec les présidents russe et chinois une réduction de 50 % de leurs budgets militaires.
La première fois que Trump a évoqué cette dernière proposition, il l’a fait en passant, en quelques phrases, au cours d’une conférence de presse qui portait sur divers autres sujets. On aurait pu penser qu’il s’agissait d’une autre de ses nombreuses improvisations – ces propositions spontanées qui semblent lui venir à l’esprit au cours de l’un ou l’autre type d’échange public. Pour moi, cela n’irait pas plus loin que l’affirmation de la souveraineté sur le Groenland. Le Washington Post a ensuite rapporté que Pete Hegseth a ordonné au Pentagone de procéder à des réductions budgétaires de 8 % par an au cours des cinq prochaines années. Depuis, Associated Press a rapporté que le secrétaire à la Défense de Trump préconise des réductions de 50 milliards de dollars – pas tout à fait 6% du budget déclaré du Pentagone – au cours de l’année fiscale en cours, qui s’achève le 30 septembre.
Si l’on prend toute cette agitation bureaucratique au pied de la lettre, seuls les membres de l’État profond sont susceptibles de s’opposer à ce qu’un nouveau secrétaire à la Défense s’attaque au monstre militaro-industriel, ou à ce qu’un nouveau ministère de l’Intérieur s’engage à fournir à la Maison-Blanche des renseignements «propres», c’est-à-dire des rapports quotidiens précis et non contaminés par les idéologues de l’État profond aux mains sales. Et s’il y a bien une agence à s’être salie plus que toute autre pendant les années du Russiagate, puis lors des opérations visant à écarter Trump de la politique et à protéger Joe Biden de la destitution pour ses corruptions omniprésentes, c’est bien le FBI, depuis Christopher Wray, son directeur en disgrâce, jusqu’à un grand nombre d’agents spéciaux.
Bon, trois hourras, dit-on souvent. Disons deux, avec une marge de réduction ouverte.
Il faut examiner de près le mémorandum Hegseth envoyé aux généraux et aux fonctionnaires civils du Pentagone. On y trouve de nombreuses catégories de dépenses exemptées de réductions budgétaires, y compris, mais sans s’y limiter, le projet de modernisation nucléaire, des drones d’attaque, des sous-marins et – ces Dr Folamour ne s’arrêteront jamais – un «Dôme de fer pour l’Amérique». L’intention déclarée de M. Hegseth n’est qu’un «réalignement» comme de nombreux autres.
Deux observations. Premièrement, citons les observateurs qui considèrent Trump comme une sorte de «révolutionnaire». Ces personnes devraient aller prendre l’air et reconsidérer leurs idées : Pete Hegseth et son patron n’ont pas pour mission de démanteler l’imperium – ce dernier et meilleur espoir dont parlait feu Chalmers Johnson. Secundo, le complexe militaro-industriel possède plus d’armes que ces bronzes bouddhistes exotiques visibles dans les musées. Les 435 circonscriptions du Congrès, les législateurs du Capitole, les barbouzes, le Pentagone lui-même, les fournisseurs d’armes, et je ne sais combien de lobbyistes : tous ont intérêt à ce que le complexe militaro-industriel continue à fonctionner au même rythme qu’aujourd’hui. Hegseth est-il assez puissant pour vaincre la vive résistance émanant de ces redoutables milieux ? De quelle manière – c’est la question posée maintenant – son influence bureaucratique lui permettra-t-elle d’obtenir gain de cause ?
Alors que le sénateur du Colorado chahutait Tulsi Gabbard à propos de son appréciation sur Edward Snowden, les messages envoyés par Snowden sur les réseaux sociaux depuis la Russie étaient particulièrement intéressants. Dites-le, a-t-il dit en s’adressant à Gabbard. Dites-leur que oui, je suis un traître. Cela vous permettra d’être accréditée. Cette attitude est parfaitement logique quand on examine les auditions d’Antony Blinken, par exemple, en tant que candidat de Biden au poste de secrétaire d’État. Elles se situent à mi-chemin entre le rituel et la mise en scène politique. J’ai regardé les auditions de Blinken à l’époque sur C-SPAN. J’ai rarement entendu un tel ramassis de conneries : il n’a jamais tenu aucun des engagements pris devant l’assemblée des sénateurs – la diplomatie d’abord, l’action militaire en dernier lieu, la consultation constante du Congrès, etc.
Gabbard, je le répète, a tenu bon et a protégé son intégrité sur la question de Snowden. Mais (et c’est un grand «mais») sa capitulation sur la section 702, qu’elle a déjà cherché à abroger au cours de ses années au Congrès, reste une grave trahison de principe, bien plus grave que l’affaire Snowden pour le Département national de l’information (DNI).
Quant à M. Patel, il affiche un style déterminé lorsqu’il parle publiquement de la nécessité de récurer l’écurie de M. Wray et d’autres du FBI de tout le fumier accumulé. Avant sa nomination, M. Patel a déclaré sans ambages son intention de fermer le bâtiment du FBI à Washington et d’en faire «un musée de l’État profond». Difficile de faire plus direct. Vendredi, il a annoncé son projet de décentraliser un millier d’agents spéciaux du siège de Washington vers les bureaux locaux à travers le pays.
Patel est avocat : il ne manquera pas de rester dans les clous en ce qui concerne la loi. Mais la question de savoir s’il va récurer l’agence ou si l’agence va le recaser n’est pas tranchée. Plus Patel avance dans les sombres recoins du FBI, plus il risque de se heurter à une résistance aussi féroce que celle que Hegseth ne manquera pas de rencontrer à mesure qu’il creusera plus profondément dans le budget du Pentagone.
Faire de Trump un révolutionnaire est bien trop excessif. Quant au nettoyage de l’État profond, on ne peut pour l’instant que répondre à une question à la fois pour le président et ses collaborateurs. Mes encouragements vont à la Russie, et une sortie de la guerre en Ukraine. Ces initiatives sont les plus déterminantes à ce jour et disposent des meilleures chances de résister aux prévisibles contre-attaques.