Du nouveau sur le sabotage de Nord Stream – immersion

Une enquête inédite révèle de nouvelles preuves de l’implication potentielle de l’OTAN dans le sabotage du Nord Stream – soulignant le rôle occulté potentiellement joué par des sous-marins.

Les gazoducs Nord Stream font actuellement de nouveau la une des journaux. Après que des rumeurs de reprise des gazoducs par les États-Unis ont récemment fait sensation, le quotidien allemand Bild Zeitung a rapporté que l’Allemagne examine actuellement attentivement les moyens dont elle dispose pour faire obstacle à la relance du projet Nord Stream 2. Alors qu’on pensait que l’absurdité ne pouvait atteindre de nouveaux sommets, on continue de faire monter la pression.

Cependant, des résultats d’enquête très intéressants sur cet attentat sur les gazoducs pourraient apporter un nouvel éclairage sur le mode opératoire et les éventuels auteurs. Comme on pouvait s’y attendre, ils ne proviennent pas des instances officielles, mais d’un journaliste indépendant français.

Tous les lecteurs de polars savent que l’une des étapes les plus cruciales dans la résolution d’une affaire est de poser les bonnes questions. L’une de celles qui me taraude depuis un certain temps concernant les attaques contre Nord Stream est de savoir pourquoi certains des endroits les plus profonds de la mer Baltique, pourtant très peu profonde en de nombreux points, ont été choisis pour les attaques.

Pourquoi avoir choisi le bassin de Bornholm, d’une profondeur d’environ 80 à 100 mètres, comme scène du crime, et non d’autres zones où la profondeur de l’eau n’est que d’environ 20 à 30 mètres et qui auraient présenté l’avantage d’être à proximité des deux gazoducs jumeaux Nord Stream 1 et Nord Stream 2, très proches l’un de l’autre, facilitant ainsi le sabotage des deux pipelines ?

Cette question, et une réponse possible, sont au cœur des nouvelles conclusions de recherche du journaliste d’investigation français Freddie Ponton, parues la semaine dernière dans le journal en ligne 21Century Wire.

Il explore une explication possible et très simple à cette question, qui peut se résumer en un mot : sous-marins.

Après que des rumeurs sur la présence d’un sous-marin russe à proximité du lieu du crime ont circulé dans les toutes premières heures suivant l’attaque, l’hypothèse d’un acte criminel commis à l’aide de sous-marins a curieusement joué un rôle très secondaire, voire inexistant, dans les théories et les spéculations suivant le sabotage. Seymour Hersh ne mentionne pas non plus cette possibilité, même si Thorsten Pörschmann, expert allemand très expérimenté en matière de défense, a par exemple déclaré dans une interview le 10 octobre 2022, peu après les attentats, qu’il estimait le recours à des sous-marins équipés pour poser des mines sous-marines comme étant le scénario le plus probable. Voici ses commentaires à ce sujet dans leur intégralité (à partir de la minute 14:37 environ) :

«Il existe des charges explosives spécialement conçues pour ces profondeurs pouvant être mises en place à l’aide de sous-marins. Et en termes de poids, ces charges correspondent également à la puissance explosive enregistrée. On appelle ces charges des mines de fond. Elles sont cylindriques et peuvent être transportées dans les tubes lance-torpilles de sous-marins. […] Un tube lance-torpilles de sous-marin ne sert pas seulement à tirer des torpilles. Il peut également permettre de transporter des nageurs de combat et de les libérer, mais ces tubes lance-torpilles peuvent aussi être utilisés comme dispositif de déploiement de mines : on se rend discrètement quelque part et on y dépose des mines de fond. Chaque mine n’est censée exploser que lorsque vous passez dessus ou lorsqu’elle est déclenchée, mais chaque mine est également un explosif efficace, utilisé comme tel. Les mines antichars sont par exemple utilisées comme explosifs lorsqu’on ne dispose d’aucun autre moyen. Cela fonctionnerait de la même manière pour une mine de fond”.

Mais revenons aux nouvelles découvertes de Freddie Ponton pour 21CenturyWire : il souligne d’abord un point important, à savoir que ces zones profondes du bassin de Bornholm sont idéales pour les activités d’un sous-marin, tant en termes de maniabilité que de possibilité d’agir sans être détecté.

Un autre point souligné par Ponton : certaines des zones où les explosions ont eu lieu sont en fait des zones de manœuvre sous-marine de l’OTAN, délimitées comme telles sur les cartes marines (comme le montrent les documents de l’Agence danoise de l’énergie, qui a délivré le permis pour le gazoduc Nord Stream 2 en octobre 2019, présentés dans son article). Une autre information importante est que les opérations sous-marines en mer Baltique sont gérées et coordonnées par l’autorité d’exploitation des sous-marins de la marine allemande, ou SubOpAuth, en coopération avec l’OTAN et les États baltes.

Nous voici donc en présence de sites pour partie au beau milieu de zones désignées pour les manœuvres sous-marines et dont les activités sont coordonnées par une entité de la marine allemande. Ponton entreprend ensuite d’enquêter plus avant sur les activités sous-marines de l’OTAN au moment de l’attaque de fin septembre 2022.

Dans son article de février 2023, le journaliste américain Seymour Hersh affirme que des plongeurs de la marine américaine ont participé au sabotage de Nord Stream et ont profité de l’exercice naval de l’OTAN BALTOPS 22, l’une des plus grandes manœuvres maritimes de l’OTAN, qui s’est déroulée en mer Baltique du 5 au 22 juin 2022, pour placer des explosifs à plusieurs endroits le long du gazoduc. Mais contrairement à Freddy Ponton, Seymour Hersh n’a pas supposé le recours aux sous-marins pour commettre le sabotage, mais plutôt que des plongeurs hauturiers auraient placé les explosifs sur les gazoducs.

Ponton s’intéresse également à BALTOPS 22, mais se concentre sur les activités sous-marines. Comme il le souligne, il est évidemment difficile d’obtenir des informations plus précises sur la planification, le contenu et les structures de commandement de l’exercice militaire. Mais la chance lui a souri : des journalistes danois de la chaîne TV2 réalisaient un reportage sur les activités de la marine danoise, qui montre un écran exposant la structure organisationnelle de l’exercice BALTOPS 22. Elle montrait que BALTOPS 22 a été commandé par un Américain, mais qu’un officier militaire allemand était responsable des exercices sous-marins prévus dans le cadre de la manœuvre.

Cependant, au moment des attentats, on a pu assister à d’autres exercices en mer Baltique en plus de BALTOPS 22, que beaucoup connaissent grâce à l’article de Seymour Hersh. L’exercice naval Northern Coasts 2022, dirigé par l’Allemagne, qui a débuté le 29 août 2022 et s’est terminé le mercredi 28 septembre 2022, deux jours après les explosions du Nord Stream, planifié et mené avec le Commandement naval allié de l’OTAN (MARCOM) et d’autres partenaires de l’OTAN, présente un intérêt tout particulier pour notre enquête. Comme le souligne Freddie Ponton dans son article long et détaillé :

«Que les explosions de Nord Stream se soient produites sous la surveillance de la marine allemande et du MARCOM pendant l’opération Northern Coasts 2022 menée par l’Allemagne est particulièrement préoccupant. Non seulement il est impensable que l’Allemagne n’ait pas eu connaissance des activités aéroportées, de surface et sous-marines qui se déroulaient en mer Baltique à cette époque, mais il est encore plus difficile de croire, sinon inconcevable, que le MARCOM ait ignoré ces activités”.

L’article de Ponton soutient donc qu’il est peu probable que quiconque en dehors de l’OTAN ait pu mener des attaques d’une telle ampleur dans la «mer de l’OTAN» – comme on nomme aussi la Baltique – sans être remarqué, alors que des manœuvres s’y déroulaient simultanément. Il met également en évidence le degré de coordination des activités navales des États membres de l’OTAN.

Bien sûr, sans être un expert en la matière, il est difficile de se prononcer. Ces dernières enquêtes et recherches démontrent-elles déjà sans équivoque la responsabilité d’un État ou d’un acteur en particulier ? Malheureusement non, mais elles fournissent un contexte d’intérêt et pertinent pour évaluer la situation et clarifier les probabilités quant à l’identité des auteurs potentiels. Ces enquêtes peuvent également apporter une réponse à la question de savoir qui était le plus susceptible de disposer des moyens nécessaires pour mener à bien cet attentat.

Malheureusement, nous attendrons encore longtemps les conclusions des enquêteurs allemands, et le journalisme citoyen devra donc combler cette lacune. Le mandat d’arrêt contre un ressortissant ukrainien nommé Volodymyr Z., qui aurait placé les explosifs sur les pipelines avec d’autres suspects en plongeant depuis le voilier «Andromeda», relève de plus en plus de la diversion, cette histoire du voilier étant plutôt improbable du point de vue de nombreux experts.

L’article de Freddie Ponton n’est que le premier d’une série. Selon l’auteur, la deuxième partie devrait être publiée vers juin 2025. Nous sommes impatients d’en savoir plus. Dans une interview accordée à Patrick Henningsen sur X au sujet de ses découvertes, l’auteur a déjà précisé qu’il expliquerait, entre autres, pourquoi il y a eu un écart de 17 heures entre les différentes explosions, l’un des nombreux mystères encore non résolus liés à la plus grave attaque terroriste (heureusement sans victimes humaines) de l’histoire de la République fédérale d’Allemagne.

Dans son article, il déclare en outre :

«L’idée qu’une opération secrète impliquant une unité de déminage expéditionnaire [Note du MG : ExMCM signifie Expeditionary Mine Countermeasures. Ce terme est utilisé dans la sphère militaire et maritime pour désigner des unités spécialisées dans la détection, le déminage ou la neutralisation de mines sous-marines] ait été menée avec le soutien d’un groupe aéroporté amphibie et d’un ou plusieurs sous-marins (ou mini-sous-marins) lors d’exercices navals de l’OTAN peut sembler improbable à première vue. Cependant, notre enquête sur le sabotage du Nord Stream fournit désormais des preuves irréfutables de l’existence d’opérations militaires de déminage des fonds marins et de destructions sous-marines. Ces activités ont été menées lors d’exercices navals dirigés par des États membres de l’OTAN, s’alignant ainsi parfaitement sur les principes de la guerre maritime non conventionnelle.

«Il est de notoriété publique que la marine américaine mène des opérations secrètes, non reconnues et non programmées lors des exercices maritimes de l’OTAN de lutte contre les mines (MCM) et de neutralisation des explosifs et munitions (EOD) en Europe. Cette affirmation est étayée par des informations accessibles au public, et également corroborée par des conversations officieuses de notre équipe chargée de l’enquête avec des officiers de l’OTAN, en activité ou à la retraite, et des commandants de l’EOD».

Je vous recommande vivement la lecture de l’article complet et extrêmement détaillé de Freddie Ponton. Il contient de nombreuses informations sur les évolutions du secteur militaire malheureusement rarement soumises à un examen critique par les médias, comme l’intégration particulièrement étendue de l’armée allemande aux structures de l’OTAN. On y trouve également des informations très intéressantes sur les moyens et méthodes utilisés dans le cadre d’opérations massives de nettoyage des fonds marins, menées en secret après les attentats.

Cependant, j’ai du mal à imaginer l’implication d’unités de la marine allemande dans l’explosion de Nord Stream, ou tout du moins leur complicité, mais attendons de voir comment les choses évoluent. Quoi qu’il en soit, sous la surface, bien des choses restent à découvrir.

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