Les bases militaires russes à l’étranger : le cas de l’Arménie

Après plusieurs désillusions, le gouvernement arménien remet en question l’existence de la base militaire russe hautement stratégique de Gyumri.

Gyumri, Arménie – Arrivé par l’aéroport international de Tbilisi (Géorgie), il faut compter deux jours sur place pour obtenir l’acte notarié1 qui permettra de passer avec un véhicule de location géorgien sur le territoire arménien, moyennant la somme de quatre-vingt dollars. Comme pour les Balkans, le passage des douanes par la route dans le Caucase c’est quelque chose. Ouverture systématique du coffre du véhicule, contrôle de l’habitacle, chiens anti-drogue, de multiples de questions et son lot de technologies avec la photographie du faciès à plusieurs reprises. Dépendant l’affluence qu’il y’a à la douane, il faut parfois compter plus d’une heure pour passer les deux postes douanes qui se font face avec méfiance et en état d’alerte constant.

Ensuite, il faut compter près de quatre bonnes heures de route pour parcourir les quelques 200 km qui séparent la capitale géorgienne à la ville arménienne de Gyumri qui abrite l’importante base militaire russe 102e. Gyumri est la seconde ville du pays, avec 112 000 habitants. Alors que Erevan la capitale arménienne, à quelques 150 km au sud-est, compte près de 1 100 000 d’âmes. Gyumri n’est qu’à 40-50 km de l’hostile voisin turque. Avec qui la frontière est fermée depuis 1993. En raison de la non-reconnaissance du génocide arménien (1915-1923) et du conflit territorial du Haut-Karabakh2. Ce qui signifie que pour se rendre de l’Arménie à la Turquie le transit par un pays tiers tels que la Géorgie ou l’Iran est incontournable.

Seulement voilà, depuis le début de la décennie, Erevan (Yerevan) lorgne en direction de l’Occident et plus particulièrement parait réceptive aux appels du pied de l’Union européenne (UE)3. L’Arménie est confrontée à l’hostilité persistante de ses deux voisins musulmans que sont la Turquie et l’Azerbaïdjan. Aux goûts d’Erevan, la Fédération de Russie n’a pas démontré ni sa capacité ni même sa volonté de défendre son intégrité territoriale. Contrairement aux dispositions de défense mutuelle de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) dirigée par la Russie4. L’Arménie explore ainsi de nouvelles voies pour assurer sa souveraineté et son développement économique. Cette posture se traduit par un tournant crucial dans les relations arméno-russes.

Une alliance historique fragilisée

En 2013, lors de sa visite de la base militaire russe de Gyumri, Vladimir Poutine affirmait que «la Russie ne partirait jamais d’ici et qu’au contraire elle allait renforcer ses positions». À cette époque, les deux nations étaient liées par un traité d’amitié, de coopération et de soutien mutuel signé en 1997. Aujourd’hui, la position russe en Arménie et dans la région – le Caucase du Sud – semble disputée. C’est l’avis du Premier ministre arménien Nikol Pashynian. Ce dernier a précipité le départ des services de douane russe, présents à l’aéroport de Erevan depuis les années 1990, et ne cache pas ses intentions, à terme, de quitter l’OTSC.

Dans ce contexte, tous les regards se tournent en direction de la ville de Gyumri qui est de toujours un bastion défensif contre les empires étrangers. Durant la guerre froide, c’était l’un des rares lieux où l’Union soviétique (URSS) partageait une frontière directe avec un pays de l’OTAN, en l’occurrence la Turquie.

Selon l’analyste militaire Leonid Nersisian, les équipements de la 102e ne sont plus au goût du jour et la présence des forces russes dans la région relèvent plus du symbole. Avec des tanks T-72, des systèmes de défense anti-aérienne S-300 et des avions de chasse MIG-29. Un avis que ne partage pas votre serviteur qui vient de se rendre sur place. La Fédération de Russie qui a déjà démontré sur le terrain sa capacité à monter en puissance ; à apprendre de ses erreurs et à se réorganiser autant que nécessaire continue à garantir la stabilité dans cette poudrière du monde. Même avec une présence relativement et momentanément réduite quantitativement et qualitativement. Les Russes qui sont très fortement engagés sur le front ukrainien où l’occident collectif lui fait la guerre, avec le sang ukrainien, ont dû récemment gérer la débâcle syrienne. Il est ainsi très compliqué de multiplier l’ouverture des fronts. Le sentiment national arménien en est victime.
Des désillusions pour les Arméniens…

Les autorités arméniennes attendaient un effort militaire russe en leur faveur déjà lors de la seconde guerre avec son voisin l’Azerbaïdjan à propos de la région du Haut-Karabagh, en 2020. Le territoire tant disputé est internationalement reconnu comme azerbaïdjanais mais les Arméniens ont perçu l’inaction russe comme une trahison.

Dans cette constellation, le 26 mars dernier, le Rubicon a été franchi et le Parlement arménien s’est prononcé en faveur de l’adhésion à l’UE. Avec 64 voix pour (les députés du parti au pouvoir) et sept voix contre.

En, 2024, des «partis libéraux et centristes» ainsi que des ONG pro-européennes lançaient une pétition pour que l’Arménie rejoigne le processus d’adhésion à l’Union européenne. 60 000 signatures avaient alors été recueillies dans ce pays de trois millions d’habitants.5

Cet élan «démocratique» ne doit pas occulter le taux de confiance de la population des plus bas (17% seulement selon l’International Republican Institute) dont bénéficie le Premier ministre arménien Nikol Pashinyan. Néanmoins, son souhait de diversification des partenariats économiques et militaires est légitime. Dans le même temps, les relations commerciales entre la Fédération de Russie et l’Arménie sont en hausse, atteignant 7,3 milliards d’euros de transactions en 2023. Le contournement des sanctions contre la Fédération de Russie via l’Arménie depuis le début de la guerre en Ukraine aidant.

Sur le volet militaire, l’Arménie se tourne vers la Grèce, la France, l’Iran et l’Inde pour diversifier ses sources d’équipements militaires et renforcer ses capacités de défense. Actuellement, seulement 10% de l’équipement militaire du pays est acheté à la Russie, contre 96% auparavant.
L’Arménie historique et religieuse demeure favorable à la Russie

L’Arménie rurale demeure pro-russe. C’est l’Arménie traditionnelle et orthodoxe qui ne serait pas bénéficiaire de la manne offerte en cas d’adhésion à l’Union européenne. Une UE qui offre plus de 10 000 euros par mois + 4000 euros de débours à ses eurodéputés qui n’ont aucune prérogatives relevantes pour seulement quelques semaines de présence à l’année entre Bruxelles et Strasbourg. Ce système clientéliste et corruptible – voir l’affaire Marine Le Pen – ne parle pas à l’Arménien de la campagne et des traditions. De plus, le pays est encore dépendant des milieux économiques pro-russes. Trois millions d’Arméniens résident en Russie, l’équivalent de la population en Arménie. Ils sont nombreux les patrons arméniens à bénéficier de la double nationalité arménienne et russe. L’économie arménienne est étroitement liée à la bonne santé de la Fédération de Russie. Au nationalisme et aux intérêts particuliers du Premier ministre Nikol Pashinyan, il est indéniable que le gouvernement arménien gagnerait à réchauffer les relations avec Moscou. Plutôt que d’engager le pays dans une «aventure» à la géorgienne ou la kévienne.
La Fédération de Russie dispose de plusieurs bases militaires à l’étranger

1) Asie centrale et Caucase

– Tadjikistan

Base aérienne de Kant (près de Bichkek, utilisée dans le cadre de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective – OTSC).

Base militaire de Douchanbé (coopération avec les forces tadjikes).

– Kirghizistan

Base navale de Karachaganak (facilité d’entraînement).

– Arménie

Base aérienne d’Erebuni (près d’Erevan, abrite des chasseurs MiG-29).

102e base militaire de Gyumri (hébergeant des de l’infanterie motorisée dans le cadre de l’OTSC).

– Kazakhstan

Cosmodrome de Baïkonour (loué par la Russie, utilisé pour des lancements spatiaux, mais pas une base militaire à proprement parler).

2) Moyen-Orient

– Syrie

Base navale de Tartous (seule base méditerranéenne russe, renforcée depuis 2015).

Base aérienne de Hmeimim (utilisée pour soutenir le régime de Bachar al-Assad).

3) Afrique

– Soudan (projet en cours)

Base navale de Port-Soudan (accord signé en 2020 pour une base logistique, mais le projet est en suspens en raison des tensions politiques).

– Libye (présence informelle)

Des éléments du groupe Wagner ont été actifs dans le pays, mais pas de base officielle.

4) Europe (territoires contestés)

– Transnistrie (Moldavie)

Base de Tiraspol (environ 1 500 soldats russes, considérés comme une force de maintien de la paix par Moscou, mais non souhaitée aux yeux de la Moldavie).

– Abkhazie et Ossétie du Sud (Géorgie)

Bases militaires russes (reconnues principalement par la Fédération de Russie et quelques alliés, considérées comme une occupation par la Géorgie).

5) Arctique

Installations militaires russes comme la base de Nagurskoe.

6) Amérique (symbolique)

– Venezuela

La présence russe au Venezuela reste symbolique et intermittente, mais elle sert de levier géopolitique contre Washington. Pas d’installation massive, mais une coopération militaire étroite qui pourrait se renforcer en cas de crise.

Les bases planifiées et en construction

République centrafricaine ; Égypte ; Érythrée (centre logistique) ; Madagascar ; Mozambique et Soudan (accès à la mer Rouge).

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