Caucase du Sud : Une bataille de volontés et de couloirs

L’Azerbaïdjan et la Turquie s’efforcent d’établir le « corridor de Zangezur », en contradiction directe avec les intérêts de l’Iran et de l’Arménie, car il implique le blocage du corridor de Lachin, qui constitue une ligne de vie pour les Arméniens du Haut-Karabakh.

Le 12 décembre, sous prétexte d’environnementalisme, des dizaines d’« éco-activistes » azerbaïdjanais soutenus par l’État ont bloqué le seul corridor terrestre reliant l’Arménie au Haut-Karabakh.

Ce blocus a provoqué une crise humanitaire pour les 120 000 Arméniens vivant dans le Haut-Karabakh, les coupant du monde extérieur. Ce n’est pas la première fois que Bakou prend une telle mesure provocatrice. L’Azerbaïdjan fait depuis longtemps pression pour la création du « corridor de Zangezur » afin de se relier à son proche allié turc par le sud de l’Arménie, coupant ainsi la frontière stratégique entre l’Arménie et l’Iran.

Téhéran s’est opposé à ce projet et s’est engagé dans des exercices militaires à sa frontière avec l’Azerbaïdjan. En octobre, les Iraniens ont ouvert un consulat dans la ville de Kapan, dans le sud de l’Arménie, en guise d’avertissement à Bakou et à ses alliés régionaux.

Blocage du corridor de Lachin

Malgré cela, l’Azerbaïdjan, avec le soutien de la Turquie, a poursuivi son objectif, qui consiste notamment à bloquer la route où sont stationnés les soldats de la paix russes dans le corridor de Lachin, qui relie l’Arménie au Nagorny-Karabakh.

En juillet 2022, Bakou a modifié un contrat avec la société britannique Anglo Asian Mining PLC, lui transférant trois nouveaux sites miniers à l’intérieur de l’Azerbaïdjan. L’une de ces zones est située dans la partie orientale de la région de Martakert du Haut-Karabakh, une zone riche en mines d’or, de cuivre et d’argent.

La population arménienne du Haut-Karabakh a refusé les efforts de l’Azerbaïdjan pour envoyer des groupes de surveillance, estimant que cela donnerait à Bakou le contrôle de l’économie de la région et conduirait finalement à son annexion. En représailles, Bakou a envoyé des « écologistes » pour bloquer le seul corridor reliant l’Arménie au Haut-Karabakh.

Les utilisateurs des médias sociaux ont identifié des agents de l’État azerbaïdjanais parmi certains de ces « écologistes » qui tentent périodiquement de provoquer les soldats de la paix russes. Le blocus a provoqué une catastrophe humanitaire dans la région, des milliers de civils ne pouvant accéder à des produits de première nécessité comme les médicaments et la nourriture par la seule route les reliant au monde extérieur.

Pour aggraver les tensions, Anglo-Asian Mining a envoyé une lettre aux principales organisations et États internationaux pour demander l’arrêt de « l’exploitation illégale » des mines du Haut-Karabakh par les Arméniens. Et pourtant, Moscou continue d’adopter une position passive, bien qu’elle soit une partie visée dans la mêlée.

La bataille des couloirs

Le blocage du corridor de Lachin n’a pas été une surprise, puisqu’il a été ouvertement évoqué dans les médias azerbaïdjanais.

La seule surprise a été l’incapacité de la Russie à résoudre la crise. Au début du mois, le ministre turc de la Défense, Hulusi Akar, a appelé l’Arménie à « saisir l’occasion et à répondre positivement aux appels à la paix de la Turquie et de l’Azerbaïdjan » lors d’exercices militaires conjoints avec l’Azerbaïdjan près de la frontière iranienne.

Il a également commenté le « corridor de Zangezur », affirmant que c’était le « souhait le plus sincère » de Bakou de rétablir les connexions dans la région et d’assurer « une normalisation complète dans toute la région, et donc les relations entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie et entre la Turquie et l’Arménie ». Akar a également promis que la Turquie continuerait à soutenir la « cause juste » de l’Azerbaïdjan contre l’Arménie.

Mais au deuxième jour des manifestations organisées par les Azerbaïdjanais et du blocus du Haut-Karabakh, les médias azerbaïdjanais ont fait connaître leurs intentions.

Ils ont demandé le remplacement du commandant de la mission russe de maintien de la paix au Haut-Karabakh, Andrey Volkov, et le transfert du contrôle du corridor de Lachin à l’Azerbaïdjan, ainsi que la « restauration complète de la souveraineté azerbaïdjanaise dans les territoires sous le contrôle des forces de maintien de la paix ».

Certains militants azerbaïdjanais ont également demandé le retrait des forces russes et leur remplacement par des forces mandatées par l’ONU.

Retrait des casques bleus russes

Il n’est pas certain que Bakou elle-même soit prête à employer ce langage et à exiger le retrait et le remplacement des forces de maintien de la paix russes. Selon certains experts azerbaïdjanais, Bakou est actuellement opposé au retrait des forces de maintien de la paix russes par la force, car cela pourrait conduire à l’annexion du Haut-Karabakh et au nettoyage ethnique des chrétiens arméniens, ce qui pourrait ternir l’image du président Ilham Aliyev à l’Ouest et entraîner des sanctions économiques des États-Unis et de l’Union européenne.

Bakou préfère donc que les Russes restent, mais de manière restrictive. Il est plus facile pour l’Azerbaïdjan de traiter avec une Russie faible qu’avec les Européens, car ils connaissent bien la « mentalité russe », explique un expert. Cela suggère que l’Azerbaïdjan pourrait préférer continuer à utiliser le corridor de Lachin comme un outil de négociation avec Moscou, plutôt que de risquer le retrait des forces russes.

Un autre expert azerbaïdjanais convient que la crise actuelle oppose essentiellement l’Azerbaïdjan et la Russie – que cette dernière est incapable de remplir sa « mission de maintien de la paix » et d’empêcher les « Arméniens du Karabakh d’exploiter les ressources naturelles de la région ».

Mais il affirme également que la crise porte moins sur l’extraction et l’exploitation des ressources que sur la pression exercée sur les Russes pour qu’ils ouvrent le « corridor de Zangezur », qui relie l’Azerbaïdjan proprement dit à son exclave du Nakhitchevan et se trouve à la frontière stratégique de l’Iran avec l’Arménie.

Selon l’expert, « l’Azerbaïdjan veut des garanties supplémentaires qu’il aura une connexion sûre avec la Turquie, en échange de la connexion sûre du Karabakh avec l’Arménie ».

L’histoire se complique. En décembre, les médias azerbaïdjanais ont accusé les Arméniens d’avoir invité des experts militaires iraniens à former les forces d’autodéfense du Haut-Karabakh. Les rapports affirment que les Iraniens ont traversé le corridor de Lachin et ont pénétré dans les territoires contrôlés par les forces de maintien de la paix russes.

Malgré les railleries et les provocations incessantes de Bakou, il semble que l’objectif de l’Azerbaïdjan ne soit pas de supprimer ou de remplacer complètement les forces de maintien de la paix russes, mais plutôt de contrôler leur mission, de surveiller le transit dans le corridor de Lachin et d’utiliser ce corridor comme carte de pression sur Erevan pour ouvrir un « corridor » à Syunik reliant l’Azerbaïdjan à la Turquie.

Par conséquent, du point de vue de l’Azerbaïdjan, l’avenir du corridor de Lachin est désormais lié au sort du « corridor de Zangezur ».

Le point de vue de Téhéran

Selon le Dr Ehsan Movahedian, chercheur et instructeur à l’université Allameh Tabataba’i de Téhéran, « la République d’Azerbaïdjan cherche une nouvelle aventure dans la région du Caucase, et cette question nécessite des mesures diplomatiques de la part de la République islamique d’Iran et devrait être un avertissement pour les autorités militaires (à Téhéran) ».

Un média iranien affirme que si Stepanagert (la capitale du Haut-Karabakh) tombe :

« Des scénarios désagréables peuvent être imaginés pour la région du Caucase du Sud et ses environs, notamment l’Iran. La suppression d’un obstacle tel que le Haut-Karabakh ouvre la voie à l’occupation du territoire arménien et à la modification de la carte de la région, et à long terme à des attaques sécuritaires contre les régions du nord-ouest de l’Iran ».

L’analyste Mohammad Hossein Masumzadeh estime que la seule solution pour mettre fin à l’agression de l’Azerbaïdjan « est de prendre des mesures offensives au lieu de l’approche défensive qui régit la politique régionale du pays afin d’éviter des risques irréparables ».

Certains experts et anciens diplomates iraniens estiment que les développements dans le Caucase du Sud sont liés aux développements intérieurs en Iran, où de nombreux Azéris de souche, soutenus par Ankara et Bakou, ont appelé à des aspirations séparatistes pour démanteler l’État de l’intérieur.

L’Iran craint que l’extension de l’influence turque à sa frontière nord n’ait un impact sur sa politique intérieure à l’avenir, l’Azerbaïdjan ayant ouvertement appelé à « l’unification de l’Azerbaïdjan du Sud (nord de l’Iran) à la République d’Azerbaïdjan ».

Ces menaces ne semblent pas être vaines. Le 29 novembre, « l’Organisation pour la protection des droits des Azerbaïdjanais du Sud » a été créée en Suisse, annonçant qu’elle soumettra des documents et des informations aux organisations internationales, dont l’ONU, concernant les « droits des personnes de la province azerbaïdjanaise d’Iran ».

Le 2 décembre, le représentant de « l’Azerbaïdjan du Sud » à l’ONU, Araz Yurdseven, a défendu l’idée de l’indépendance de « l’Azerbaïdjan du Sud » et a accusé l’Iran de commettre des « meurtres contre les Azéris iraniens ».

La région se dirige-t-elle vers une nouvelle escalade ?

Il est intéressant de noter que de nombreux experts européens et azerbaïdjanais ont considéré le refus du Premier ministre arménien Nikol Pashinyan de signer le document final de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) comme un signe de faiblesse de la Russie, le qualifiant d’« événement sans précédent qui ne s’était jamais produit auparavant ».

L’OTSC est une alliance militaire eurasienne composée de six États post-soviétiques, dont l’Arménie, la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizstan et le Tadjikistan.

Il est à craindre que la région ne se dirige vers une nouvelle escalade. L’Azerbaïdjan a récemment invité des avions de combat F-16 turcs dans la région, ce qui est considéré comme une préparation au conflit. La dernière fois que Bakou a invité les jets turcs, c’était en 2020, quelques semaines avant sa guerre avec l’Arménie.

L’Azerbaïdjan fait également pression sur la Russie pour qu’elle renégocie les termes de leur déclaration trilatérale du 10 novembre 2020, qui stipule que seuls les casques bleus russes sont chargés de contrôler le corridor de Lachin.

L’Azerbaïdjan lie le blocus du corridor de Lachin à l’ouverture de celui de Zangezur. Si la Russie accepte ces concessions, cela pourrait conduire à l’isolement de l’Arménie, menacer son intégrité territoriale et bloquer une frontière stratégique iranienne.

Cela déplacerait également l’équilibre régional des forces en faveur de la Turquie, car l’Iran risque d’agir seul contre les aspirations panturques turco-azerbaïdjanaises, ce qui pourrait finalement menacer les intérêts de sécurité nationale de l’Iran, tant au niveau régional qu’au niveau national.

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