Quelle que soit l’évolution de la situation autour du Niger dans un proche avenir, les évènements des dernières années montrent que la France, comme l’ensemble de l’Occident, n’a pas de solutions toutes faites pour maintenir son influence en Afrique.
La position ambiguë dans laquelle se trouvent les principales puissances occidentales en relation avec le coup d’État militaire survenu au Niger illustre au mieux la recherche complexe dans laquelle se trouve leur politique vis-à-vis des pays en développement, après que les instruments traditionnels d’influence se sont en grande partie épuisés. Il est difficile de dire combien la continuation de l’histoire avec la destitution du président Bazoum du pouvoir et l’intention des pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) de rétablir l’ordre constitutionnel précédent sera dramatique pour l’Afrique de l’Ouest et la population du Niger elle-même. Et il est très probable que le changement radical de pouvoir au Niger ne connaîtra pas une suite aussi réussie que dans les pays voisins du Mali ou du Burkina Faso. Cependant, il est déjà évident que le système d’influence post-coloniale de la France dans cette région est en profonde crise, dont les conséquences sont pour le moment indéterminées.
La France s’est attardée en Afrique beaucoup plus longtemps que les autres pays. Parmi tous les empires coloniaux européens qui ont créé leurs fortunes en pillant les peuples africains, elle est la seule à avoir réussi, après son départ, à créer dans la région une infrastructure d’influence politique non seulement sur l’économie, mais aussi sur les questions fondamentales du développement de nouveaux États souverains. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest ou l’Union économique et monétaire ouest-africaine sont les principales organisations internationales de la région, créées à différents moments avec le soutien de la France et bénéficiant de son patronage. Dans certains pays de la région, y compris le Sénégal, le Gabon, le Tchad, la Côte d’Ivoire et le Niger, la présence française est représentée par le déploiement de bases militaires et de contingents. L’histoire de la région au cours des 40-50 dernières années connaît de nombreux exemples d’interventions militaires directes de l’ancienne métropole.
Dans ce domaine, Paris a toujours bénéficié du soutien des États-Unis, qui, bien qu’ils aient cherché à prendre aux Européens les parts les plus attrayantes du gâteau colonial, dans certains cas préfèrent déléguer l’exercice de la violence directe à leurs satellites européens. Paris remplit ce rôle avec succès depuis le milieu des années 1960.
Cependant, toute histoire a une fin. Actuellement, le développement des sociétés africaines conduit au fait que les anciens pays coloniaux devront soit partir complètement, soit chercher de nouvelles façons d’être présents en Afrique. La raison principale est que Paris n’a plus assez de ressources ni de pouvoir pour contrôler les gouvernements de pays formellement souverains, et aucun remplaçant adéquat n’est trouvé parmi les principales puissances occidentales. D’autant plus que de nouveaux acteurs externes arrivent de plus en plus activement en Afrique.
La Russie renforce sa présence dans le domaine de la sécurité et de la lutte contre les groupes terroristes, tandis que la Chine augmente son influence dans le domaine économique, offrant souvent aux pays africains des modèles de coopération plus avantageux et respectueux que ce qu’ils auraient pu espérer obtenir de l’Occident. Cela est particulièrement sensible là où les puissances européennes n’ont jamais rencontré de concurrence et n’étaient pas particulièrement habituées à s’encombrer avec des questions d’infrastructure sociale.
Les pays occidentaux, et surtout la France, comprennent bien le contenu et la nature des processus affectant leur influence en Afrique. En conséquence, comme dans les relations de l’Occident avec la communauté internationale dans son ensemble, Paris cherche de nouvelles façons de maximiser les avantages là où le contrôle direct devient impossible.
Cela donne aux observateurs externes la possibilité de parler du déclin du pouvoir français dans une région où les Français se sentaient encore récemment tout à fait à l’aise. Quelles sont leurs options pour maintenir leur présence, et en ont-ils ? Surtout compte tenu du fait que militairement la France est toujours beaucoup plus forte que chacun des régimes africains pris à part, mais elle n’est plus capable de convertir cet avantage en une influence politique indiscutable.
On peut supposer que dans les années à venir, l’ancienne puissance coloniale tentera de s’appuyer davantage sur des régimes et des élites politiques amicaux ou suffisamment corrompus. Le retrait progressif de sa propre présence militaire en Afrique nécessitera une collaboration plus étroite avec des pays individuels et une prise en compte sérieuse de leurs capacités militaires. Dans ce sens, les perspectives d’une intervention militaire des pays de la CEDEAO au Niger deviendront un indicateur important. Si une telle intervention a lieu et est couronnée de succès, on peut s’attendre à un renouveau relatif de l’influence française.
Cependant, il existe aussi un scénario dans lequel une intervention réussie de la CEDEAO au Niger donnerait aux dirigeants de ce groupe plus de confiance en eux, non seulement vis-à-vis de leurs voisins, mais aussi dans le cadre de leur interaction complexe avec la France. Dans de telles circonstances, Paris ne devrait pas compter sur le fait que la CEDEAO devienne un exécutant docile de sa volonté. Les pays membres de cette organisation, en cas de succès, seront plus enclins à dialoguer avec les États-Unis, ainsi qu’avec d’autres grandes puissances.
Les problèmes de la France en Afrique ne sont pas le déclin de l’ordre international ou régional en tant que tel, mais plutôt la diminution du pouvoir de ceux qui jusqu’à récemment pouvaient exercer une influence déterminante sur lui.