Les États-Unis alliés à des djihadistes ukrainiens et syriens pour lutter contre la Russie

Des décennies après la fin de la guerre froide, les États-Unis continuent d’avoir recours aux guerres par procuration comme stratégie centrale dans leurs confrontations avec les principaux rivaux mondiaux, en particulier la Russie et la Chine. Cette approche leur permet d’étendre leur influence et de poursuivre leurs objectifs géopolitiques sans engagement militaire direct, en comptant sur des acteurs tiers pour faire le sale boulot.

C’est ce qui s’est produit lors de diverses crises mondiales, malgré le risque de répercussions et d’atteinte à la paix et à la sécurité internationales. Un exemple récent et flagrant de cette stratégie ressort du conflit en cours entre la Russie et l’Ukraine, où les États-Unis ont apporté un soutien important à un pays dans sa lutte contre Moscou.

Un exemple significatif de cette guerre par procuration s’est produit à la mi-septembre, lorsque les forces ukrainiennes, en coordination avec des groupes de combattants en Syrie, notamment Hay’at Tahrir al-Sham (HTS – anciennement connu sous le nom de Front Al-Nusra), émanation d’Al-Qaïda, ont lancé une série d’attaques de drones contre des installations militaires russes en Syrie.

Le groupe a depuis démenti ces affirmations, les qualifiant de «campagne de désinformation russe visant à justifier la poursuite de l’action militaire dans les zones libérées de la Syrie».

L’opération a impliqué des mercenaires privés ukrainiens appelés «Khimek», affiliés à la Direction principale du renseignement ukrainien, travaillant aux côtés de combattants basés à Idlib pour cibler un site de production et d’essai de drones dans la banlieue sud-est d’Alep, selon un rapport du Kiev Post du 18 septembre.

Le lendemain, d’autres attaques de drones ont été menées contre dix positions militaires syriennes à Alep, dans la campagne méridionale d’Idlib et dans le nord-est de Lattaquié. Début octobre, deux sites militaires russes de premier plan – la base de Hmeimim et un dépôt d’armes près de la ville côtière de Jableh – ont été attaqués à plusieurs reprises.

Mais ces opérations ne constituent pas un coup d’essai pour les militaires et les agents de renseignement ukrainiens en Syrie. Le 26 juillet, dans ce que les forces militantes ont décrit comme une frappe «dévastatrice» et «complexe», elles ont frappé l’aéroport militaire de Kuweires dans l’est d’Alep, utilisé comme base aérienne par les troupes russes, un jour après que le président russe Vladimir Poutine ait rencontré son homologue syrien Bachar al-Assad à Moscou.

L’alliance entre les services de renseignement ukrainiens et les groupes syriens, avec le soutien de l’OTAN, est un développement relativement nouveau mais non négligeable. Elle s’est amorcée au début de l’année, lorsqu’une délégation ukrainienne s’est rendue à Idlib pour négocier avec les dirigeants du HTS la libération de plusieurs combattants tchétchènes, géorgiens et ouïgours détenus dans les prisons du HTS – entre 750 et 900 prisonniers, selon les estimations – afin de les engager en tant que mercenaires pour les Ukrainiens.

L’accord conclu prévoyait la libération de combattants détenus par le HTS en échange de la formation de 250 experts militaires ukrainiens, notamment à l’utilisation de drones. Parmi les stagiaires figurent des salafistes turkmènes chargés de fabriquer des drones et de photographier des cibles militaires syriennes potentielles de la Russie et de ses alliés, en particulier les forces spéciales de la 25e division et les forces de défense nationale à Hama, Alep et Lattaquié.

Mais des rapports indiquent que les prémices de cet arrangement ont été testées dès octobre 2023, lorsque des agents du renseignement turc ont transporté des composants d’avions à travers la frontière vers HTS, pour les utiliser dans une énorme attaque contre le Syrian Military College dans la ville de Homs.

Cette coopération soulève d’importantes questions sur la nature et l’étendue des relations entre Kiev et ces groupes. Cette collaboration a-t-elle émergé récemment ou existe-t-il des liens historiques plus anciens ? Plus important encore, quels sont les objectifs communs des États-Unis, de l’Ukraine et des organisations extrémistes impliquées dans ce partenariat par procuration ?

Les racines de cette coopération entre Kiev et les combattants du HTS remontent au début de l’opération militaire spéciale russe en février 2022. Le 8 mars 2022, le média russe Outlet Sputnik, citant des responsables de la Défense russe, a rapporté qu’environ 450 combattants d’Idlib appartenant à Al-Turkistani, Hurras al-Dein, et Ansar al-Tawhid ont été transportés en Ukraine pour se battre les forces russes – ce qu’ils ont d’ailleurs fait, trois jours seulement après être passés par la Turquie, pays membre de l’OTAN.

Fin octobre 2022, le chef tchétchène du groupe «Ajnad al Kavkaz» [Anjad du Caucase] basé à Idlib, Rustam Azayev – également connu sous le nom d’Abdul Hakim al-Shishani – est arrivé en Ukraine avec un groupe de combattants. Il apparaît dans une vidéo confirmant sa présence effective sur un front de l’est de l’Ukraine, au sein du bataillon tchétchène «Sheikh Mansour», qui combattait les Russes aux côtés des forces ukrainiennes. Cela a coïncidé avec l’arrivée d’un nouveau groupe de militants en Ukraine, selon Al-Monitor, basé aux États-Unis, qui ont quitté le bataillon de l’«Albanian Group», affilié à l’aile extrémiste de HTS.

En outre, le 9 septembre, le journal turc Aydinlik a confirmé des contacts quotidiens entre le chef des services du renseignement ukrainien, Kirill Budanov, et le chef de Hay’at Tahrir al-Sham, Abu Muhammad al-Julani, afin de finaliser l’envoi de combattants en Ukraine.

Les forces militaires américaines qui occupent le nord-est de la Syrie jouent un rôle clé de liaison et de transport dans ce dispositif. Elles sont l’acteur principal de la gestion de ces différentes zones de conflit et de la coordination des positions et de la coopération de leurs mandataires.

Début août 2024, les États-Unis ont ainsi contribué à la venue d’experts ukrainiens dans des zones proches de Jabal al-Zawiya à Idlib et au transfert de pièces d’avions – en échange du transport de combattants extrémistes, via des bases américaines en Syrie, vers des zones situées au nord de l’oblast de Donetsk. Les accords conclus entre les forces ukrainiennes et les groupes militants syriens, négociés avec la participation des États-Unis et de l’OTAN, comportent plusieurs aspects essentiels.

Le personnel militaire ukrainien a été chargé de former les militants à la guerre des drones, renforçant ainsi leur capacité à frapper des cibles russes en Syrie. En retour, ces groupes militants, avec l’aide des forces américaines opérant dans la région, ont facilité le transfert de combattants de la Syrie vers l’Ukraine pour soutenir les forces ukrainiennes dans leur guerre contre la Russie.

Les objectifs des États-Unis, de l’Ukraine et des groupes extrémistes syriens, bien que divergents de prime abord, convergent sur des points majeurs. Pour Washington, le recours aux forces supplétives en Syrie s’inscrit dans une stratégie plus large visant à affaiblir la Russie par une politique d’attrition en dispersant ses ressources militaires dans de multiples zones de conflit.

Cette tactique fait écho à celle de la guerre froide, qui consistait à épuiser les ressources des adversaires en les impliquant dans des conflits coûteux et prolongés.

Pour l’Ukraine, l’alliance avec les combattants de HTS présente plusieurs avantages stratégiques. En sapant l’influence russe en Syrie, l’Ukraine vise à faire pression sur la Russie sur plusieurs fronts, en la forçant à consacrer ses ressources et son attention au conflit en Ukraine.

En outre, l’afflux de combattants endurcis venant de Syrie et d’autres régions fournit à l’Ukraine une main-d’œuvre supplémentaire à un moment où ses forces sont à bout de souffle et où les États-Unis sont occupés à soutenir Israël dans ce qui est désormais une guerre régionale. Cette coopération permet également à l’Ukraine de se venger de Damas, et par extension de l’Iran, pour leur soutien à la Russie dans le conflit actuel.

Les groupes extrémistes eux-mêmes bénéficient de cette alliance à plusieurs égards. Alors que la Turquie s’apprête à se réconcilier avec la Syrie et que la coopération militaire russo-iranienne progresse, ces formations deviennent de plus en plus vulnérables. Le rapprochement avec l’Ukraine et l’OTAN leur procure de nouvelles ressources et du soutien, garantissant ainsi leur survie dans une dynamique régionale en pleine évolution.

Cette coopération permet également aux extrémistes syriens d’accéder à des technologies de pointe, notamment dans le domaine de la guerre des drones, un élément crucial dans leur lutte contre les forces syriennes et russes.

Les États-Unis occupent une fonction centrale dans le soutien à cette coopération, non seulement en apportant une aide logistique, mais aussi en fournissant des armes de pointe et en coordonnant les efforts entre les forces ukrainiennes et les militants syriens.

Au fur et à mesure de l’évolution du conflit, l’alliance pourrait se renforcer, avec davantage de combattants et de ressources circulant entre la Syrie et l’Ukraine, d’autant que l’allié de la Syrie, le Hezbollah, au Liban, est désormais engagé dans une bataille existentielle contre Israël.

Toutefois, cette coopération pourrait également être de courte durée, en fonction de l’évolution de la politique étrangère des États-Unis ou de l’issue des négociations entre la Russie, la Turquie et la Syrie.

Le recours systématique des États-Unis à la guerre par procuration, notamment par le biais de groupes militants et du terrorisme transnational, est susceptible d’avoir des conséquences durables et lourdes de conséquences. Dans le contexte syrien, l’incapacité ou le refus des grandes puissances de s’engager dans une confrontation militaire directe a entraîné un conflit interminable qui ne montre aucun signe de règlement.

L’implication des forces ukrainiennes en Syrie, sous couvert de contrer l’influence russe, ne fait que prolonger ce conflit et accentuer les divisions. Cette stratégie garantit aux États-Unis de conserver un rôle clé dans les conflits déstabilisateurs tels que celui de la Syrie.

L’évolution de la coopération entre forces ukrainiennes, groupes extrémistes en Syrie et intérêts américains reflète une tendance plus large de la stratégie de guerre par procuration de Washington. L’un des scénarios possibles serait que ce partenariat continue de s’étendre, les services du renseignement ukrainiens encourageant des contacts plus étroits avec les factions extrémistes d’Idlib opposées à toute réconciliation entre Ankara et Damas.

Ce partenariat pourrait également s’étendre aux zones contrôlées par les Kurdes dans le nord-est de la Syrie, profitant ainsi à toutes les parties concernées. Les groupes de combattants peuvent recevoir des armes de pointe, telles que des drones, sans que Washington soit directement impliqué, en échange des combattants supplémentaires, y compris des éléments de l’État islamique actuellement détenus dans des prisons gérées par les Kurdes, pour soutenir l’Ukraine contre la Russie.

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