Jonathan Powell, Inter-Mediate, le MI6 et le régime syrien affilé à Al-Qaïda

Le 19 juillet, le Mail on Sunday a révélé qu’Inter-Mediate, une société obscure fondée par Jonathan Powell, désormais conseiller à la Sécurité nationale du Premier ministre britannique Keir Starmer, a négocié le rétablissement des relations diplomatiques entre Damas et Londres.

Cette visite s’est notamment traduite par une réunion très médiatisée entre le ministre britannique des Affaires étrangères, David Lammy, et le président autoproclamé de la Syrie, Ahmad al-Sharaa, il y a deux semaines. Le journal a également révélé qu’Inter-Mediate, une société financée par l’État britannique, dispose d’un bureau dédié dans le palais présidentiel syrien.

Le parti conservateur britannique, actuellement dans l’opposition, a exigé l’ouverture d’une enquête officielle sur la manière dont Powell utilise Inter-Mediate pour établir des connexions secrètes avec des groupes terroristes, ainsi que sur le conflit d’intérêts créé par son rôle de non-élu.

Conseiller à la sécurité nationale de Starmer, Powell est décrit comme exerçant «plus d’influence sur la politique étrangère que quiconque au sein du gouvernement après le Premier ministre lui-même».

Il opère entièrement hors de tout encadrement parlementaire. Une source de Whitehall a déclaré au Mail on Sunday :

«Il agit essentiellement en tant qu’espion et agent secret externalisé, négociant des accords «en coulisses» auprès de dirigeants politiques et de groupes armés».

De terroriste à technocrate

Le rôle central joué par Inter-Mediate pour faciliter l’accession au pouvoir à Damas de l’ancien chef de Hayat Tahrir al-Sham (HTS), Sharaa, a été exposé pour la première fois en mai par Independent Arabia. Cette information fait suite aux révélations de l’ancien ambassadeur américain en Syrie, Robert Ford (2011-2014), selon lesquelles, en 2023, une «organisation non gouvernementale» britannique l’a sollicité pour faire de HTS, et plus particulièrement de Sharaa, qui se faisait appeler Abu Mohammad al-Joulani lorsqu’il était chef de l’État islamique, une force politique. Si Robert Ford n’a pas nommé Inter-Mediate, Independent Arabia l’a fait, mais cette information a été totalement ignorée par les médias mainstream.

Maintenant que l’implantation d’Inter-Mediate au sein du gouvernement post-Bachar al-Assad à Damas est confirmée, les médias occidentaux commencent à décrire les nouveaux dirigeants de la Syrie comme des extrémistes barbares liés à Al-Qaïda et à l’État islamique.

Pourtant, rares sont ceux qui s’interrogent sur les implications bien plus graves de la présence d’une société liée aux services de renseignement britanniques au sein du siège du pouvoir syrien, et sur l’influence considérable de Londres sur l’administration dirigée par HTS.

Sans compter un timing très suspect : Powell a pris ses fonctions de conseiller quelques jours avant que HTS ne mène une offensive sanglante sur Damas. Starmer a immédiatement déclaré que le départ d’Assad ouvre la voie à «un rôle plus actif» de la Grande-Bretagne dans la région et a dépêché des diplomates prestigieux pour rencontrer des responsables du HTS. Les médias ont confirmé que ces sommets sont totalement illégaux, car HTS est un groupe terroriste inscrit sur la liste des organisations interdites par la loi britannique.

Depuis son arrivée au pouvoir, Sharaa a annoncé que l’économie syrienne, autrefois indépendante, serait entièrement ouverte à l’exploitation occidentale, a ordonné des massacres d’Alaouites et autres minorités religieuses, et cherche à normaliser sa relation avec Israël.

Tandis que l’État d’occupation mène régulièrement des frappes aériennes dévastatrices contre les infrastructures gouvernementales et militaires depuis la chute de l’ancien président syrien Bachar al-Assad, HTS reste imperturbable. Il est ainsi légitime de se demander si la répression interne brutale du gouvernement issu d’Al-Qaïda et la passivité face aux bombardements militaires et aux incursions de Tel-Aviv sur son territoire ne sont pas finalement dirigées par le MI6.

«Se dédouaner de toute responsabilité»

Le site web d’Inter-Mediate ne fournit que peu d’indices sur ses véritables intentions. Il présente une liste d’anciens diplomates et militaires occidentaux parmi ses membres du personnel et du conseil d’administration, et prétend vaguement faciliter

«Les canaux de communication avec les acteurs du conflit les plus difficiles à approcher» lorsque «les négociations directes sont impossibles ou contre-indiquées». Il se vante de créer un espace pour des solutions politiques «dans certains des conflits les plus insolubles au monde».

La Syrie fait partie de ces «conflits insolubles», notamment parce que le gouvernement «populaire» et souverain d’Assad a catégoriquement refusé de céder le pouvoir aux éléments étrangers soutenus par la CIA et le MI6, responsables de massacres, qui ont envahi le pays en 2011.

Des courriels divulgués de l’ancienne secrétaire d’État américaine Hillary Clinton indiquent qu’Inter-Mediate était actif à Damas dès les premières étapes de la «crise» fomentée par l’étranger. En mars 2012, le conseiller principal de Clinton, Jake Sullivan, l’a contactée pour lui annoncer que Powell avait «lancé une nouvelle ONG menant des activités très prometteuses en toute discrétion».

Un courriel joint de Powell indiquait qu’Inter-Mediate avait «mis en place des canaux secrets entre insurgés et gouvernements» dans plusieurs pays, qu’elle se préparait à intervenir en Birmanie, en Somalie, en Syrie et au Yémen, et qu’elle cherchait à vendre ses services à de hauts responsables du département d’État américain.

Il précisait également travailler en étroite collaboration avec le ministère britannique des Affaires étrangères, le Conseil national de sécurité et le MI6.

À l’époque, on savait déjà à Washington que les «insurgés» syriens étaient affiliés à Al-Qaïda et à d’autres groupes ultra-extrémistes.

Les preuves indiquent que les relations d’Inter-Mediate avec la faction devenue HTS remontent à plus d’une décennie, et que le projet de Londres de remplacer Assad par un régime complaisant lié à Al-Qaïda est en cours depuis. Son bureau opérationnel au sein du palais syrien n’a rien d’une nouveauté, mais est le fruit d’années d’infiltration discrète. Inter-Mediate n’est d’ailleurs pas la seule agence de renseignement britannique infiltrée dans les arcanes du pouvoir en Asie occidentale.

L’appareil de sécurité et de renseignement du Liban est fortement infiltré par les Britanniques, comme l’a déjà documenté The Cradle. Torchlight, un sous-traitant du ministère des Affaires étrangères, dispose même d’un bureau dans les locaux de la Direction des services du renseignement militaire à Beyrouth.

Des documents divulgués concernant cette infiltration ont révélé que la présence de Londres facilite grandement le «développement accéléré de relations de confiance» avec le personnel haut placé de l’agence, et garantit qu’il sera «peu enclin à refuser» une implication accrue du personnel et de la technologie britanniques dans les opérations sensibles de la Direction.

D’autres fichiers divulgués, liés à la Westminster Foundation for Democracy (WFD), un clone britannique de la National Endowment for Democracy (NED), organisme de façade de la CIA américaine, révèlent que cette organisation dispose de bureaux dans le bâtiment du Parlement libanais.

Un rapport officiel sur les activités de la WFD indique explicitement que sa «mission» est de mener à bien des projets «controversés» que Londres «ne pourrait ou ne voudrait pas entreprendre officiellement» afin de limiter «les préjudices potentiels pour les relations officielles intergouvernementales» et de «prévenir tout risque de perception d’ingérence étrangère».

«Le statut indépendant de la WFD offre au ministère des Affaires étrangères la meilleure des garanties. Moins il cherche à exercer un contrôle, plus il peut se dédouaner de toute responsabilité. La Fondation constitue un instrument essentiel et précieux susceptible de pallier les limites du ministère des Affaires étrangères».

Powell sur le sentier de la guerre

L’éditorial du Mail on Sunday publié en marge de la présentation d’Inter-Mediate soulève une autre question majeure : le pouvoir démesuré exercé par les personnalités de l’ère Tony Blair au sein du gouvernement Starmer. Powell n’est pas le seul : Peter Mandelson, ambassadeur du Royaume-Uni à Washington, en est un autre exemple. L’éditorial affirme ouvertement que ces blairistes sont les véritables artisans de la diplomatie britannique, tandis que Lammy joue un rôle essentiellement protocolaire, se contentant d’exécuter les politiques élaborées par Powell et d’autres en coulisses.

Alors que le duo est censé entretenir de formidables réseaux privés susceptibles d’influencer l’action et la politique du gouvernement britannique, «certains responsables de Downing Street» seraient de plus en plus méfiants à l’égard de l’influence de ces blairistes habiles. Comme l’a dit un responsable, «à quel moment l’«expérience» et les «conseils» font-ils place au «contrôle» ?»

La même question s’applique aux relations d’Inter-Mediate avec le nouveau gouvernement syrien. Grâce à son entreprise et à sa position au sein du gouvernement, Powell est-il enfin en train de réaliser le vieux rêve de Blair de remodeler l’Asie occidentale conformément aux intérêts britanniques ? L’Institut pour le changement mondial de l’ancien Premier ministre a ouvertement appelé à un changement de régime en Iran et se vante de financer des réseaux antigouvernementaux dans toute la région.

La trajectoire de Powell est instructive. En septembre 2002, il a fait pression sur le comité mixte du renseignement britannique pour qu’il amplifie la menace des armes de destruction massive en Irak, afin de justifier l’invasion illégale anglo-américaine six mois plus tard.

Estimant que l’évaluation ne confirmait pas l’existence d’une menace militaire imminente de la part de l’Irak, il l’a qualifiée de «petit problème» et a insisté pour que la formulation soit modifiée afin de garantir un impact maximal sur les reportages médiatiques et l’opinion publique. D’après un récent portrait, Powell serait toujours animé par la mission de Blair :

«Selon des archives historiques, Powell aurait émis des doutes sur les armes de destruction massive de l’Irak, mais estimait que Saddam Hussein devait partir, jugeant qu’il était un dictateur impitoyable opprimant son peuple. C’était, pour reprendre les mots de Blair, «l’interventionnisme libéral», qui incitait l’Occident à «s’impliquer activement dans les conflits des autres». [Powell] manifeste le même instinct aujourd’hui. Après l’Irak et l’Afghanistan, il prétend toujours vouloir sauver le monde».

Si le chef de la sécurité non élu de Starmer dicte effectivement la politique étrangère par l’intermédiaire d’Inter-Mediate, c’est que la Grande-Bretagne ne se contente plus d’ingérence en Asie occidentale, mais qu’elle la gouverne également par procuration. Et si le fidèle allié d’Al-Qaïda de Powell à Damas est vraiment le nouveau visage de «l’interventionnisme libéral», c’est une preuve supplémentaire que l’ère coloniale n’est pas seulement de retour, mais qu’elle n’a jamais vraiment disparu.

Check Also

L’Afrique francophone à l’heure de la rupture : retrait français, partenariats alternatifs et revendications de justice historique

En présence de dignitaires sénégalais et français, et dans une atmosphère solennelle teintée à la …