La formule est plus que galvaudée. Née dans l’édition du Monde du 15 mars 1968, sous la plume de Pierre Viansson-Ponté, elle a servi mille et une fois. Aujourd’hui, à près d’un mois des élections au Bundestag, elle correspond à merveille à la RFA : l’Allemagne s’ennuie.
D’ailleurs, il y a de quoi s’ennuyer. La campagne électorale y est d’une tristesse sans nom. Quoique l’issue du scrutin ne soit jamais apparue si indécise depuis 2002, année lors de laquelle Gerhard Schröder n’avait devancé son concurrent conservateur Edmund Stoiber que de 6 500 voix, les citoyens allemands semblent n’accorder que peu d’intérêt à des élections qui, ni plus ni moins, engagent l’avenir d’un pays gouverné durant seize années par la chancelière Angela Merkel.
Dotée d’un bon bilan national, celle-ci a hissé la RFA au sommet des États européens. Reconnue internationalement comme la femme la plus puissante du monde, elle quitte la chancellerie la tête haute. Pourtant, un examen plus critique laisse entrevoir quelques ombres au tableau. Consciente de son pouvoir et de son influence, l’Allemagne essuie désormais du revers d’une main tout reproche formulé à son encontre : elle n’avoue ni son engagement en demi-teinte sur le plan européen, ni ne s’effraie, à l’heure du réchauffement climatique, de son passif écologique. Pouvant se le permettre, elle se suffit à elle-même, nonobstant les critiques justifiées qui peuvent lui être adressées.
L’une d’entre elles concerne la médiocrité de son offre politique qui n’est pas à la hauteur de sa réputation internationale. Les prétendants à la succession d’Angela Merkel ne brillent pas par leur talent, à l’exception peut-être du candidat du SPD, Olaf Scholz, dont très peu d’observateurs prédisaient il y a encore quelques semaines la moindre chance de victoire. S’il devenait chancelier, il ne le devrait pas à lui-même, mais à la faiblesse de ses adversaires et plus encore à l’accord avec les Verts et les Libéraux du FDP, qui envieux de se retrouver aux manettes de l’État, se décideraient, la mort dans l’âme, de nouer une coalition, dite « feux tricolores », avec les sociaux-démocrates. Toutefois, il ne s’agit là que d’une pure hypothèse qui est encore bien loin de se réaliser.
Pourtant, il n’y a pas si longtemps, les deux rivaux directs d’Olaf Scholz étaient les favoris du scrutin. Si le premier le demeure encore, il n’en est plus de même pour la seconde. En effet, la verte Annalena Baerbock a accumulé les erreurs et les bévues depuis plusieurs semaines. Quant à Armin Laschet, le candidat de la CDU/CSU, il est au diapason de la piètre qualité du personnel politique de la RFA. Souvent sous-estimé par ses concurrents, il s’est néanmoins surestimé lui-même. Incarnant quelque peu le conservatisme rhénan d’antan, ses prises de parole font pâle figure et son slogan électoral, selon lequel il incarnerait « l’Allemagne moderne », prête quelque peu à sourire. Bien que pouvant toujours prendre la place d’Angela Merkel, il lui faudra une sacrée période de rodage pour endosser le costume de l’emploi.
Au-delà du profil des candidats, l’observateur étranger est en droit de s’interroger sur la qualité en berne de la politique intérieure allemande. À l’exemple de nombreux États européens, la RFA a pris congé de ses personnalités qui ont fait son histoire. Toutefois, comparée avec la Grande-Bretagne, la France et l’Italie, elle cherche en vain des Boris Johnson, des Emmanuel Macron et plus encore des Mario Draghi qui, aux yeux de nombreux Allemands, fait figure d’enfant terrible ou d’épouvantail pour avoir sauvé, contre leur gré, l’euro et préservé l’intégralité de sa zone monétaire.
Relativement épargnée jusqu’à présent par l’implosion de son paysage politique, la République fédérale pourrait à son tour en subir les contrecoups. Tout laisse à croire que ses deux principales formations devraient réunir, en 2021, sous leur nom moins de la moitié des votants. Forts d’une histoire démocratique de septante ans, la CDU/CSU d’une part et le SPD de l’autre sont en perte de vitesse. Ils ne retrouveront plus jamais leur aura et une recomposition politique paraît inévitable. Ainsi, l’émiettement des partis traditionnels, la présence de six groupes parlementaires au Bundestag ou les règlements de compte au sein des conservateurs risquent de laisser des traces à plus long terme.
Au soir du 26 septembre prochain, comme c’est le cas pour toute élection parlementaire, il faudra compter non le nombre des voix, mais celui des sièges. Déjà très compliquée en 2017, la constitution d’une nouvelle coalition s’annonce particulièrement difficile, tant ce jeu et ces alliances de différentes couleurs politiques se révèlent de plus en plus délicats. Aujourd’hui l’Allemagne s’ennuie. Il n’est pas sûr qu’il en soit ainsi d’ici quelques semaines…à l’exemple de la France qui s’ennuyait le 15 mars 1968, avant de connaître, un mois et demi après, la période la plus agitée de son après-guerre !