La campagne clientéliste menée par Jean-Luc Mélenchon auprès des Français arabo-musulmans a porté ses fruits. Dans nombre de banlieues, il a enregistré des scores chavéziens. Ce vote communautaire marque aussi l’influence des islamistes sur toute une population.
Le premier tour de la présidentielle a fait rêver jusqu’au bout Jean-Luc Mélenchon. Il espérait ne pas se retrouver une fois de plus dans le peloton de tête des éliminés du second tour. Une fois encore, il aura perdu son pari. Depuis il espère que le « troisième tour », les législatives, fera de lui un président bis. Il faut dire que le sondage réalisé juste avant qu’Emmanuel Macron soit réélu a de quoi alimenter ce fantasme. Il indique que 68 % des Français sont favorables à une cohabitation. Cependant, tout à son désir, le leader de LFI oublie que s’il a été le troisième homme de l’élection, c’est aussi par défaut : il a bénéficié du vote utile d’une gauche réduite à la portion congrue, qui ne se résigne pas à mourir, mais n’a plus grand-chose à dire. Plus inquiétant, il a bénéficié d’un vote communautariste qui s’est structuré autour des éléments de langage des islamistes. Entre ceux qui ont voté pour le leader de la LFI par désespérance sociale, ceux qui l’ont fait parce qu’ils se croient opprimés en tant que musulmans et les représentants de classes supérieures favorisées pour lesquelles ce vote est souvent l’occasion de se livrer à une exhibition de vertu qui ne les engage pas à grand-chose en termes de justice sociale, la sociologie électorale du mélenchonisme unit des catégories sociales dont les intérêts et les représentations risquent de ne pas converger longtemps.
En attendant, son succès a révélé un fait politique majeur : 69 % des électeurs de confession musulmane ont voté pour lui [1]. Ce chiffre aussi énorme que significatif dit clairement qu’il existe une forme d’unité de représentation et d’appartenance dans cette catégorie de population qui explique un vote aussi massif. En effet, si on observe que le vote des catégories populaires ou de la jeunesse, prises dans leur ensemble, a été beaucoup plus contrasté, on comprend que l’identité religieuse a été déterminante dans la préférence insoumise des électeurs musulmans. Dans les villes où la population d’origine arabo-musulmane est majoritaire, notamment en banlieue parisienne (voir les cartes de France Stratégie sur cette question), les scores de Jean-Luc Mélenchon sont exceptionnels : Saint-Denis 61,13 %, Trappes 60,61 %, Stains 60,2 %, Villetaneuse 65,39 %, Clichy-sous-Bois 60,48 %, Les Mureaux 60,66 %, Gennevilliers 61,07 %, Garges-lès-Gonesse 62,06 %, La Courneuve 63,95 %… À titre de comparaison, là où Marine Le Pen réalise ses meilleurs scores au premier tour, elle est plutôt autour de 30 % et n’atteint que très rarement les 40 %. Quand on interroge dans certaines villes des assesseurs habitués des bureaux de vote, ils ne parlent pas d’une mobilisation populaire des travailleurs pauvres, mais racontent qu’ils ont eu le sentiment qu’une population généralement abstentionniste, comportant nombre de jeunes hommes des quartiers et de jeunes filles voilées, s’était rendue aux urnes.
Cette mobilisation serait largement imputable au travail politique effectué auprès de ces populations à la fois par les réseaux islamistes et gauchistes. Réseaux des mosquées, réseaux sociaux, influenceurs de l’islamistosphère et interpellations via des boucles WhatsApp, notamment, expliqueraient l’homogénéité de ces votes. Le Comité contre l’islamophobie en Europe, avatar du CCIF dissous pour ces liens avec les Frères musulmans, a annoncé que plus de 80 % de ses adhérents voteraient Jean-Luc Mélenchon. Médine, le rappeur qui voulait chanter son album Jihad au Bataclan a appelé à voter pour le leader de LFI, comme Hani Ramadan, Houria Bouteldja et beaucoup d’autres. C’est aussi le cas d’un réseau de mosquées, se disant anonyme par crainte de représailles, mais dont l’appel a été viral.
Une telle uniformité dans les prises de position comme dans les votes vient d’une unité dans les représentations politiques de cette communauté. Cette unité se fait autour du discours des islamistes, plus précisément des Frères musulmans. Non que tous les électeurs de confession musulmane ayant voté Jean-Luc Mélenchon puissent être qualifiés d’islamistes, mais tous sont sous influence d’un discours victimaire qui accuse la France d’être islamophobe et de persécuter les musulmans. Le message le plus explicite et le plus viral fait du vote Mélenchon une manière de s’opposer autant à Marine Le Pen qu’à Emmanuel Macron et commence d’ailleurs par une critique virulente de la loi séparatisme, avant de s’en prendre au nerf de la guerre : la question du voile et de son interdiction dans l’espace public. Pour convaincre la population de confession musulmane de voter LFI, les propos cités de Jean-Luc Mélenchon sont explicites : « Il y a en France une haine contre les musulmans déguisée en laïcité » ; « L’assimilation, ça n’existe pas » ; « La vérité est que, depuis des années on ne cesse d’insulter les musulmans qu’on ne cesse de me reprocher d’avoir participé à une manifestation[2] à laquelle je suis fier d’avoir été. »
Ce type de vote est un véritable appel au clientélisme. Il signifie qu’en agitant quelques marqueurs, notamment en exprimant son approbation au port du voile et en souscrivant au discours sur la « persécution » des musulmans, on acquiert un vote communautaire massif et des relais d’opinion empressés et influents. Emmanuel Macron ne s’y est pas trompé et a fait le nécessaire dans l’entre-deux-tours, en associant le voile au féminisme et en faisant campagne jusque dans la Grande Mosquée de Paris. Mais le clientélisme signifie aussi une rupture d’égalité entre les citoyens et un renvoi d’ascenseur envers les demandes communautaires. Jean-Luc Mélenchon, comme Emmanuel Macron sont-ils en train de poser les jalons d’accommodements déraisonnables avec les islamistes ? On peut légitimement se poser la question.