Nous menons la dernière guerre. Nous courons derrière

Les médias se font l’écho du fait que le système de production d’armements tourne à plein dans le monde aujourd’hui, en Occident en particulier.

S’il est légitime pour la Russie de le faire, elle qui est en conflit officiel, ce l’est moins pour ses adversaires non encore cobelligérants, même si l’on se demande bien quelle sera l’étincelle, très faible, qui amènera à un changement de leur statut. Néanmoins, disons-le net, augmenter la fabrication militaire occidentale, est une escroquerie supplémentaire. Voilà quelques explications.

Tout d’abord, j’avais écrit un livre sur la défense en 2007 qui n’eut pas d’écho, tant l’indigence française en la matière ainsi que la corruption sont grandes. Le livre blanc de 2008 en effet identifia comme menace majeure pour notre pays le terrorisme, mélangeant pour la première fois les genres, probablement volontairement, entre police et défense, sans que personne ne trouvât mot à redire. Notre armée continua donc son attrition, jusqu’à une nouvelle indigence, nous n’en sommes plus à cela près.

J’avais, entre autres, proposé une synergie entre la conception de matériels militaires et la rupture technologique nécessaire pour rester sinon une grande puissance au moins un leader de classe mondiale. Typiquement, le complexe militaro-industriel aurait concentré ses efforts sur le développement de produits en rupture, fournissant à nos forces des prototypes et en garantissant qu’en cas de conflit, disons un an avant, grâce à une veille géopolitique appropriée, que nous pourrions fabriquer en masse des matériels de série avec un personnel peu qualifié le cas échéant, pour être fin prêts avec un arsenal ultra efficace dès les premiers instants de la guerre.

Or, que se passe-t-il aujourd’hui ? Les pays occidentaux, la France en particulier, manufacturent en « densité » des équipements dont les caractéristiques sont obsolètes et dont l’efficacité sera insignifiante. Le Big Business est donc très probablement en train de pousser ses propres intérêts en vendant à des politiciens incompétents quand ils ne sont pas véreux, des lendemains qui chantent, alors que la Russie va, bien évidemment, gagner la guerre.

Certains pourraient s’étonner des raisons qui font que je suis si affirmatif. La raison en est simple. La bataille actuelle est dévolue à l’armée de terre pour l’essentiel et l’OTAN n’est pas réellement une force terrestre.

Cela est dû à l’hégémonie américaine qui se contente, depuis des décennies, de faire des opérations extérieures et de bombarder massivement des populations civiles, comme on a pu le voir sur divers théâtres hélas. Jamais ces troupes n’ont été confrontées à une résistance d’artillerie digne de ce nom. Et si cela avait été le cas, elles n’auraient probablement pas vaincu aussi facilement, voire auraient été défaites.

L’Occident est donc parti dans une fuite en avant inutile, en sabordant son économie via la production de matériels militaires superflus. Les dépenses sont bien entendu réelles, les équipements obsolètes, la recherche et donc les progrès, nuls, etc. Cela ne manquera pas de rappeler aux Russes l’effondrement de l’Union soviétique qui consacrait une part sans doute trop importante à son budget de défense, en vain. Mais n’est-ce pas le complexe militaro-industriel qui gouverne, en partie, l’Empire ? L’occasion, en rivalité avec la banque, du déclenchement d’un conflit, est une opportunité à ne pas rater !

Tranquille, donc, quant à l’issue inéluctable sur le terrain en Ukraine, la Russie n’a plus qu’à se concentrer sur le cœur du problème qui se présente à elle. Il s’agit bien entendu de faire tomber l’unipolarité pour la remplacer par la multipolarité.

Là, il y a quelques urgences que nous allons passer en revue de manière non exhaustive.

La première est le caractère de monnaie de réserve mondiale du dollar. Il faut impérativement détruire cela.

Dans un article précédent, nous avons décrit une stratégie qui serait très efficace.

Il y a aussi la technologie électronique qui reste un bastion de l’Ouest. Une alliance avec la Chine en y mettant des efforts considérables et un peu de temps, disons 5 ans maximum, permettrait de rattraper tout ou partie du retard. Mais ce pourrait ne pas constituer la meilleure stratégie. En effet, la loi de Moore, même si elle marche encore, aura ses limites sous peu. Il faudra donc passer à la photonique. Et là, les acteurs devront repartir à zéro et tout le monde y aura sa chance. Il y a une alternative tout aussi disruptive qui consisterait à utiliser la biologie, voie qui reste explorée, mais dont personne ne parle vraiment tant c’est stratégique.

Viser la rupture est toujours bien plus payant, en termes militaires, que rattraper la concurrence.

Ainsi, la stratégie occidentale qui vise à développer les missiles hypersoniques en réponse à la Russie à coups de milliards n’est-elle pas critiquable en soi, mais a-t-on seulement rémunéré une personne pour réfléchir à une alternative ?

Il y a ensuite des aspects plus sociétaux, mais à ne pas négliger. L’Empire a mis son empreinte sur la façon dont sont traitées les affaires dans le monde. Il serait bon pour la Russie et la Chine de changer ce système à la marge pour que les relations commerciales soient davantage équilibrées et profitables à un plus grand nombre. Il serait aussi utile que les normes comptables soient changées pour mieux refléter la réelle valeur des actifs. Toujours en ce qui concerne les comptes, il faudrait imprimer une charte globale concernant la santé des états qui soit plus transparente que celle actuelle, dans laquelle, la France, par exemple, montrant une dette officielle de 3000 milliards d’euros en cache une partie supplémentaire non négligeable, etc. Il y a aussi la justice qui est devenue, sous l’impulsion américaine, un mot masculin ! Changer l’ordre mondial, là, pourrait se révéler bénéfique et générateur de soutiens de par le monde.

Il y a enfin les marottes occidentales et fausses qui s’appellent « réchauffement climatique », « biodiversité », etc., qui ne sont faites que pour augmenter les quantités d’argent et les conduire dans les poches ad hoc, au détriment des populations, comme c’est expliqué dans cet ouvrage. Là, une science orientale solide et reconnue pourrait largement faire basculer l’opinion publique. Il s’agit bien de la science puisque pour la qualité de fabrication, notamment dans le domaine électronique, la Chine a montré une capacité remarquable à fournir en masse du matériel fiable. Il lui manque à généraliser cela à ses autres secteurs industriels, ce qui ne manquera pas d’arriver.

Ceux qui parlent de guerre hybride ont raison. Cette dernière doit se mener sur tous les fronts. La discipline reine pour faire cela reste l’ingénierie système, une spécialité très développée aux USA, mais qui est demeurée empirique et qui est donc sclérosée. Elle peut et doit être mathématisée. C’est d’ailleurs le sens d’un certain nombre de mes travaux. En effet, seule la mathématisation d’un domaine peut à la fois la rendre performante et lui ouvrir des horizons insoupçonnés. Nous verrons quel sera le pays qui mettra cela en œuvre le premier. La Chine, dirigée avant tout par des ingénieurs, est un bon candidat.

Par Jean-François Geneste, ancien directeur scientifique du groupe EADS/Airbus Group, PDG de WARPA.

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