Le USS Liberty et la trahison de Johnson et Angleton

L’attaque contre l’USS Liberty le 8 juin 1967 était une attaque sous fausse bannière de l’armée de l’air et de la marine israéliennes, destinée à être imputée à l’Égypte pour entraîner les États-Unis dans la guerre contre l’Égypte aux côtés d’Israël, voire à déclencher la Troisième Guerre mondiale. Pour réussir, Israël devait couler le navire non armé de la NSA et ne laisser aucun survivant. L’opération a échoué : bien qu’il ait été mitraillé, bombardé et torpillé par des avions de chasse et des destroyers pendant soixante-quinze minutes, l’USS Liberty est resté à flot et, bien que 34 membres d’équipage aient été tués et 171 blessés, le témoignage des survivants ne permettait pas d’imputer l’attaque à l’Égypte. Au lieu de cela, Israël s’est excusé pour l’attaque, prétendant que le navire avait été confondu avec un navire égyptien. Le président Johnson accepta cette excuse, et l’affaire fut étouffée.

Il s’agit de l’un des événements les plus importants de l’histoire récente, car il est emblématique de la «relation spéciale» entre les États-Unis et Israël, laquelle consiste essentiellement pour Israël à utiliser tous les moyens de tromperie possibles pour que l’armée américaine détruise les ennemis d’Israël, au mépris de ses propres intérêts stratégiques (Égypte, Irak, Libye, Syrie, Iran, etc.).

Mais l’aspect le plus troublant de ce crime de guerre est peut-être la complicité avérée de deux Américains haut placés : le président Lyndon Johnson en personne, et le chef du contre-espionnage de la CIA, James Jesus Angleton, complicité qui constitue dans les deux cas une haute trahison. Il est d’autant plus important d’étudier et d’enseigner l’attaque du USS Liberty que ces deux hommes sont également les principaux suspects américains dans l’assassinat du président John F. Kennedy. Depuis que les preuves se sont accumulées jusqu’à atteindre une masse critique indiquant qu’Israël était le principal bénéficiaire du coup d’État visant à remplacer Kennedy par Johnson à la Maison Blanche (lire mon livre Qui a maudit les Kennedy ?), la participation active de Johnson et d’Angleton dans les deux complots (l’assassinat de Kennedy et l’attaque du USS Liberty) constitue un élément crucial du dossier JFK.

Examinons les faits.
La guerre des six jours et l’attaque du USS Liberty

La guerre des Six Jours, en juin 1967, a permis à Israël de doubler son territoire, avec l’annexion de la bande de Gaza et du Sinaï pris à l’Égypte, du plateau du Golan pris à la Syrie, et de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est pris à la Jordanie. C’était une étape majeure dans la stratégie israélienne visant à conquérir l’ensemble de la Palestine et à dominer le Moyen-Orient. Ayant retenu la leçon de son échec de 1956, lorsque Eisenhower et Khrouchtchev avaient contraint Israël à se retirer du Sinaï, Israël réussit cette fois à créer l’illusion qu’il agissait en état de légitime défense. En intoxiquant l’espionnage soviétique par de fausses communications, Israël incita Nasser à entamer des mouvements de troupes à Charm el-Cheikh, près de la frontière israélienne. Le 27 mai 1967, Nasser bloque l’accès au détroit de Tiran, coupant ainsi l’accès de la marine israélienne à la mer Rouge. La propagande israélienne, diffusée aux États-Unis, présente ces mouvements défensifs comme des préparatifs d’agression, justifiant une attaque préventive d’Israël.

Le Premier ministre israélien Menachem Begin admettra en 1982 que la guerre des Six Jours n’a pas été une «guerre de nécessité» mais «une guerre de choix. Nasser ne nous a pas attaqués. Nous avons décidé de l’attaquer».1

Quatre jours après les frappes aériennes israéliennes qui paralysèrent l’aviation égyptienne au sol, Nasser accepta la demande de cessez-le-feu du Conseil de sécurité de l’ONU. Il était trop tôt pour Israël, qui n’avait pas encore atteint tous ses objectifs.

C’est alors qu’Israël attaque l’USS Liberty, un navire espion de la NSA stationné dans les eaux internationales au large du Sinaï, facilement reconnaissable à ses nombreuses antennes et à son très grand pavillon américain. La journée était claire et ensoleillée. Des avions israéliens avaient survolé le navire à basse altitude dans la matinée et il n’y a pas le moindre doute que les pilotes avaient parfaitement identifié le navire.

Puis, en début d’après-midi, deux Mirage III non marqués plongent à plusieurs reprises sur le navire et l’attaquent avec des canons de 30 mm et des roquettes, visant d’abord les antennes pour tenter d’empêcher l’équipage d’envoyer un SOS, puis ciblant l’équipage, allant jusqu’à mitrailler les canots de sauvetage. Après que les Mirages eurent épuisé leurs munitions, ils furent remplacés par des Super Mystères Dassault qui larguèrent des bombes au napalm sur le navire, provoquant l’incendie d’une grande partie de la superstructure du navire. L’attaque aérienne fut suivie par l’approche à grande vitesse de trois torpilleurs qui lancèrent cinq torpilles, provoquant une énorme brèche dans la coque du navire sous la ligne de flottaison.

Lorsque l’attaque fut rapportée pour la première fois à la télévision et à la radio américaines, elle fut présentée comme un acte de guerre par l’Égypte contre les États-Unis, et certains élus ont immédiatement appelé à des représailles. Lorsqu’il a finalement été révélé que les assaillants étaient des forces israéliennes, le sujet a été discrètement abandonné et n’a plus fait l’objet d’aucune couverture médiatique.

Oliver Kirby, directeur adjoint des opérations à la NSA à l’époque, a rapporté au journaliste John Crewdson du Chicago Tribune (2 octobre 2007) que les transcriptions des communications interceptées des avions israéliens et immédiatement envoyées à Washington par la NSA, ne laissaient aucun doute sur le fait que les pilotes israéliens avaient identifié leur cible comme étant américaine avant de l’attaquer.2
Lyndon Johnson, traître pour Israël

Depuis le jour de l’assassinat du président Kennedy, son vice-président Lyndon Johnson figure en tête de la liste des suspects. De nombreux enquêteurs l’ont identifié comme le cerveau de l’opération : Phillip Nelson (LBJ : The Mastermind of JFK’s Assassination, 2010), Roger Stone (The Man Who Killed Kennedy : The Case Against LBJ, 2013), ou encore James Tague (LBJ and the Kennedy Killing, 2013), pour ne citer que les plus récents. En tant que personnalité politique la plus influente du Texas, Johnson avait la capacité d’organiser l’embuscade à Dallas, et il a passé les semaines qui ont suivi le coup d’État à s’assurer qu’aucune enquête ne s’écarterait de la conclusion prédéterminée selon laquelle Oswald avait abattu seul Kennedy. LBJ a également ordonné au Dr Charles Crenshaw, qui tentait de sauver la vie d’Oswald à Dallas, de ne rien faire de tel et d’obtenir plutôt de lui «des aveux sur son lit de mort» (a death-bed confession), ce qui fait de lui la deuxième personne après le gangster Jack Ruby (Jacob Rubenstein), lié à l’Irgoun, à avoir agi pour éliminer Oswald, et ainsi la possibilité d’un procès qui aurait démontré les failles du récit officiel.3

Pour avoir inversé la politique étrangère de Kennedy en faveur d’Israël et permis à Israël de construire secrètement et illégalement des armes atomiques avec des matériaux volés aux États-Unis, Johnson est aujourd’hui reconnu par les journalistes et les historiens israéliens comme le meilleur président américain pour Israël depuis Truman (peut-être prochainement supplanté par Trump).

Des preuves considérables ont également été apportées ces dernières années que l’attaque d’Israël contre l’Égypte le 5 juin avait été secrètement autorisée par Lyndon Johnson. Johnson a officialisé son feu vert dans une lettre adressée au Premier ministre israélien Levi Eshkol, datée du 3 juin : «Je veux protéger l’intégrité territoriale d’Israël (…) et je fournirai un soutien américain aussi efficace que possible pour préserver la paix et la liberté de votre nation et de la région»4. Plus tôt, en mai, Ephraim «Eppy» Evron, ambassadeur adjoint d’Israël à Washington et agent du Mossad, avait rencontré Johnson à la Maison-Blanche et rapporta plus tard que Johnson lui avait dit : «Vous et moi allons adopter une autre résolution du Tonkin», en référence à la simulation d’incident dans le golfe du Tonkin que Johnson avait utilisée pour justifier l’agression contre le Nord-Vietnam. Selon Peter Hounam, auteur de Operation Cyanide : Why the Bombing of the USS Liberty Nearly Caused World War III (2003), l’attaque contre l’USS Liberty avait été secrètement autorisée par la Maison-Blanche dans le cadre du projet Frontlet 615, «un accord politique secret conclu en 1966 par lequel Israël et les États-Unis s’étaient engagés à détruire Nasser».5

Bien que les Mirages israéliens aient mitraillé les antennes lors de leurs premières attaques, l’équipage réussit à envoyer un SOS qui fut capté par la Sixième Flotte. Le commandant de cette dernière, l’amiral Lawrence Geis, envoya immédiatement des avions de chasse à la rescousse. Mais quelques minutes plus tard, il reçut un appel téléphonique de Johnson en personne, qui lui ordonna : «Je veux que ce putain de navire aille par le fond. Aucun secours. Rappelez les avions».6

Après l’échec des forces israéliennes à couler le navire, Johnson accepta l’excuse bidon d’Israël d’une «erreur d’identité» et étouffa l’affaire, contre l’avis de certains membres de son cabinet, dont Dean Rusk, le secrétaire d’État nommé à l’origine par Kennedy.

Une commission d’enquête dirigée par l’amiral John Sidney McCain II, commandant en chef des forces navales américaines en Europe (et père du candidat à l’élection présidentielle de 2000, John McCain III), a officialisé cette conclusion. Les survivants reçurent l’ordre formel de ne jamais mentionner l’incident, sous peine de prison, «ou pire». Ce n’est que depuis une dizaine d’années que certains d’entre eux ont rompu le silence.7

Cinq mois après l’attaque perfide d’Israël, Johnson invita le Premier ministre israélien Levi Eshkol à la Maison-Blanche, l’accueillant même dans son ranch privé du Texas (photo ci-dessous). De plus, Johnson récompensa Israël en levant l’embargo sur les équipements militaires offensifs de fabrication américaine, qui ont immédiatement afflué vers Tel-Aviv. Israël est devenu le plus gros client de l’industrie de défense américaine.

Un indice supplémentaire que LBJ a joué un rôle décisif dans la préparation de l’attaque du USS Liberty est que, le 23 mai 1967, l’USS Liberty a reçu l’ordre de quitter sa patrouille sur la côte ouest de l’Afrique pour se rendre d’urgence dans ce qui n’était pas encore une zone de guerre au large de la péninsule du Sinaï, tandis qu’un autre navire espion qui se trouvait sur cette même zone, l’USNS Private Jose F. Valdez, a reçu l’ordre de l’évacuer. Phillip Nelson émet l’hypothèse suivante :

«La raison pour laquelle le USS Liberty a été choisi par Johnson comme «agneau sacrificiel» est peut-être son nom : comme l’a suggéré le survivant Phil Tourney, «Souvenez-vous du Liberty» (sur le modèle de «Souvenez-vous de l’Alamo» ou «du Maine»), faisait un bien meilleur cri de guerre pour rallier les troupes que le nom du navire qu’il a remplacé. «Souvenez-vous du soldat Jose F. Valdez» n’avait tout simplement pas le même panache».8

James Angleton, traître pour Israël

James Jesus Angleton, chef du contre-espionnage, était l’un des hommes les plus puissants de la CIA dans les années 1960. Les chercheurs qui ont enquêté sur le rôle de la CIA dans la manipulation du pigeon Lee Harvey Oswald ont abouti à la porte d’Angleton. John Newman, par exemple, écrit : «Personne d’autre [qu’Angleton] au sein de l’Agence n’avait l’accès, l’autorité et l’esprit diaboliquement ingénieux pour gérer ce complot sophistiqué»9. Jefferson Morley a également mis Angleton en accusation et a conclu, après des années de recherche, que : «Le contre-espionnage de la CIA est responsable de l’assassinat de Kennedy». Cependant, Morley aurait pu dire tout aussi bien : «Le «bureau israélien» de la CIA est responsable de l’assassinat de Kennedy», puisque Angleton était également à la tête de ce département très secret et qu’il assurait la liaison exclusive de la CIA avec le Mossad. Dans sa biographie intitulée The Ghost, Morley démontre qu’Angleton était très proche des hauts responsables du Mossad, et totalement dévoué à leur cause. Il voyageait souvent en Israël et a même rencontré David Ben-Gurion en privé au cours de l’été 1963, quelques mois avant l’assassinat de Kennedy, comme l’a révélé l’officier du Mossad Ephraim Halevy (à gauche sur la photo ci-dessous, à côté d’Angleton).

Selon Andrew et Leslie Cockburn, «il existe un courant d’opinion au sein de la communauté américaine du renseignement selon lequel Angleton a joué un rôle de premier plan dans l’orchestration des événements qui ont conduit à la guerre de juin 1967. Un fonctionnaire de longue date de l’ancienne rivale de la CIA, la National Security Agency, qui déchiffre les codes, déclare sans ambages que «Jim Angleton et les Israéliens ont passé un an à préparer la guerre de 1967. Il s’agissait d’une opération de la CIA destinée à faire tomber Nasser»10. On suppose qu’Angleton a fourni à ses amis du Mossad les photos aériennes de la CIA qui ont permis à Israël de localiser et de détruire au sol les forces aériennes égyptiennes en une journée.

Comme le montre Joan Mellen dans Blood in the Water, dans les semaines précédant la guerre des Six Jours, Eppy Evron, l’homme du Mossad opérant à Washington depuis l’ambassade d’Israël, «avait organisé des réunions entre Angleton et Moshe Dayan (…) pour discuter de la faisabilité d’une attaque contre l’Égypte dans le but de renverser Nasser. Lyndon Johnson avait autorisé Angleton à informer Evron que les États-Unis n’interviendraient pas pour empêcher une attaque contre l’Égypte». Le 30 mai, Meir Amit, alors chef des opérations mondiales du Mossad, s’est envolé pour Washington et a rencontré Angleton le lendemain. Il n’existe aucune trace documentaire de leur conversation, mais le 1er juin, Amit fit un rapport à Israël : «il y a des chances grandissantes que les États-Unis nous soutiennent politiquement si nous agissons de notre propre chef». Selon Mellen, c’est Angleton qui, avec Meir Amit, «définira la configuration de l’opération qui aboutira à l’attaque de l’USS Liberty».11

Dans le résumé qu’il donne de cette rencontre, Tom Segev écrit que «Jim Angleton était enthousiaste», et voyait dans la frappe israélienne «la possibilité de résoudre les problèmes de la région». Lors de sa correspondance téléphonique avec Eshkol, Amit a reconnu l’importance décisive du soutien d’Angleton. Selon lui, Angleton avait laissé entendre que les Américains «verraient sans aucun doute d’un bon œil un coup porté à l’Égypte» ; «Angleton a été un atout extraordinaire pour nous. Nous n’aurions pas pu trouver un meilleur avocat».12

En décembre 1967, les Israéliens ont organisé une grande fête pour Angleton lorsqu’il leur a rendu visite à l’occasion de son cinquantième anniversaire.

Conséquences : la route vers le 11-Septembre

George Ball, ancien sous-secrétaire d’État, a écrit dans The Passionate Attachment :

«la leçon ultime de l’attaque du Liberty a eu beaucoup plus d’effet sur la politique en Israël qu’en Amérique. Les dirigeants israéliens ont conclu que rien de ce qu’ils pourraient faire n’offenserait les Américains au point d’entraîner des représailles. Si les dirigeants américains n’ont pas eu le courage de punir Israël pour le meurtre flagrant de citoyens américains, il semble évident que leurs amis américains les laisseraient s’en tirer avec presque n’importe quoi».13

Cette situation, ainsi que la nouvelle escalade de la Guerre froide au Moyen-Orient, a permis aux sionistes les plus durs de prendre la tête de l’État juif. En 1967, Menachem Begin, toujours recherché pour son rôle dans l’explosion de l’hôtel King David en 1946, est invité par le Premier ministre Levi Eshkol à rejoindre un «gouvernement d’unité nationale». Dix ans plus tard, il devient lui-même Premier ministre (1977-1983). Il est suivi par Yitzhak Shamir, ancien chef opérationnel du Lehi (alias le gang Stern) qui avait assassiné le diplomate britannique Lord Moyne et le médiateur de paix de l’ONU, le comte Folke Bernadotte, fait exploser l’ambassade britannique à Rome et envoyé des lettres piégées à tous les membres importants du cabinet britannique à Londres14. Après l’assassinat de Yitzhak Rabin, une nouvelle génération d’extrémistes machiavéliques arriva au pouvoir : Benjamin Netanyahou, Ehud Barak et Ariel Sharon, les instigateurs du coup d’État du 11 septembre.

Avec John Kennedy comme président jusqu’en 1968, éventuellement remplacé par son frère Robert jusqu’en 1976, rien de tout cela ne se serait produit. Il n’y aurait pas eu de guerre des Six Jours et la question palestinienne aurait pu trouver une solution pacifique et durable. L’«attachement passionné» entre les États-Unis et Israël, qui a débuté sous Johnson et s’est transformé en un lien psychopathique, n’aurait jamais vu le jour. La route du 11 septembre n’aurait pas été tracée, Israël n’aurait pas eu d’arsenal nucléaire ni d’«option Samson» pour menacer le reste du monde, et aurait été contraint de respecter le droit international.

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