Pourquoi le yuan ne devient-il pas une véritable monnaie mondiale ?

La Chine voit les écueils sur lesquels l’Amérique a buté avec son dollar. Nous avons plusieurs fois abordé la question du Yuan par rapport au dollar mais cet article traduit par notre ami Xuan insiste sur l’aspect totalement original de la politique chinoise qui ne veut pas remplacer les États-Unis en tant que nouveau leader. La mondialisation impérialiste de «l’Occident global» qui a fait des États-Unis non plus une nation mais un système autodestructeur ne doit pas être reproduite. Nous insistons souvent dans ce blog sur le caractère totalement nouveau de ce qui se met en place : nous avons une domination arrivée à son stade ultime d’exacerbation des contradictions, des concurrences, des antagonismes et qui aura connu avec les USA et la militarisation du dollar une accélération inouïe. Est-ce qu’on peut à la fois se préserver de la chute et créer les conditions de formes nouvelles de coopération tel est l’enjeu. Il nous change de la grotesque médiocrité de la vie politique dans la France macronienne d’aujourd’hui.

La Chine est parfois injustement considérée comme la deuxième économie mondiale, après les États-Unis. Pourquoi injustement ? Selon les données préliminaires du Fonds monétaire international (FMI), à la fin de 2023, le produit intérieur brut (PIB) des États-Unis s’élèvera à 26,9 billions de dollars, tandis que celui de la Chine sera de 19,4 billions de dollars. Il s’avère que les États-Unis dépassent la Chine en termes de PIB de près de 1,4 fois.

Mais le fait est que le PIB de la Chine est mesuré au taux de change officiel du yuan par rapport au dollar américain. Or, il est nécessaire de comparer les économies des pays en utilisant la parité de pouvoir d’achat de la monnaie nationale par rapport au dollar américain. En effet, le taux de change officiel de la monnaie nationale est souvent sous-estimé et son utilisation fausse la comparaison.

Pour comparer les économies, il convient d’utiliser la parité de pouvoir d’achat (PPA). En termes de PPA, la Chine a déjà dépassé les États-Unis en termes de PIB en 2015. À la fin de 2022, le PIB de la Chine, estimé par le FMI en PPA, s’élevait à 30 200 milliards de dollars, contre 25 500 milliards de dollars pour le PIB des États-Unis. Les performances de la Chine sont presque 1,2 fois supérieures à celles des États-Unis.

La Chine est donc en tête du classement des économies mondiales depuis neuf ans (2015-2023). De même, depuis de nombreuses années, la Chine est le leader en termes d’exportations. À la fin de l’année 2023, les exportations de biens et de services de la Chine s’élevaient à 3593 milliards de dollars. La deuxième place revient aux États-Unis (3,009 milliards de dollars), la troisième à l’Allemagne (2,004 milliards de dollars), la quatrième à la France (921 milliards de dollars) et la cinquième au Japon (919 milliards de dollars).

Mais la position de la monnaie chinoise dans le monde est étonnamment modeste. D’ailleurs, en 2015, le FMI a décidé d’inclure le yuan chinois dans la liste des monnaies de réserve. Il s’agit des monnaies incluses dans le «panier des DTS». Il s’agit des monnaies utilisées pour calculer le taux des droits de tirage spéciaux (DTS), une monnaie spécifique émise par le Fonds monétaire international depuis 1970.

Le yuan chinois est devenu la cinquième monnaie du «panier DTS», avec le dollar américain, l’euro, le yen japonais et la livre sterling. Notamment, chaque devise du panier a une pondération différente, et sur cette mesure, le yuan est immédiatement arrivé en troisième position avec une part de 10,92%, devant le yen japonais et la livre sterling. En 2022, le FMI a révisé les parts des monnaies dans le panier, portant la part du yuan à 12,28%.

La part du dollar américain a également été revue à la hausse, passant de 41,73% à 43,38%. Les parts des trois autres monnaies ont été réduites : l’euro de 30,93% à 29,31%, le yen japonais de 8,33% à 7,59% et la livre sterling de 8,09% à 7,44%.

Mais ce qui est encore plus surprenant, c’est que la part du yuan chinois dans les réserves de change mondiales, les paiements du commerce extérieur et les opérations sur le marché des changes FOREX est encore plus faible que la part de la monnaie chinoise dans le «panier de DTS».

Selon le FMI, la part du yuan dans les réserves internationales en 2016 était de 1,1%. Selon cet indicateur, le yuan est à la traîne non seulement des quatre monnaies du «panier DTS», mais aussi du dollar canadien et du dollar australien. Ces dernières années, le yuan s’est redressé. En 2023, il représentera 2,37%. Les quatre monnaies du «panier DTS» étaient en tête : le dollar américain (59,17%), l’euro (19,58%), le yen japonais (5,45%) et la livre sterling (4,83%). Même le dollar canadien affichait un taux supérieur de 2,50%.

La position du yuan chinois dans tous les paiements et règlements effectués par l’intermédiaire du système SWIFT est également très modeste. Ainsi, à la fin du mois de janvier 2024, la part des différentes devises était de (%) : dollar américain – 46,64 ; euro – 23,02 ; livre sterling – 7,10 ; yuan chinois – 4,51 ; yen japonais – 3,58.

Bien entendu, la position du yuan s’est renforcée ces dernières années. Par exemple, à la fin du mois de septembre 2020, la part du yuan chinois dans les transactions de paiement SWIFT était de 1,97%. En septembre 2022, elle est passée à 2,44%. Cependant, la part du RMB n’est pas comparable à la part de la Chine dans le commerce mondial. Le yuan chinois n’a réussi à dépasser que le yen japonais ces dernières années.

La part des devises dans le volume total des paiements transitant par le système SWIFT, à l’exclusion des transactions de paiement dans la zone euro, est également calculée. Cet indicateur reflète plus objectivement la position de nombreuses devises dans les paiements internationaux. Selon les résultats de janvier, on obtient le tableau suivant (en%) : dollar américain – 59,70 ; euro – 12,73 ; livre sterling – 5,18 ; yen japonais – 5,08 ; yuan chinois – 3,12. Ici, comme on peut le voir, le yuan chinois est à la traîne par rapport à toutes les monnaies, y compris le yen japonais.

Il y a un paradoxe : d’une part, la Chine occupe une position de premier plan dans l’économie mondiale et le commerce international ; d’autre part, la part du yuan chinois dans le chiffre d’affaires international est extrêmement modeste. Cette part est même très inférieure à la part attribuée à la monnaie chinoise dans le panier du DTS (12,28%).

Comment expliquer ce paradoxe ? Permettez-moi de formuler ma question de manière plus précise : la Chine ne peut-elle pas ou ne veut-elle pas renforcer la position de sa monnaie dans l’économie mondiale et la finance internationale ?

Cette question est souvent posée par les experts qui s’interrogent sur le paradoxe du yuan chinois. Le plus souvent, ils répondent eux-mêmes à cette question : elle ne peut pas. Ma réponse est différente : elle ne le veut pas. Et je vais tenter de la justifier.

Pour étayer la version «la Chine ne veut pas faire du yuan une monnaie mondiale», je rappellerai l’histoire du dollar américain. Elle est très instructive. Le dollar américain a progressivement renforcé sa position dans le monde depuis la Première Guerre mondiale. D’ailleurs, quelques mois avant que la guerre n’éclate, les États-Unis ont créé une banque centrale, le Système fédéral de réserve.

Les États-Unis avaient considérablement renforcé leur économie après la Première Guerre mondiale. Ils sont passés du statut de premier débiteur net à celui de premier créancier net. Les dollars américains («produits» par la Fed) sont apparus en Europe en même temps que les prêts et les crédits américains. Avant cela, le Vieux Continent ne connaissait pas du tout les dollars. La livre sterling, en tant que monnaie mondiale, a vacillé mais n’est pas tombée. Une dualité instable entre le dollar et la livre a vu le jour.

La Seconde Guerre mondiale a porté un coup dévastateur à la livre sterling. Lors de la conférence monétaire et financière internationale de Bretton Woods en 1944, il est décidé que le monde monétaire et financier de l’après-guerre sera basé sur l’étalon or-dollar. Le dollar américain devient la monnaie mondiale et la garantie de son inviolabilité est la promesse de Washington d’échanger le «billet vert» contre le «métal jaune» (l’or des réserves du Trésor américain).

Il semblerait que l’Amérique aurait dû célébrer sa victoire. N’est-il pas prestigieux et profitable que l’unité monétaire nationale obtienne le statut de monnaie mondiale ? Cependant, pour une raison ou une autre, la ratification des documents de Bretton Woods par le Congrès américain s’est déroulée dans le plus grand désordre. Si les banques de Wall Street poussaient de toutes leurs forces les décisions de Bretton Woods, les représentants des entreprises industrielles s’y opposaient. Pour une raison ou pour une autre, ces grincheux craignaient que la transformation du dollar américain d’une monnaie nationale en une monnaie mondiale ne menace la puissance économique du Nouveau Monde.

L’Union européenne a eu beaucoup de mal à ratifier les décisions de Bretton Woods, mais elle a tout de même réussi à le faire. Fin décembre 1945, après la ratification des documents de la conférence par le nombre minimum d’États requis, ceux-ci sont entrés en vigueur.

Je dois tout de suite noter que dans la seconde moitié des années 40 et dans les années 50 du siècle dernier, le monde en dehors des États-Unis n’a pas particulièrement ressenti le «goût» du dollar américain. En particulier, il était assez rare en Europe. La raison en est très simple : les États-Unis affichaient un excédent important de leur balance des paiements et de leur commerce, tandis que l’Europe, économiquement faible, accusait au contraire un déficit. Par conséquent, très peu de «billets verts» sortaient du Nouveau Monde.

Après tout, qu’est-ce que le dollar américain ? – C’est un titre de créance de l’Amérique, avec lequel elle comble les «trous» de la balance des paiements et de la balance commerciale. Or, au cours de la première décennie et demie qui a suivi la guerre, les «trous» ne concernaient pas les États-Unis, mais l’Europe et d’autres pays.

Mais l’Europe s’est lentement redressée à la fin des années 1950. Les États-Unis ont enregistré leur premier déficit de la balance des paiements en 1960. Et en 1970, pour la première fois, la balance commerciale a été négative.

Dans les années 1960, les dollars américains ont commencé à affluer en abondance vers le Vieux Continent (principalement sous la forme de prêts et de crédits). Et les Européens, peu confiants dans le «billet vert», cherchent à l’échanger le plus rapidement possible contre du «métal jaune». Ainsi, le président français de Gaulle a échangé plusieurs milliards de dollars contre de l’or auprès du Trésor américain. Après lui, plus personne n’a échangé.

Après l’apparition du déficit commercial des États-Unis, le président américain Richard Nixon a annoncé, le 15 août 1971, que le «guichet or» du Trésor américain était «temporairement fermé». Cela a effectivement marqué la fin du court siècle de l’étalon or-dollar. En janvier 1976, lors de la Conférence monétaire et financière internationale de la Jamaïque, l’étalon-dollar-or a été officiellement aboli. Il a été remplacé par l’étalon papier-dollar. Le «frein à l’or» a été retiré de la «presse à imprimer» de la Réserve fédérale américaine. Le monde s’est rapidement rempli de «billet vert».

Pour le dollar américain (ou plutôt pour les «maîtres de l’argent» qui possèdent la «presse à imprimer» de la Réserve fédérale), c’est une bonne chose, et même une excellente chose. On peut fabriquer de l’argent «à partir de rien» et l’utiliser pour acheter le monde entier. Mais pour l’Amérique et l’économie américaine, c’est mauvais et même meurtrier. C’est ce qu’avaient prédit les opposants américains à la ratification des décisions de Bretton Woods en 1944-1945. Ils avaient prévenu que la transformation de l’unité monétaire nationale en unité monétaire mondiale risquait d’affaiblir, voire d’effondrer l’économie du pays qui se lancerait dans une telle expérience.

L’Amérique s’est lancée dans une telle expérience. Et ses conséquences négatives ont déjà été ressenties par le président américain John F. Kennedy. Les entreprises américaines ont commencé à se désintéresser des investissements dans leur propre économie. Les capitaux américains ont commencé à être activement exportés, se précipitant vers les pays où il était possible d’obtenir un taux de profit plus élevé. Les entreprises américaines, proches de la «presse à imprimer» de la Réserve fédérale, ont eu du mal à éviter cette tentation. John Kennedy a essayé d’arrêter l’exportation des capitaux américains, mais il n’a pas été très efficace.

Dans les années 1970, des signes de désindustrialisation de l’Amérique apparaissaient déjà. L’une des manifestations de cette désindustrialisation était un déficit commercial persistant.

L’Amérique s’est rapidement habituée à combler le trou de sa balance commerciale avec des «recettes de la dette» (dollars américains) qui sortaient de la «presse à imprimer» de la Réserve fédérale. L’Amérique est devenue plus consommatrice que productrice. Et ce fossé entre consommation et production n’a cessé de se creuser au cours des cinquante dernières années.

Trump a parlé de la désindustrialisation de l’Amérique dès sa campagne électorale de 2016. Il a promis d’y mettre un terme, de rendre l’Amérique à nouveau puissante sur le plan économique. Mais il n’a pas réussi à le faire. Il n’a pas osé casser le modèle de l’économie américaine qui reposait sur le dollar comme monnaie mondiale.

Le problème de l’Amérique, qui a été causé par la transformation du dollar en monnaie mondiale, est décrit dans de nombreux manuels d’économie aujourd’hui. Il est décrit de manière très succincte sous la forme de ce que l’on appelle le «dilemme de Triffin». Parfois, le terme «paradoxe de Triffin» est également utilisé. Le paradoxe a été formulé par Robert Triffin (1911-1993), économiste américain d’origine belge, lors de son discours devant le Congrès américain en 1960.

Voici une version de la formulation du paradoxe :

Afin de fournir aux banques centrales des autres pays le montant de dollars nécessaire à la constitution de réserves de change nationales, les États-Unis doivent enregistrer des déficits persistants de leur balance des paiements. Mais un déficit de la balance des paiements sape la confiance dans le dollar et réduit sa valeur en tant qu’actif de réserve, de sorte qu’un excédent de la balance des paiements est nécessaire pour rétablir la confiance.

Triffin n’a pas vraiment découvert l’Amérique. C’est exactement ce que les opposants à la ratification des décisions de Bretton Woods disaient (avec des mots différents) au Congrès américain en 1944-45. Naturellement, le dilemme de Triffin s’applique non seulement au dollar américain, mais aussi à toute autre monnaie nationale qui tenterait de devenir une monnaie mondiale.

Pékin est bien conscient du dilemme de Triffin et ne veut pas marcher sur les mêmes plates-bandes que Washington il y a 80 ans, lorsqu’elle a fait adopter la décision de faire du dollar une monnaie mondiale lors de la conférence de Bretton Woods, puis au Congrès américain. Il ne faut donc pas s’attendre à une augmentation significative de la part du yuan chinois dans les réserves internationales et les transactions de paiement internationales.

Si je dis cela, c’est aussi parce qu’il y a des partisans de la politique de remplacement complet des dollars américains, des euros et d’autres devises «toxiques» qui se sont évaporées des réserves monétaires de la Fédération de Russie par le yuan chinois. Ils affirment que ce n’est pas aujourd’hui, mais demain, que le yuan deviendra la monnaie mondiale, remplaçant le dollar américain qui s’affaiblit.

Non, le yuan chinois ne revendique pas la place du dollar américain en tant que monnaie mondiale.

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