Erdogan, le sultan voyou

Les invectives à répétition dont le président turc Erdogan abreuve Emmanuel Macron ont sans doute une visée politique: faire de la Turquie une puissance mondiale et de lui-même un nouveau calife. Elles sont aussi le reflet de son caractère profond, celui d’un homme élevé à la fois à l’école islamique et à l’école de la rue.

« Tout ce qu’on peut dire d’un chef d’État qui traite des millions de membres de communautés religieuses différentes de cette manière, c’est : allez d’abord faire des examens de santé mentale. » Ces mots du président turc Recep Tayyip Erdogan à l’adresse d’Emmanuel Macron mettent en évidence le style personnel de l’homme qui préside au destin de la Turquie sans interruption depuis le début du XXIe siècle et la marque qu’il imprime aux relations franco-turques.

Pour comprendre Erdogan, pas besoin de maîtriser le turc, apprendre un seul mot suffit : kabadayi. Ce terme désigne un « fier-à-bras », un zeste voyou, bref celui qui s’impose dans le quartier – qu’on appellerait aujourd’hui en français « petit caïd ». Il résume parfaitement l’homme et son histoire, mais aussi l’essence de son charisme, le secret de son pouvoir politique.
Un détricotage minutieux des réformes kémalistes

Erdogan est né en 1954 dans une famille de migrants caucasiens. Une ascendance si ordinaire qu’elle est devenue proverbiale, « si tu grattes un Turc, tu trouves un Caucasien », dit-on en Turquie. Comme des millions d’autres familles, les aïeux d’Erdogan ont fui leur terre natale devant l’inexorable avancée de l’Empire russe. Ils se sont installés dans les quartiers populaires d’Istanbul et des autres grandes villes de l’ouest de la Turquie. Élevé dans ce milieu très provincial, Erdogan a reçu une éducation imbibée de valeurs traditionnelles (domination masculine appuyée et culture de l’honneur) et encadrée par une pratique assidue de l’islam. Ces milieux populaires conservateurs et farouchement antirépublicains étaient totalement insensibles aux réformes d’Atatürk. Dès que l’ouverture démocratique du régime l’a permis, ils ont chassé du pouvoir Ismet Inönü, le successeur attitré de Mustafa Kemal, pour le remplacer par Adnan Menderes. Arrivé au pouvoir en 1950, ce dernier s’est empressé de détricoter les réformes kémalistes, vidant ainsi la laïcité turque de son sens. Pour ses électeurs, Menderes incarnait l’homme de foi, défenseur du peuple et du libre-marché face à la dictature laïciste et athéiste d’un État bureaucratique et interventionniste soutenu par des élites composées de traîtres occidentalisés.

C’est ainsi qu’à la rentrée 1951, le gouvernement Menderes a permis la réouverture des écoles imam Hatip, réseau d’écoles religieuses privées dont la fermeture par Atatürk une vingtaine d’années plus tôt avait été l’une plus importantes mesures de laïcisation. Dans un climat de guerre froide et de haine anti-Russes – ennemis de toujours devenus en prime communistes et athées –, l’armée, pourtant garante de la laïcité, a choisi face à l’URSS de nouer avec l’islam une alliance de circonstance. Le loup a donc été réintroduit dans la bergerie. Erdogan et nombre de ceux qui dirigent aujourd’hui la Turquie ont été scolarisés dans ces écoles où l’islamisme est la continuité naturelle et la conclusion logique d’un islam vécu comme une religion, une idéologie et une civilisation.

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